PSA : les dirigeants sont-ils coupables d'erreurs stratégiques ?

La situation actuelle de PSA résulte de facteurs qui échappaient en grande partie à ses dirigeants, estime Frédéric Fréry*, professeur de stratégie à ESCP Europe. Selon lui, l'abandon de l'usine d'Aulnay est la conséquence de décennies de politiques publiques favorables au bas de gamme, d'un affrontement concurrentiel délétère avec les constructeurs allemands et, enfin, d'actionnaires trop avides.
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Est-il pertinent d'accuser la direction de PSA d'avoir commis de lourdes erreurs stratégiques, qui l'obligent aujourd'hui à fermer l'usine d'Aulnay et à sortir du CAC40 ? On peut en douter. La situation actuelle de Peugeot Citroën résulte en fait de trois causes distinctes :

1. Des politiques publiques qui encouragent le bas de gamme. N'est-il pas surprenant que l'industrie automobile française, jadis réputée pour ses véhicules de prestige (Bugatti, Delage, mais aussi Renault), ait été distancée par ses voisins Allemands, alors que notre pays reste le symbole international du luxe ? Une des explications est certainement la constance avec laquelle nos gouvernements successifs ont dissuadé les positionnements haut de gamme pour pousser peu à peu nos industriels à se spécialiser sur des produits bon marché. Pour des raisons autant électorales qu'écologiques, les primes, bonus et subventions concernent toujours les petites voitures économiques à faible marge, là où les Allemands se refusent à limiter la vitesse sur certaines autoroutes pour soutenir Mercedes, BMW ou Porsche. De même, les réductions de charges sur les bas salaires dissuadent de recruter une main d'?uvre qualifiée - pourtant gage de qualité et d'innovation technologique - là où un redémarrage de l'ascenseur social demanderait plutôt de pousser les entreprises à recruter un personnel mieux formé et mieux payé. Incitée à se focaliser sur l'entrée de gamme, l'industrie automobile française se trouve entraînée dans la spirale infernale du low cost, source de délocalisations et d'appauvrissement.

 2. La conjoncture actuelle de l'industrie automobile en Europe est catastrophique. Le marché s'est effondré d'un quart en quatre ans et la rentabilité des constructeurs est désormais avant tout conditionnée par la couverture de leurs gigantesques frais fixes, alors qu'ils souffraient déjà de surcapacités chroniques. Qui plus est, Volkswagen profite de sa position dominante pour mener ce que Sergio Marchionne, le P-DG de Fiat, a qualifié de « bain de sang sur les prix et sur les marges » : fort de sa santé retrouvée et d'une notation financière plus favorable qui lui permet de s'endetter à bon compte, le constructeur allemand - qui avait été contraint de supprimer 20 000 emplois en 2006 - menace tout simplement la survie de la plupart de ses concurrents européens. Il faudra s'y faire : même si l'automobile est née en Europe et a grandi aux États-Unis, son avenir est désormais en Chine, au Brésil et en Russie.

3. Une bonne stratégie qui n'est pas allée assez loin. Face à cet environnement difficile, PSA a fait des choix stratégiques a priori légitimes. Plutôt que de s'engouffrer dans la course au low-cost derrière Dacia, Citroën a réussi le lancement de sa gamme DS, premier exemple de succès d'une marque française dans le haut de gamme depuis des décennies. Plutôt que de tenter le pari fou du tout électrique, PSA a misé sur l'hybride, coûteux et techniquement complexe, mais bien en phase avec les attentes des clients. Enfin, la Chine est d'ores et déjà le deuxième marché de Citroën et ses futurs modèles y seront annoncés. Ces décisions stratégiques ont été pertinentes, mais elles n'ont pas reçu toutes les ressources nécessaires à leur déploiement. Comme le rappelle le rapport remis au Ministre du redressement productif, plutôt que de racheter ses propres actions et de distribuer des dividendes pour un total de 6 milliards d'euros entre 1999 et 2011, le conseil d'administration de PSA - celui-là même qui a nommé les dirigeants successifs - aurait mieux fait d'allouer ces sommes au renforcement de sa stratégie : repositionnement sur des véhicules à plus forte marge, innovation technologique et surtout internationalisation.

Au total, ce ne sont donc pas des erreurs stratégiques qu'il convient de blâmer. La situation actuelle de PSA résulte de facteurs qui échappaient en grande partie à ses dirigeants : des décennies de politiques publiques favorables au bas de gamme (peut-on encore croire que la France retrouvera sa compétitivité industrielle en se focalisant sur les offres à bas prix ?), un affrontement concurrentiel délétère (les Allemands vont-ils admettre qu'ils ne pourront pas rester riche au milieu d'une Europe qu'ils auront appauvrie ?) et des actionnaires trop avides (mais la réglementation et la fiscalité ne les ont-elles pas encouragés à préférer les plus-values aux investissements ?). Pour qu'une stratégie porte ses fruits, il convient de lui allouer tous les moyens nécessaires. Ce qui a manqué à PSA, ce n'est pas une bonne stratégie, ce sont les moyens de l'accomplir.

(*) Frédéric Fréry est professeur de stratégie à ESCP Europe où il est Directeur Académique du European Executive MBA. Professeur à l'Ecole Centrale Paris, il est titulaire de la Chaire ESCP Europe/KPMG « Stratégie des risques et performance ». Ses recherches portent notamment sur le Management 2.0, c'est-à-dire l'impact des technologies web 2.0 sur le management. Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, 9ème édition, Pearson, 2011 (le manuel de stratégie d'entreprise le plus utilisé dans le monde francophone) et The Fundamental Dimensions of Strategy, MIT Sloan Management Review, 2006. Il a préfacé l'édition française de l'ouvrage de Gary Hamel, La Fin du management, Vuibert, 2008.

 

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Commentaires 22
à écrit le 14/09/2012 à 17:47
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Pour comprendre ce qui se passe : http://www.upr69.fr/articles-de-francois-asselineau/non-assistance-a-peuple-francais-en-danger-partie-1 et http://www.upr69.fr/articles-de-francois-asselineau/non-assistance-a-peuple-en-danger-partie-2

à écrit le 14/09/2012 à 17:29
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Je suis un très bon connaisseur du secteur automobile (pas seulement le produit) en France et à l'international, et ce, sur plusieurs décennies. Très bonne analyse de mon point de vue, en particulier le point 1 rarement exposé et pourtant essentiel à...

le 14/09/2012 à 17:58
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La vitesse est un des aspects du luxe. Compte tenu des capacités des véhicules modernes, tous capables de rouler à 160 de moyenne sur autoroute, la vitesse limitée à 130 sur autoroute est une hérésie qui participe aussi des déboires de l'automobile e...

à écrit le 14/09/2012 à 16:47
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Les dirigeants de PSA ont pu faire des erreurs stratégiques. Et alors ??? C'est LEUR entreprise : ils en font bien ce qu'ils veulent sans avoir de comptes à rendre à quiconque.

le 14/09/2012 à 17:23
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vous confondez les dirigeants qui ne possedent pas l'entreprise et les actionnaires qui effectivemnt si ils ne sont pas satisfait peuvent demander des comptes à leurs dirigeants

le 14/09/2012 à 17:47
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Effectivement, je pensais à la famille Peugeot qui a pu faire des erreurs stratégiques en choisissant mal les directeurs successifs de PSA. Mais ça ne change rien au fond : ces erreurs ne regardent qu'eux-mêmes. PSA n'appartient pas au pays mais à se...

à écrit le 14/09/2012 à 16:08
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Votre vision des choses n'est pas des plus pertinentes. Est-il normal de favoriser des véhicules dits "premium" puissants donc chers, qui polluent sans vergogne, roulant vite et énergivores plutôt que des véhicules peu puissants mais frugaux en énerg...

le 14/09/2012 à 17:11
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Oui. Les constructeurs français doivent vendre s'ils le veulent, de gros modèles aux nouvelles normes environnementales drastiques. Jusqu'à présent les allemands déjà installés sur ce créneau bénéficient d'un temps d'adaptation qui va désormais sur s...

à écrit le 14/09/2012 à 15:43
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Ce qui eût été fort: faire le diagnostic a priori et oser le dire ou l'écrire à ceux qui sont en train de se tromper. Mais là généralement il n'y a plus personne ! Les équipes dirigeantes ne sont pas des victimes mais des acteurs. Ils aiment tant ent...

à écrit le 14/09/2012 à 15:23
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En gros ce que nous révèlent Mr Fréry, les dirigeants de PSA sont décisionnaires de tout mais responsables de rien.

le 14/09/2012 à 16:24
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+1

à écrit le 14/09/2012 à 15:23
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Pas d'accord avec Frédéric Frery. 1- Il n'est possible de vendre que ce que le public peut acheter. Durant de longues années la politique économique de la France d'après guerre a été très faible pour ne pas dire nulle et le pouvoir d'achat bas. Notre...

à écrit le 14/09/2012 à 15:07
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y' a quand même un truc qui m?échappe, avec cette histoire de 6 milliards de rachat /distribution qui choque tout le monde (en précisant que le principe même du rachat d?action est problématique...): ces prélèvements s' étalent quand même entre 1999...

à écrit le 14/09/2012 à 13:35
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toujours facile de juger apres coup. En tout cas, n'en déplaise à montebourg, ils sont victimes d'un certain civisme : utiliser le chomage partiel au lieu de débaucher tout de suite et perseverer à produire en france au lieu de délocaliser comme rena...

à écrit le 14/09/2012 à 13:29
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Vous oubliez de grandes marques Françaises comme Talbot, Facel Vega, Hotchkiss ou même Panhard PSA a trop misé sur le gasoil...

à écrit le 14/09/2012 à 13:19
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On sais bien que ce qui fonctionne en commerce mondialisé c'est le savoir faire des Français dans le luxe et les produits haut de gamme, à tel point que les chinois se ruent sur des grands crus Français et ce ne sont pas des cas isolés. Pourquoi une ...

à écrit le 14/09/2012 à 12:30
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Sans même lire l'article, la réponse du titre est évidente... Passer d'un groupe fort et reconnue comme le PSA des années 90 début 2000 à celui de maintenant... l'espèce de truc errant à la recherche de finances et de clients, ce n'est pas le fruit d...

le 14/09/2012 à 15:02
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PSA fait partie du top 5 des sociétés francaises qui déposent le plus de brevets....

le 14/09/2012 à 15:58
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Pour l'innovation, il faut faire revenir Jacques Calvet !!!

le 14/09/2012 à 17:28
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PSA aurait dû délocaliser, a minima comme Renault, réduire ses effectifs en 2009 et fusionner avec un autre groupe. Cela aurait été la rationalité économique. Le gouvernement est malvenu de critiquer la mauvaise gestion du groupe...

le 14/09/2012 à 17:29
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à ce meme jacques calvet qui était tant critiqué pour son salaire par une certaine presse de gauche( pourtant tres en dessous de beaucoup de patron de l"epoque, et sans commune mesure avec ceux d'aujourd'hui)

le 14/09/2012 à 20:13
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Il me reste en mémoire une déclaration péromptoire de ce grand visonnaire que fut Oin Oin Calvet. Au début des années 90 :"Nous ne ferons pas de 4*4. C'est trop tard. Le marché est saturé". Depuis VW et consorts se sont frottés les mains... Merci Oin...

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