Derrière le "choc fiscal", le poids du système social

Par Par Jean-Charles Simon, chef économiste de Scor  |   |  1722  mots
Copyright Reuters
La nouvelle taxation du capital introduit beaucoup de confusion et d'émotion. Tout se mélange, solidarité nationale et assurances sociales, dans un grand ensemble devenu incompréhensible. La France a un système social à bout de souffle dont le financement créera de plus en plus de tensions. Dans un pays vieillissant, très endetté, à croissance potentielle modeste et à prélèvements obligatoires record, il n'y a pas de financement viable d'un système social à la fois universel, de haut niveau pour tous et socialisé pour l'essentiel. Seul un transfert massif vers la sphère privée des prestations dépassant un niveau de solidarité à définir peut permettre de revenir à une trajectoire soutenable.

Le « choc fiscal » décidé dans le cadre du budget 2013 ne fait que poursuivre un mouvement déjà engagé lors des dernières lois de finances, et notamment des collectifs de 2011 et 2012 : l'augmentation massive des prélèvements sur le capital et ses revenus. De 1,1 % à sa création en 1990, la CSG et les autres prélèvements sociaux qui y ont été ajoutés atteignent désormais 15,5 %. Et après la hausse des prélèvements forfaitaires sur les différents revenus du capital (plus-values, dividendes, intérêts...), le budget 2013 les supprime pour passer à la taxation au barème de l'impôt sur le revenu. Dont les taux les plus élevés ont été singulièrement relevés depuis 2011 - tranche à 41 %, surtaxe très hauts revenus de 3 à 4%, puis tranche à 45 % et même imposition globale de 75%. On a vu l'écho de ces décisions s'agissant des plus-values de cession pour les créateurs d'entreprise. Mais bien d'autres gains ou revenus sont concernés. Les actions de performance et les options attribuées par les entreprises à leurs collaborateurs font ainsi l'objet d'un traitement encore plus stupéfiant : une cotisation sociale à la charge des bénéficiaires, créée par l'ancien gouvernement, est portée à 10 %, s'ajoutant bien sûr aux 15,5 % de prélèvements sociaux, le tout taxé désormais à l'impôt sur le revenu... Soit un prélèvement total pouvant s'élever à 75 %, rien que pour le bénéficiaire - l'entreprise devant pour sa part verser une taxe sociale de 30 % (14 % précédemment)... sur la valeur théorique de ces produits à leur attribution ! Encore s'agit-il du dispositif du gouvernement, que les députés semblent vouloir aggraver. On pourrait ajouter à cette litanie le « forfait social » qui passe de 8 à 20% sur la participation et l'intéressement, certes des revenus du travail, mais qui avaient historiquement vocation à incarner un choix collectif propre à notre pays en faveur de l'association à long terme capital-travail...

Les limites de la hausse continuelle des prélèvements

Si ce relèvement continu des prélèvements sur le capital chevauche les alternances, c'est que les pouvoirs publics semblent ne pas lui trouver d'alternative. Dans une situation où le redressement à marche forcée des finances publiques paraît indispensable pour ne pas entraîner la France dans la catégorie des pays qui doivent payer des intérêts prohibitifs sur une dette devenue gigantesque, il y a une forme de recherche panique de recettes nouvelles. Des trois grandes catégories d'assiette d'imposition, le travail, le capital et la consommation, la première fait à peu près consensus : il est impossible d'en rajouter alors que l'écart entre le salaire net et le coût du travail pour l'entreprise va à peu près du simple au double. Un record du monde, qui a déjà nécessité un correctif pour les bas salaires avec les allégements de charges. Et qui continue d'alimenter les réflexions visant à trouver une assiette de substitution permettant d'alléger un peu cette ponction et ainsi de favoriser l'emploi. La taxation de la consommation séduit régulièrement, en particulier lorsqu'il s'agit d'envisager une augmentation de la TVA pour diminuer les charges pesant sur le travail. Mais dans un pays où la consommation a été érigée en totem économique, les hésitations sont multiples, sans compter les débats sur l'injustice supposée de cet impôt qui en polluent l'analyse.

Reste le capital, dont la seule évocation semble pour beaucoup justifier un surcroît d'imposition. Alors même que le taux implicite d'imposition, c'est-à-dire le total de ce qui est prélevé rapporté à l'ensemble des revenus concernés, est déjà en France au plus haut niveau européen pour les revenus du capital, de 10 points supérieur à la moyenne selon Eurostat. Encore plus fort que l'imposition implicite du travail, pour laquelle la France est « seulement » dans la fourchette haute, mais de manière moins marquée. Et beaucoup plus fort que pour la consommation, que notre pays ne taxe « que » dans la moyenne européenne des taux implicites d'imposition, et qui est la seule catégorie dont le niveau de prélèvement a diminué au cours des dernières années par la grâce du taux réduit de TVA sur la restauration...

C'est donc là où l'impôt français cognait déjà le plus dur, le capital, que l'on ajoute plusieurs coups de marteau.

Reste bien entendu l'angle mort de cette approche par l'impôt : puisqu'il y a urgence à assainir les finances publiques, pourquoi ne pas se concentrer sur les dépenses plutôt que sur les recettes ? Des premiers efforts ont été accomplis pour le budget de l'Etat, avec le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, la revue générale des politiques publiques... Alors qu'elle semble aujourd'hui stoppée, il faudrait au contraire amplifier cette dynamique. Mais ce dont il est question est relativement modeste à l'aune de nos enjeux de finances publiques. La sphère des administrations centrales est par ailleurs déjà la mieux maîtrisée, les dépenses y évoluant en tendance moins vite que le PIB depuis plusieurs années. Si les dépenses des collectivités locales dérapent bien davantage, la progression la plus préoccupante reste bien entendu celle des dépenses sociales, aujourd'hui prépondérantes. Pour la première fois, en 2011, la part des seules prestations sociales versées a dépassé le coût des dépenses de fonctionnement de l'ensemble des administrations publiques.

Comme un Moloch, le social dévore tout, et représente aujourd'hui plus de 30% du PIB, en augmentation constante. De moins de 12 % du PIB en 1959, les seuls prestations et transferts sociaux en représentaient plus de 25 % en 2011. Soit environ dix fois l'impôt sur le revenu, près de quatre fois les recettes de TVA... De manière saisissante, cette évolution est parfaitement opposée à celle des marges des entreprises rapportées à la richesse nationale.

 

Prestations et transferts sociaux rapportés au PIB (en bleu), Excédent brut d'exploitation et revenu mixte des entreprises non financières rapportés au PIB (en rouge) - (Insee, comptes nationaux annuels)


Le financement de ces dépenses sociales suppose des recettes nouvelles toujours plus importantes. Ainsi, les cotisations sociales, qui assuraient plus de 85 % des dépenses des administrations de sécurité sociale au début des années 80, en représentaient 62 % en 2011. Même si un tiers de cet écart s'explique par le basculement des cotisations maladie des salariés sur la CSG à la fin des années 90, l'évolution est spectaculaire. Bien que surchargée de cotisations, l'assiette travail ne parvient plus à financer cette montagne de dépenses sociales, qui doit se nourrir d'autres recettes : avec de la TVA sur certains produits (alcool, tabac...), des taxations diverses comme celle des complémentaires santé, et surtout la CSG et ses prélèvements associés - CRDS, prélèvements sociaux additionnels sur le capital... Sans compter qu'une part des dépenses sociales est tout simplement non financée et directement transférée aux générations futures sous la forme d'une dette sociale qui dépassait les 220 milliards mi-2012.

 

Cotisations sociales / dépenses des administrations de sécurité sociale (Insee, comptes nationaux annuels)

 

Un système sans issue

Comment ne pas voir que ce système est sans issue ? De mécanismes financés par des cotisations, qui généraient des droits sociaux, nous sommes passés à un système confus étendu à tous. Tout se mélange, solidarité nationale et assurances sociales, dans un grand ensemble devenu incompréhensible, où les transferts de charges et de recettes se multiplient pour essayer de boucher un peu partout des trous créés par la dynamique des dépenses, les exonérations ou les prestations nouvelles.

Et les comparaisons ne sont donc plus raison. L'alignement de la fiscalité du capital et du travail à l'impôt sur le revenu prétend égaliser leurs niveaux de contribution à la solidarité nationale. Mais sans mesurer que le capital fait déjà l'objet de prélèvements au titre de la solidarité qui atteignent des niveaux considérables, 15,5% au moins avec la CSG et les prélèvements associés, 25,5% sur les plus-values des options et actions gratuites... Contrairement à la logique des cotisations sociales sur les revenus du travail, ces prélèvements n'ouvrent aucun droit, ne contribuent à augmenter aucune prestation future ! D'où également des expressions abusives : on parle de niches sociales, par extension de la notion de niches fiscales, alors que les revenus qui ne sont pas ou peu assujettis aux cotisations sociales sont exclus du calcul des droits à prestation... Quand le « forfait social » vient ponctionner 20 % sur les sommes de la participation et de l'intéressement, celles-ci contribuent de fait bien davantage au financement des dépenses de solidarité que les salaires, dont une grande part des cotisations sociales ouvrent des droits immédiats ou futurs.

Au total, ce système social à bout de souffle ne peut que coûter de plus en plus à la collectivité, en particulier sous l'effet du vieillissement de la population. Son financement créera de plus en plus de tensions, à chaque nouvelle taxe sortie du chapeau, comme l'a illustré la fronde des entrepreneurs sur les plus-values de cession. Il ne peut y avoir aucun revenu miracle, pas même la taxation accrue de la consommation, pour boucher les trous existants et à venir. De même que la dette ne peut être une solution, et que les économies envisageables sur les autres pans de la dépense publique ne sauraient suffire.

Pour un pays vieillissant, très endetté, à croissance potentielle modeste et à prélèvements obligatoires record, il n'y a tout simplement pas de financement viable d'un système social à la fois universel, de haut niveau pour tous et socialisé pour l'essentiel. Seul un transfert massif vers la sphère privée des prestations dépassant un niveau de solidarité à définir peut permettre de revenir à une trajectoire soutenable, comme l'ont d'ailleurs expérimenté certains pays nordiques qui ont fait face à cette même impasse. Renvoyer au libre choix des intéressés leurs arbitrages entre revenus directs et différés, consommation et épargne, redonnerait un souffle à l'économie que menace d'étouffer totalement un système social public dévorant.