La contribution sur les dividendes, nouvelle preuve de l'insécurité juridique en France

Le projet de loi de finances rectificative pour 2012 - qui sera discuté en juillet par le Parlement - devrait nous réserver des surprises. Parmi celles-ci, les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés seraient assujetties, dès cet été, à une contribution de 3% calculée sur le montant des dividendes versés à leurs actionnaires.
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Le terme « dividendes » doit être pris au sens large : sont visés tous les « revenus distribués » au sens de la législation fiscale, ce qui inclut par exemple les rachats d'actions ou encore les jetons de présence. En revanche, seraient exclues du dispositif les PME (entreprises employant moins de 250 salariés, et dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 M? ou dont le total du bilan est inférieur à 43 M?), ainsi que les distributions bénéficiant du régime des sociétés « mère et filiale », au sens du droit communautaire (ce qui implique, notamment, une détention supérieure à 10%).

Les petits porteurs pénalisés

Ce sont donc les « grandes entreprises » qui sont visées. En outre, ce sont bien les actionnaires ultimes qui supporteront in fine cette contribution. Nulle doute, en effet, que cette contribution, comme tout coût interne de l'entreprise, grèvera indirectement les montants distribués aux actionnaires.

Le premier commentaire que l'on peut faire de cette mesure est qu'elle pénalise les « petits porteurs », notamment dans les sociétés cotées, alors que la valeur de leur investissement a déjà énormément souffert des crises financières et économiques. Dans la mesure où d'autres mesures d'alourdissement de la fiscalité du patrimoine ont été annoncées par ailleurs, il faut donc s'attendre à une fragilisation significative de l'épargne de millions de Français, et pas seulement des « plus riches ».

Les ETI directement visées

En outre, le candidat l'avait annoncé, le Président élu le confirme : les « grandes entreprises », par opposition aux PME, sont mises à contribution. Mais attention : les entreprises qui ne sont pas des PME ne se limitent pas aux sociétés du CAC 40, et on regrettera notamment que les entreprises de taille intermédiaire (« ETI »), qui manquent cruellement au tissu économique français, soient de nouveau parfaitement ignorées. La France a besoin de toutes ses entreprises, les plus grandes comme les plus modestes, notamment pour préserver l'emploi. Le Medef a déjà dénoncé cette mesure, qui risque de détourner de France les investisseurs, notamment ceux provenant des pays hors UE.

Une méthode surprenante

La méthode surprend également : cette mesure - présentée comme purement « technique » (elle permet de compenser les pertes budgétaires induites par la suppression de la retenue à la source sur les distributions à des OPCVM étrangers, récemment jugée contraire au droit communautaire) - n'était pas annoncée dans le programme présidentiel. Plus grave, elle n'a fait l'objet d'aucune concertation avec les représentants du monde des entreprises. Enfin, on n'hésite pas à recourir à la bonne vieille tradition fiscale française, consistant à taxer plus lourdement une opération alors qu'elle a déjà été décidée par l'entreprise. En effet, le projet prévoit que la contribution s'appliquera aux distributions mises en paiement à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi : la contribution frappera donc des dividendes d'ores et déjà approuvés en assemblée générale avant le vote de la loi. On se souvient du tollé qui avait suivi l'adoption de la loi sur la « prime de partage des profits » : les entreprises ne comprenaient pas que cette loi les oblige à revoir leur politique salariale du fait d'une décision de distribution de dividende déjà intervenue, leur liberté d'entreprise s'en trouvant directement compromise.

Il s'agit bien là d'un enjeu essentiel pour les entreprises : évoluer dans un environnement dans lequel la « sécurité juridique » leur permet de se projeter avec pertinence dans l'avenir. Le débat n'est pas tant l'acceptation ou non du changement, qui est inhérent à la vie économique, mais plutôt la question du respect des règles du jeu quand le jeu a déjà commencé ou alors même que la partie est déjà terminée. Les changements ne seront pas compris, et seront donc en partie inefficaces, s'ils ne sont perçus que comme un outil budgétaire ou une sanction. La loi doit avoir du sens. Force est de constater que certaines lois en manquent cruellement.

Un risque de délocalisation

Dans ce contexte, on ne peut que souligner, une fois encore, le risque de délocalisation de nos entreprises, qui n'est pas théorique. Et, contrairement aux idées reçues, ce n'est pas toujours un objectif fiscal qui est recherché, c'est souvent la volonté d'évoluer dans un environnement juridique et fiscal sécurisé, qui permet à l'entreprise de garantir à ses actionnaires que la rémunération de leur investissement dépendra essentiellement des choix de stratégie de l'entreprise elle-même, et non pas de l'évolution de la loi.
 

*avocat associé du cabinet Lexcase

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