L'Allemagne : un modèle économique à l'origine de ses propres fragilités

Par par Romain Sarron, de Coe-Rexecode  |   |  1202  mots
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L'Allemagne est présentée comme un modèle pour la France. Romain Sarron, économiste à COE Rexecode et spécialiste de ce pays, note que le modèle a toutefois des failles, et que l'Allemagne aura a faire face à un certain nombre de défis dans les années qui viennent.

Exception faite de l'épisode récessif de 2009, les bonnes performances économiques allemandes initiées au cours de la deuxième moitié des années 2000 ont porté aux nues les vertus du « modèle allemand », encensé non seulement en France mais aussi à travers toute l'Europe. Fondé principalement sur la compétitivité des entreprises et la maîtrise des comptes publics, ce dernier est apparu comme un recours aux modèles visant à stimuler la croissance par la consommation et l'endettement, qu'il soit privé ou public.

A la lumière des débats récents, il semble qu'une distinction doive être faite entre ce que l'on désigne communément sous l'appellation de « modèle allemand » et les mesures adoptées en Allemagne au début des années 2000 dans le cadre de « l'agenda 2010 » fixé par le Chancelier Gerhard Schröder et poursuivi depuis par Angela Merkel. Ces réformes ne doivent d'ailleurs pas être perçues comme une remise en cause des principes fondamentaux du « modèle allemand » mais plutôt comme une réponse aux nouveaux défis posés par l'intensification de la concurrence internationale et par les pertes de compétitivité endurées par les entreprises allemandes durant les années 1990.

Le modèle allemand : une économie sociale de marché

Le modèle allemand, fondé sur l'économie sociale de marché, tire ses origines de l'analyse de la crise de 1929 et s'est construit au sortir de la seconde guerre mondiale en réponse aux modèles totalitaires nazi et communiste en RDA. Il place les entreprises au c?ur de la stratégie économique et de l'intégration sociale. La croissance économique et par la suite le niveau de la consommation dépend de leur compétitivité. Celle-ci reste un moyen et n'est pas une fin en soi. Le Mittelstand, tissu d'entreprises compétitives de taille moyenne et tournées vers des stratégies de long terme, est l'incarnation de ce modèle.

Au début des années 2000, le climat conjoncturel est relativement dégradé en Allemagne, qui est présenté comme « l'homme malade » de l'Europe et qui doit en plus absorber le choc engendré par la réunification. L'activité est peu dynamique (1,3% de croissance par an en moyenne entre 1997 et 2005). Les déficits publics s'établissent au-delà de la limite de 3% du PIB fixée par le Pacte de stabilité et de croissance. Les entreprises ont perdu en compétitivité. Le taux de chômage reste figé aux alentours de 10%. Face à ce constat, les autorités allemandes ont essayé de répondre de manière pragmatique. De nombreuses mesures ont été adoptées (Lois Hartz I, II, III et IV sur le marché du travail entre 2003 et 2005, réforme de l'assurance-maladie en 2003, introduction d'une TVA sociale en 2007). Des accords de compétitivité ont été conclus au sein des entreprises et ont entraîné une politique de modération salariale, conditionnée le plus souvent par le maintien de l'emploi et le renoncement à des plans de délocalisation.

Ces mesures ont permis de restaurer voire de renforcer les atouts structurels de l'économie allemande (industrie exportatrice haut de gamme, compétitivité coût, fiscalité favorable à l'emploi et à la croissance, utilisation de la main d'?uvre qualifiée des pays émergents, équilibre des finances publiques, profitabilité des entreprises). Elles ont toutefois renforcé les fragilités inhérentes au « modèle allemand ».

Un modèle à l'origine de ses propres fragilités

La croissance allemande provient excessivement de la capacité à exporter du secteur industriel et de l'investissement productif des entreprises. Le ralentissement conjoncturel qui se manifeste actuellement outre-Rhin est pour partie expliqué par l'affaiblissement de la demande des pays européens, principaux clients à l'exportation de l'Allemagne (60% des exportations). Les anticipations négatives en termes d'exportations pèsent aussi fortement sur les décisions d'investissement des chefs d'entreprise qui restent dans une position d'attente. L'investissement en biens d'équipement des entreprises s'est contracté de plus de 7% depuis un an. Ce manque d'investissement accroît l'obsolescence du capital productif et abaisse à terme la croissance potentielle. Un affaiblissement durable de la croissance en Europe aurait donc un effet négatif relativement prononcé sur l'économie allemande.

Le « modèle allemand » se caractérise également par la faiblesse de la demande des ménages. Celle-ci s'explique notamment par la déformation des conditions de répartition des gains de productivité au profit des entreprises qui est à l'origine de la phase de modération salariale intervenue au cours des années 2000. La consommation des ménages est également pénalisée par le niveau élevé deleur taux d'épargne, conséquence du vieillissement démographique. Si cette faiblesse relative de la consommation privée a rendu l'Allemagne dépendante de la situation économique de ses partenaires commerciaux, il est à relever qu'elle progresse désormais plus vivement qu'au début des années 2000 et qu'en France. Le niveau de consommation par tête est redevenu significativement supérieur en Allemagne par rapport à la France.

Dualité du marché du travail

Les réformes menées sur le front de l'emploi ont conduit à une dualité du marché du travail selon que les emplois soient soumis ou non à cotisations sociales. Ces réformes ont permis de réinsérer sur le marché du travail des personnes auparavant sans emploi. Un pas a donc été franchi. Mais il reste désormais à assurer la transition de ces personnes d'un emploi précaire vers un emploi durable. Sur ce point, les avancées semblent plutôt lentes. Par ailleurs, la loi Hartz IV, qui a durci le régime d'indemnisation des demandeurs d'emploi, a contribué à l'augmentation du risque de pauvreté des demandeurs d'emploi. Ainsi, 70,3% des chômeurs sont pauvres en Allemagne, contre 33,5 % en France. En revanche, les taux de pauvreté au travail sont identiques de chaque côté du Rhin avant transferts fiscaux et sociaux. Ce n'est qu'après redistribution que les taux de pauvreté au travail divergent en défaveur de l'Allemagne.

Le principal défi auquel l'économie allemande est d'ores et déjà confrontée est celui de la démographie. La rareté relative de la main d'?uvre qualifiée, notamment dans les secteurs les plus exportateurs, a permis d'expliquer la forte rétention de main d'?uvre pendant la récession. Cette tendance devrait s'amplifier à plus long terme. D'ici à 2050, la population active se contracterait d'un tiers. Il faut ajouter à cela l'allongement de l'espérance de vie. En 2010, on comptait en Allemagne 2,9 personnes de 20-64 ans pour une personne de 65 ans ou plus. En 2060, ce ratio passerait à 1,5. Ces évolutions sont de nature à remettre en cause la pérennité des régimes sociaux. A l'avenir, les dépenses de pensions de retraite devraient augmenter plus vite en Allemagne (+2,6 points de PIB entre 2010 et 2060) qu'en France (+0,5 point). Mener une politique d'immigration soutenue permettrait de surmonter la dynamique démographique défavorable à laquelle l'Allemagne est confrontée. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

 

par Romain Sarron, diplômé de l'ENSAE et titulaire d'un Master 1 d'économie de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a rejoint Coe-Rexecode en 2011 en tant qu'économiste. Il y est chargé du suivi des pays d' Europe centrale et orientale ainsi que de l'Allemagne au sein du département Conjoncture.