Les banques centrales en porte-à-faux

Par François Leclerc  |   |  640  mots
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Qu'attend-on, au juste, des Fed et autres BCE, investies de responsabilités de plus en plus lourdes alors que la réforme de la régulation financière piétine ?

Il y a dans l'air comme l'attente d'un miracle : le temps, l'allié de toujours de ceux qui diffèrent les décisions, va-t-il, grâce aux banques centrales, permettre à des stratégies de désendettement qui ne fonctionnent pas de donner des résultats ? Les réunions de la Fed, de la Banque d'Angleterre, du Japon et de la Banque centrale européenne (BCE) suscitent tour à tour de grandes expectatives, bien que leurs dirigeants s'évertuent à expliquer ne pas pouvoir tout régler et qu'une part du travail revient aux gouvernements. Il n'empêche : en Europe, les banques centrales semblent seules susceptibles d'enrayer la désagrégation de la zone euro, les gouvernements n'y parvenant pas.

Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme assisté

Mais qu'attend-on d'elles, dont la mission est de garantir la stabilité monétaire ? Sa révision s'imposerait, mais pas touche à la doctrine ! Mieux vaut, comme l'a fait Jean-Claude Trichet, exciper des perturbations du mécanisme de la transmission monétaire pour justifier des « mesures non orthodoxes » (aussi qualifiées de « non conventionnelles »), dont il s'est dépêché d'expliquer qu'elles étaient « la continuation de la politique orthodoxe par d'autres moyens ». Mais ces mesures d'« assouplissement quantitatif » - des achats d'actifs - sont au fil du temps devenues monnaie courante, si l'on peut dire, et l'interruption de ces programmes est une question qui n'est même plus abordée. On est, par voie de conséquence, entré dans l'ère du capitalisme assisté.

La BCE s'est finalement décidée à rejoindre ses cons?urs pour pratiquer une politique de quasi-création monétaire. Disposant désormais de deux programmes illimités destinés aux banques et aux États en difficulté - intitulés LTRO (Long-Term Refinancing Operation) et OMT (Outright Monetary Transaction) -, elle est en mesure de se substituer aux marchés sur une longue période et de permettre ainsi de gagner du temps si tout se passe bien. Les autres banques centrales ne sont pas en reste de créativité, ni la Fed avec son opération Twist d'échanges de titres de la dette américaine, ni la Banque d'Angleterre avec son programme de prêts aux banques sous condition de distribution de crédits.

Revers de la médaille, les banques centrales sont devenues des quasi-« bad banks » accueillant de plus en plus les actifs douteux des banques sans avoir le recours d'un échelon leur permettant à leur tour de s'en délester. Jusqu'où pourront-elles ainsi aller sans avoir besoin de se recapitaliser ? Cette question est de plus en plus fréquemment soulevée.

Enfin, elles prennent en charge de nouvelles attributions de surveillance et de régulation des banques, alors que la réforme de la régulation financière piétine avec constance et que la complexité de ses mesures phares - telle la réglementation de Bâle III - laisse perplexe quant à leur application. À Jackson Hole, le rendez-vous annuel des banques centrales, Andy Haldane (l'un des directeurs de la Banque d'Angleterre) a tout simplement proposé de tirer un trait dessus et d'adopter des règles n'impliquant pas de pondérer la valeur des actifs selon leur risque, faisant remarquer combien cette pondération était problématique. Pour le coup un propos hétérodoxe qui montre que l'on est loin du compte...Investies de responsabilités plus que de propos et objet de trop fortes attentes, les banques centrales ne sont-elles pas entraînées dans une voie sans issue par cette profonde crise de solvabilité qu'elles n'ont pas les moyens de régler ?

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François Leclerc, ancien conseiller au développement de l'Agence France-Presse, il tient la chronique de « L'actualité de la crise » sur le blog de Paul Jorion. Il est l'auteur de Chroniques de la grande perdition (éditions Osez la République Sociale !, 2012, 168 p., 8,50 euros).