Merci (pour ton tweet) Valérie !

Par Jean Christophe Gallien*  |   |  1070  mots
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Non, le tweet de Valérie Trierweiler n'a pas fait voler en éclat la présidence normale de François Hollande. Elle ne l'a même pas écorné. Je dirai même qu'elle a renforcé la « normalité » présidentielle hollandienne. On peut le craindre ou s'en réjouir, c'est pourtant la réalité. Elle ne crée en rien une faiblesse nouvelle à additionner à d'autres. L'image du Président n'est pas touchée, si l'on envisage sérieusement les enjeux réels de sa tache. Sa capacité même de leader régalien n'est pas affaiblie, si l'on replace les éléments de cette affaire dans un contexte sociétal général et surtout dans ce que nous connaissions de la réalité de la vie intime du futur Président. Il n'y a pas de surprise bonne ou mauvaise.
N'y aurait-il pas là plutôt une forme d'extrême contemporanéité qui révélerait les véritables contours de la normalité : dans le couple, des places respectives des femmes et des hommes ? de la Présidence sous la Vé République et surtout dévoilerait la crainte générale de la perte de l'autorité ?


Le couple contemporain
Les femmes se sont libérées sexuellement. En travaillant, elles sont devenues plus autonomes. Elles se sont progressivement émancipées de la tutelle masculine dans le couple et veulent occuper le premier plan. Les hommes peinent très souvent à trouver leur place dans ce nouveau couple. Nombreux sont ceux qui sont restés sur le quai de ces évolutions. Ils observent des femmes qui continuent, souvent mécaniquement, un combat d'émancipation. Les couples peinent à imaginer un nouvel équilibre que seuls les moins de 20 ans commencent à construire. Certains disent même que les femmes « ont pris le pouvoir ». Nombreux, hommes et femmes, le regrettent. Il y a derrière les commentaires, qui s'attachent à décrire comme anormaux, les « déchirements Trierweileriens », une forme de regard à la condescendance nostalgique et craintive d'un autre temps. Comme si les observateurs, nous tous aussi, tentions de rire de la situation du couple présidentiel pour ne pas nous regarder dans le miroir de nos propres intimités.


Un couple normal
François Hollande semble assumer dans son couple ce mouvement. Je dirai même que s'il peut prétendre incarner un Président normal, c'est au couple Hollande Trierweiler qu'il le doit. Un couple beaucoup plus normal que ne l'était le couple Hollande Royal. Et c'est en grande partie du fait de la normalité de Valérie Trierweiler. Ségolène Royal ne l'était pas davantage que François Hollande, normale. Comment peut-on réellement être normal quand on a ou que l'on a eu l'ambition, vitale, de devenir le président d'un pays ? Où était la normalité dans un couple Hollande Royal qui proposait une exception telle, justement à la normalité, même à celle de Barack et Michele Obama, qu'Hollywood n'aurait même pas osé imaginer écrire l'histoire qu'elle filmera un jour peut-être. Deux ambitions qui se sont propulsées, aidées, réconfortées mais aussi affrontées et profondément blessées et qui ont fini par se séparer.


Un mouvement partagé de la Vé république
François Hollande est bien un président normal, un homme comme les autres. Divorcé comme quasiment un couple sur 2, non marié comme plus de 4 millions de couples dits cohabitants, une compagne qui travaille, une ex mère de ses enfants. Finalement, il a bien définitivement fait entrer la présidence de notre pays dans la normalité. Il y avait eu les tentatives de Valérie Giscard d'Estaing de diner chez les français. Les ballades sur les quais et le rythme de travail mitterandiens. L'appétit et les bières de Jacques Chirac. Les joggings et la paternité de Sarko. Il y aura désormais la liberté de parole et d'activité de Valérie Trierweiler. François Hollande, est comme de très nombreux hommes. Il partage et cohabite dans le pas d'autorité sur sa compagne. Il ne libère pas sa parole comme certains le croient, il la maintient. Comme dans un couple contemporain.


Les nouveaux habits de la proximité
Ce mouvement va peut aussi dans le sens d'une mise en proximité de la vie politique. François Hollande qui conserve son logement et y réside en tant que Président, a des voisins ! Il habite dans un immeuble. Certains d'entre nous peuvent dire qu'ils le croisent dans l'ascenseur le matin ou le soir ! C'est le « guy next door », qui s'habille comme vous et fait tout comme vous. La désacralisation de la fonction présidentielle est cette fois totalement affirmée. Il s'agit peut-être du dernier avatar du marketing politique contemporain : « je suis une personne comme vous ! ». Un positionnement transversal qui domine le débat politique. Une nouvelle définition de la proximité qui place l'homme politique, non seulement au coeur de la société mais à la place même du citoyen, comme un clone politique de chacun.


Perte d'autorité

En fait, le débat sur le tweet de Valérie Trierweiler relève davantage de la peur induite par laperte de l'autorité. Comme la crainte de perdre la figure ultime du père, parfois perçue comme injuste et insupportable, mais protecteur et fixant les limites des possibles. Le printemps de 1968 a profondément remis en cause les figures d'autorité. Depuis lors les fonctions présidentielles, Avital Ronell l'écrit, « ne revêtent plus avec la même évidence et la même autorité, précisément, les habits de l'autorité ».
Si l'autorité demeure sensible dans l'exercice du gouvernement, partout elle devient complexe à affirmer. Du global au local, l'espace public s'est complexifié très largement. Il fourmille d'acteurs qui veulent dire leur mot et participer au processus de fabrication de la décision. L'autorité est partagée, co-exercée.
Il y a comme une crainte que la normalité de la pratique du couple présidentiel nous entraîne définitivement dans un monde post-moderne et surtout « post-politique ». Un monde dominé par des autorités exogènes, diffuses et insaisissables mais bien reconnaissables : celles de la mondialisation et de la finance. Dans un monde où nous aurions perdu à la fois le guide et le père.

*Conseil en communication d'influence
Professeur associé à Paris 1 La Sorbonne
Membre de la SEAP Society of European Affairs Professionals