Florange, Mittal, Ayrault ou l'impuissance des Nations

Par Jean-Christophe Gallien*  |   |  632  mots
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À l'issue d'un bras de fer hors norme, Jean-Marc Ayrault se félicita «d'avoir démontré la capacité d'intervention de l'État». Pourtant l'accord trouvé ne remettait pas vraiment en cause les grandes lignes du projet industriel d'ArcelorMittal, réduire ses capacités de production d'acier brut en Europe. Puis catastrophe voilà que le groupe indien bouscule tout et renvoie Uclos, le projet européen, seule lueur d'espoir et promesse de jours meilleurs aux oubliettes d'un futur incertain.
Ce que révèle cette quinzaine Mittal, c'est la faiblesse d'un pays souverain dans la mondialisation. Le Monde change et ça fait mal ! Le gouvernement d'un pays qui se voit encore puissance mondiale de premier rang montre au grand jour toutes ses difficultés à s'imposer à un groupe industriel mondial. Pire il se divise face à l'ennemi.

Une guerre économique impitoyable
Voici la dimension impitoyable de la guerre économique que nous ne disons pas. Nos propres voisins du pays, Grande Bretagne en tête interviennent avec une agressivité opportuniste et déclarent eux aussi la guerre à la France quand celle-ci fait mine de revenir aux solutions du début des années 80, la nationalisation.
Ce qui est mis en lumière c'est la profonde fragilité des Etats nationaux contemporains de la mondialisation. Des Etats isolés et coincés entre les exigences puissantes des acteurs libres de cette économie mondialisée, les entreprises transnationales, certains pays affranchis des règles de l'OMC, et les attentes légitimes de leurs populations pour davantage de courage, d'engagement et démonstration de force des leaders politiques et gouvernementaux.

Les citoyens veulent des engagements
Les citoyens, s'ils ont bien conscience des déséquilibres provoqués par les libertés de mouvement des uns et les faiblesses organiques des autres, veulent des politiques à leurs côtés, des politiques qui gouvernent à travers des réalisations et pas seulement des incantations. Bien sûr les mêmes citoyens attendent, ils en sont friands, des histoires où se mêlent identité, fierté et affect, une narration politique qui nourrit leurs curiosité quotidienne à la fois sincèrement inquiète et un peu voyeuriste, mais ils veulent surtout des engagements qui structurent en profondeur et dans la durée leur confiance en un futur qu'ils perçoivent comme incertain et brutal.

Les limites de la communication politique
Mittal l'a bien compris qui sur le terrain de la bataille des histoires a laissé le gouvernement penser qu'il avait maîtrisé la narration et gagner le combat du storytelling à défaut de l'avoir scénarisé comme certains ont pu le décrire. Cette semaine, le temps était venu de passer aux actes et d'instruire non plus la fiction mais la réalité. C'est alors que Mittal a dégainé une annonce terrible qui venait vitrifier la belle prose gouvernementale : le projet Uclos ne sera pas présenté à la Commission cette année ! Laissant s'amplifier la rumeur de l'abandon définitif du site. Voici décrites les limites de la seule communication politique, rassurer et faire rêver les fidèles, montrer les dents et tenter de faire peur à ses adversaires mais ne pas oublier de s'ancrer aussi dans la réalité et produire des actes !

Une impuissance définitive? 
L'impuissance des Etats, donc la nôtre, est-elle définitive ?La réponse est non ! L'Europe est le laboratoire vivant de cette résistance future. C'est une puissance publique en construction qui doit s'affirmer dans cette guerre économique, contre la guérilla du marché et des grands opérateurs économiques mondiaux. Plus encore, il faut des leaders politiques nationaux, hommes et femmes champions d'une vision claire qui s'engagent au delà de la communication.Des leaders de guerre.

*Professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne
Conseil en communication d'influence
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals