La "baguette magique" des banques centrales

Par François Leclerc  |   |  735  mots
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Annuler la dette publique détenue en masse par les banques centrales permettrait d'un coup de désendetter les États. Au risque d'une forte inflation, mais préférable à la déflation.

Les réunions de Tokyo, où s?est déroulée il y a une semaine l?assemblée annuelle du FMI, ont été l?occasion d?attaques en règles, emmenées par le ministre brésilien des finances, Guido Mantega, contre les injections massives de liquidités opérées par les banques centrales. Elles ont conduit Christine Lagarde, la présidente du FMI, à rappeler que « [le FMI a] travaillé afin de redéfinir, en tant qu?institution, [sa] vision de la libéralisation et de la gestion des flux de capital, du point de vue des pays qui les reçoivent et de ceux qui les génèrent ».En d?autres termes, le FMI pourrait finir par assouplir son refus de toute entrave à la libre circulation des capitaux. De fait, il ferme déjà les yeux.

L?annulation de la dette publique détenue par les banques en débat

Fallait-il attendre de Ben Bernanke, le président de la Fed, autre chose qu?un plaidoyer pro domo sur le thème « ce qui est bon pour les États-Unis l?est pour le monde entier, ce qui aide à renforcer l?économie américaine soutient également l?économie mondiale? ». Mais son collègue de la Banque du Japon, Masaaki Shirakawa, a adopté un point de vue beaucoup plus nuancé, en s?inquiétant des « dommages collatéraux » produits par le crédit facile et abondant, et la possibilité que celui-ci entraîne une nouvelle crise financière, en raison du « parallèle qui peut être fait avec les circonstances qui ont abouti à la croissance de la grande bulle du crédit des années 2000 ».Mais, en fait, c?est un bien tout autre débat qui a plus discrètement commencé, révélé dans les colonnes du Financial Times par Gavyn Davies. Il a été engagé en privé ? et nié en public ? par Adair Turner, le président du FSA (Financial Services Authority, le régulateur financier britannique) et candidat à la succession à la tête de la Banque d?Angleterre de Mervyn King, qui est sur le départ. Car la lancinante question de la diminution de la dette publique est toujours posée, sans que nulle part n?y soit apportée de réponse convaincante jusqu?à ce jour.
Ne faudrait-il pas alors finir par envisager d?annuler la dette publique détenue en masse par les banques centrales? Par définition, cela ne léserait aucun créancier privé, mais serait susceptible ? et toute la question est là ? de déclencher cette inflation si redoutée. Si l?on prend l?exemple de la Banque d?Angleterre, qui possède un quart de la dette britannique, une même proportion de celle-ci serait effacée sans tambour ni trompette par une telle mesure?Certes, cela laminerait les fonds propres des banques centrales, qui supporteraient d?importantes pertes, mais elles ne feraient pas sans doute faillite pour autant! L?inflation atteindrait en revanche les investisseurs privés, ce qui justifie d?y regarder à deux fois et de tenter d?en apprécier le danger dans le contexte actuel.
Mais, au vu des milliers de milliards de dollars, de livres, de yen et d?euros déjà déversés par les banques centrales sans toujours rien déclencher, quelques espoirs sont permis? Et puis, le danger de la déflation est supérieur à celui de l?inflation. De deux maux, il va falloir choisir le moindre.
Toutes les pistes contribuant au désendettement des États sont peu à peu progressivement explorées, car plonger les uns après les autres les pays dans une longue récession au prétexte de leur faire résorber la dette n?est sans doute pas, comme on peut le voir, une bonne solution.
Annuler la dette en poursuivant son transfert des créanciers privés aux banques centrales est une forte tentation, car cela ferait coup double en exonérant ceux-ci de toute peine, tout en aidant, comme par un coup de baguette magique, les États à se désendetter. Mais c?est à nouveau balayer les miettes sous le tapis.

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François Leclerc, ancien conseiller au développement de l?agence France-Presse, tient la chronique de « L?actualité de la crise » sur le blog de Paul Jorion. Il est l?auteur de Chroniques de la grande perdition (éditions Osez la République sociale !, 2012, 168 p., 8,50 euros).