Brevets : il est urgent de repenser la réglementation

A partir de l'exemple d'actualité offert par Apple et Google qui se seraient alliés pour faire une offre de rachat des brevets de Kodak, Christophe Roquilly, professeur à l'EDHEC spécialiste de la propriété intellectuelle, explique dans cette tribune pourquoi la complexité des brevets ne permet pas aujourd'hui d'en faire des leviers d'innovation et de croissance.
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En 2003, Kamil Idris, directeur général de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), a publié un ouvrage intitulé « Intellectual Property - A Power Tool for Economic Growth ». Effectivement, les droits de propriété intellectuelle sont fondés sur un principe simple : celui qui crée et innove doit être récompensé par l'attribution de droits exclusifs qui lui permettront d'obtenir un juste retour sur investissement. Toutefois, l'équation est aujourd'hui un peu plus compliquée qu'il n'y parait, étant entendu que les droits de propriété intellectuelle sont loin de constituer une catégorie absolument homogène...

Dans certains pays, et particulièrement aux Etats-Unis, le recours massif aux brevets d'invention a notamment eu trois conséquences mal anticipées : d'une part, l'engorgement de l'Office des Brevets qui peine à examiner avec toute la rigueur nécessaire les demandes qui lui sont faites ; d'autre part, l'accumulation de brevets pas toujours solides qui facilite la contestation et les actions menées par les fameux « patent trolls » ; enfin, le développement de comportements opportunistes de certaines juridictions qui se sont faite les hérauts de la protection des titulaires de brevets. Les brevets finissent par inhiber au moins autant qu'ils ne motivent... Ou alors ils font l'objet de vastes parties d'échec entre les poids lourds du marché, comme le montre encore l'information selon laquelle Apple et Google - par ailleurs concurrents - pourraient faire une offre commune pour acquérir les brevets détenus par Kodak. Cet accord pourrait alors éviter une surenchère entre les deux concurrents, à la fois couteuse tant au niveau du prix d'acquisition que des éventuels litiges sur les brevets détenus par chaque entreprise.

Les droits de marques et les droits d'auteur présentent un autre type de problème. Face au développement de l'économie numérique et aux mécanismes d'échanges et d'offres sur Internet, ces droits sont soutenus par des modèles juridiques somme toute plutôt anciens. Chacun s'accorde à dire qu'ils doivent être adaptés aux nouveaux business models, mais les divergences sont fortes quant au sens de l'adaptation. Faut-il étendre leur portée et faciliter les poursuites pour contrefaçon, ou au contraire limiter aux cas de piratage les plus critiquables, à savoir ceux qui génèrent du profit au bénéfice de leurs auteurs ?

Les juristes ne peuvent, seuls, apporter des réponses efficaces et efficientes à ces questions. Il est urgent de valoriser une vraie approche pluridisciplinaire où économistes et sociologues fourniront les outils de compréhension des phénomènes. C'est à cette condition que les droits de propriété intellectuelle pourront constituer de vrais leviers de croissance économique, et non des freins à l'innovation.

 

par Christophe Roquilly, professeur à l'EDHEC, directeur du Centre de recherche LegalEdhec et reponsable de la filière Business Law & Management


 

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Commentaires 7
à écrit le 13/01/2013 à 15:59
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Monsieur Rocquilly bonjour Avant de faire intervenir de grands esprits du type sociologues ou economistes dans les discussions sur le theme des brevets(dont les caracteristiques sont assez differentes de celles des autres droits de propriete intellec...

à écrit le 17/12/2012 à 14:47
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Merci de vos commentaires (ça veut dire que vous êtes déjà au moins trois personnes à avoir lu cet article ;) Concernant le Parti Pirate, je n'adhère - et n'adhérerai jamais - à aucun parti. En revanche, je serais ravi d'échanger avec vous. Je ne sui...

à écrit le 16/12/2012 à 20:18
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Sans nécessairement adhérer à ce fameux Parti Pirate, il est vrai qu'il serait intéressant de le voir débattre avec M. Roquilly, étant le parti le plus au fait de ces questions (propriété intellectuelle & co) même s'il n'est pas assez mature et subti...

le 17/12/2012 à 2:46
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Oui, sans même adherer, ce serait vraiment bien de pouvoir confronter nos cogitations aux votres. Y a pas mal de monde qui a fait beaucoup de travail sur les droits d'auteurs. Sur les marques, c'est deja moins ca. Et sur les brevets, encore moins :...

le 18/11/2014 à 8:26
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Nous sommes les champions du monde ..de la démagogie : tous les pays l ont supprimé car c est un frein à l investissement ; nous avons une "goôche " du moyen âge dont le seul slogan est de prendre aux riches pour donner aux pauvres , l Impôt just...

à écrit le 16/12/2012 à 19:11
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Monsieur Roquilly, Vous devriez adhérer au Parti Pirate qui planche activement sur ces questions, et qui a d'ailleurs bien avancé avec des propositions concretes dans le domaine des droits d'auteurs, mais qui n'a pas suffisament de gens qui soient e...

à écrit le 13/12/2012 à 16:52
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les brevets sont la meilleure facon de couler un concurrent. On lui colle un proces (meme en sachant qu on va perdre). Mais comme le concurrent va depenser argent et energie sur le terrain juridique au lieu d ameliorer son produit, au final on pourra...

le 17/12/2012 à 2:39
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Cdg, il faut d'apres moi regarder la problematique du droit des brevets de deux facons : - Il y a les regles du jeu qui ne permettent plus dans certains secteurs d'etre "un levier a l'innovation" comme l'a justement decrit monsieur Roquilly. Et la i...

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