Les gaz de schiste : oui s'ils financent la transition énergétique...

Par Maximilien Rouer et Thomas Braschi, BeCitizen  |   |  1051  mots
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Les gaz de schiste divisent farouchement la France et son gouvernement. Dans le même temps, Delphine Batho au nom de la défense de l'environnement exclut catégoriquement le sujet quand Arnaud Montebourg y voit un moyen du redressement productif. François Hollande quant à lui a fermé à demi la porte en refusant l'utilisation de la fracturation hydraulique en France, reportant toute éventuelle exploitation à l'invention d'une techique d'extraction plus propre et plus sûre. En réanimant les représentations les plus caricaturales de notre pays, le débat s'est cristallisé dans un affrontement idéologique borné. D'un côté, ses opposants pour qui les gaz de schiste incarnent l'industriel cupide prêt à solder le bien commun. En face, ses fervents défenseurs (cf l'appel de 22 personnalités de l'industrie) pour qui il faut saisir une opportunité inespérée de renouer avec croissance et reprise industrielle.

La gravité des crises économique actuelle et écologique à venir nous impose de ne pas fermer les yeux sur les risques environnementaux, particulièrement quand les dollars brillent ! Mais elle nous impose également d'accepter un certain risque industriel, car sans risque, point de progrès. Alors que la transition énergétique et notre système social peinent à se financer, les gaz de schiste pourraient dans les scénarios les plus optimistes permettre à la fois de renouer avec la croissance et d'entamer une réelle transition écologique. Une telle option se doit d'être considérée sereinement et collectivement entre citoyens, industriels et Etat.
Donnons-nous des principes d'exploitation positive des gaz de schiste et évaluons s'ils sont réalisables. Convenons par exemple que pour exploiter des gaz de schiste il faille réunir trois conditions :
- que les citoyens et les biens environnementaux soient protégés ;
- qu'il y ait une juste répartition de la rémunération entre les citoyens, le bien public et l'industriel ;
- et que toutes les parties prenantes soient associées à la gouvernance dans la transparence absolue des opérations.
Le premier grief des gaz de schiste est qu'ils soient émetteurs de gaz à effet de serre. Drôle de transition énergétique que de commencer par exploiter ces gaz profonds me direz-vous ... mais si c'était la seule voie économique de la réaliser véritablement ? Si les gaz de schiste sont si compétitifs, donnons-nous un objectif : pour chaque unité de gaz produite, qu'au moins une unité d'énergie soit économisée (via le financement de plan de rénovation thermique des bâtiments, la mise en place d'infrastructures de véhicules électriques, de modernisation de sites industriels, etc.), ou une nouvelle unité d'énergie renouvelable soit financée. Que l'impact climat des fuites de méthane en surface soit plus que compensé par des projets locaux. Donnons aux gaz de schiste un impact énergétique et climatique positif.
Les industriels considèrent, et les experts de l'Etat valident, que les autres impacts environnementaux sont maîtrisables. Par exemple, les risques de fuites de gaz des puits (risques communs à toute exploitation gazière ou pétrolière dans le monde), sont faibles si le forage est réalisé dans les règles de l'art et il est possible de surveiller les puits pour contrôler leur vieillissement (en exploitation puis en fin de vie); imposons et contrôlons des normes strictes. Les risques de contamination depuis le schiste vers la nappe avec les eaux utilisées pour la fracturation de la roche (ceux-ci spécifiques des gaz de schistes) peuvent être appréciés en amont par les géologues. La probabilité d'occurrence est plus importante pour les ressources du Sud-est avec des réservoirs d'eau potable plus vulnérables que dans le bassin parisien, où la roche-mère visée est séparée par plusieurs centaines de mètres des nappes. Suspendons les exploitations tant que la sécurité n'est pas garantie, comme il semble que cela puisse être le cas dans le Sud-Est.
L'usage des produits chimiques peut être encadré par une liste de 20 produits considérés comme non problématiques. Vérifions cette liste et autorisons exclusivement l'utilisation de celle-ci. Enfin, rendons les industriels responsables de tout leur périmètre de risque, et pas seulement de leur périmètre d'exploitation, comme par exemple celui de la qualité de la nappe phréatique. Vérifions que les industriels ont les capacités techniques et financières suffisantes pour intervenir en cas d'incidents (qu'ils jugent eux-mêmes improbables) et laissons les opérer, sous le contrôle de l'Etat et des citoyens.
Les nuisances liées au déplacement des camions et aux impacts paysagers doivent d'abord être limitées au maximum (usage maximal de pipe pour l'eau, camouflage des installations, etc.), puis compensées largement pour que l'équilibre soit positif pour chacun. L'Etat doit se porter garant de cette équation qui doit être vertueuse ou ne pas être.
La juste répartition de la rémunération entre les industriels, les citoyens et le bien public repose sur les espoirs issus d'une estimation imprécise des ressources (et non des réserves qui sont des ressources avérées) de gaz de schiste français et encore plus imprécise de son potentiel économique. Selon la US energy information administration, la France serait dotée de ressources équivalentes à 90 années de consommation nationale de gaz. Il se peut tout à fait que suite à étude, seuls 3 % de cette ressource soit technico-économiquement exploitable, ou qu'inversement l'intégralité du potentiel soit disponible pour exploitation. Ce gisement représente un enjeu économique colossal puisque l'énergie occupe la 1ère place dans le déficit de la balance commerciale : 62,4 milliards en 2011. L'exploitation du gaz de schiste permettrait à l'état français de réduire le déficit commercial et d'obtenir idéalement une « rente gazière » par ces nouvelles activités sur son sol.
Néanmoins, les coûts d'exploitation en France devraient être plus élevés qu'aux Etats-Unis, à cause de la densité de population, d'un impact sur le tourisme plus conséquent à compenser et d'une attention sociale et environnementale plus forte (que nous appelons de nos v?ux à renforcer encore). On sait également que les prix de production aux Etats-Unis, qui devraient se stabiliser autour de 5 à 6 dollars/millions Btu (British thermal unit). contre un prix de marché de 12 voire 14 en Europe), ménagent une marge potentielle conséquente. Cette réserve économique, si elle est confirmée, peut-elle financer des normes environnementales qui garantissent la sécurité du citoyen et une rémunération locale doublées d'un mécanisme de financement de la transition énergétique ? C'est une condition à fixer pour décider une exploitation positive de cette ressource, sous le contrôle des citoyens et de l'Etat.
Arrêtons ce débat caricatural, et si toutes les conditions ne sont pas réunies, n'exploitons pas les gaz de schiste. En revanche, si il est possible dans le respect des intérêts des citoyens et dans la préservation des biens environnementaux de mettre la France sur le chemin de la croissance et de la transition écologique, faisons-le !

(*) BeCitizen est un cabinet de conseil en stratégies de rupture.