Les technopoles sont-elles encore utiles ?

Par Christian Travier*  |   |  1219  mots
LMT
Alors que la France s'inquiète du délitement de son tissu industriel, la Mayenne a su réagir en créant il y a 16 ans une technopole autour de la ville de Laval. Il s'agissait d'apporter des solutions aux problématiques entrepreneuriales qui se posaient aux start-ups, mais également d'inscrire une région mal-lotie en infrastructures universitaires au coeur de l'économie de l'innovation. La technopôle de Laval peut aujourd'hui se targuer de son succès à force de volontarisme et de remises en causes incessantes...

A l'heure où l'innovation semble encore et toujours le seul et dernier rempart contre la « déclinitude », à l'heure de la création quasi compulsive d'outils nouveaux*, à l'heure de la mondialisation des discours sur l'innovation, où il faut justifier d'une « taille critique » pour exister, on pourrait se demander quel rôle peut encore jouer le plus ancien outil de soutien à l'innovation, que sont les technopoles. Comment une technopole, acteur essentiellement local et territorial peut encore jouer son rôle et justifier de son utilité ? En s'appliquant à elle-même, les meilleures recettes enseignées aux entreprises qu'elle accompagne : innovation, différentiation, connexion au monde.

Un catalyseur nécessaire

L'entreprise même si elle se dématérialise et se numérise à grande vitesse, reste et restera une aventure d'hommes et de femmes, ancrée dans son département, sa région. Ce territoire qui l'a vue grandir avec les réseaux locaux tissés est le terreau d'une entreprise durable, inscrite dans une trajectoire noble et sociale. Agir sur un territoire, au c?ur des réseaux et y insuffler l'esprit d'innovation reste donc une nécessité que seul un acteur de proximité peut embrasser.

L'exemple de la Mayenne, département rural mais industriel, à l'économie diversifiée, faite d'entreprises patrimoniales, mérite que l'on s'y intéresse. Les entrepreneurs y travaillent en réseau, en se serrant les coudes, les salariés y font preuve d'une grande compétence, les élus se mobilisent pour développer les infrastructures de demain (très haut débit, open data, parc logistique multimodal, cité de la réalité virtuelle, LGV). Que peut apporter une technopole dans ce contexte ?

Laval Mayenne Technopole (LMT), créée, il y 16 ans, à une époque où il était un peu incongru de se doter d'un tel outil dans une agglomération de moins de 100 000 habitants, joue aujourd'hui un rôle de catalyseur de l'innovation, à la fois au niveau de la création d'entreprises innovantes et dans le développement des innovations au sein des PME.

Un petit territoire connecté à l'international

Vu sa taille, Laval reste encore faiblement pourvue en établissements d'enseignement supérieur et laboratoires de recherche, même si le remarquable travail de Laval Agglomération a permis sur les deux dernières décennies la création de plusieurs établissements d'enseignements supérieurs (ESIEA, ESTACA, Arts et métiers, ...) comprenant tous des laboratoires de recherche. Il est donc plus difficile qu'ailleurs de trouver les porteurs de projets de création d'entreprises innovantes qui feront le tissu économique de demain. LMT a donc entrepris depuis 6 ans une politique volontariste d'attraction de porteurs de projets, qui a permis la création de 60 entreprises innovantes.

En inventant avec Idénergie le premier accélérateur de start-ups avant même que ce concept ne soit à la mode, LMT a trouvé comment attirer sur son territoire des entrepreneurs qui n'y seraient pas venus spontanément. En offrant, la possibilité cette année à l'un des lauréats de ce programme de participer à une compétition européenne de business plan organisée par LMT et ses partenaires (Edimbourg, Londres et Dublin), LMT démontre qu'on peut être un petit territoire, mais offrir à ses entrepreneurs une connexion à l'international.

L'innovation n'est pas réservée à une élite

Toutes les entreprises ont envie d'innover. Cependant, dans les TPE et PME de moins de 100 personnes qui constituent l'essentiel du tissu économique mayennais, les entrepreneurs manquent souvent de temps, de ressources humaines et de moyens pour initier une démarche d'innovation.

 

LMT s'est attaqué à cette question en créant en 2009, sur le territoire des Coëvrons (regroupant 4 communautés de communes) à la demande des élus et du club d'entreprises, un projet baptisé de façon prophétique « Réussir en Coëvrons » : il s'agissait là de sensibiliser les petites entreprises au fait que l'innovation n'est pas réservée à une élite. D'abord sceptiques, les entreprises ont petit à petit adhéré, testé, expérimenté, osé se lancer dans des actions d'abord modestes puis plus importantes. Aujourd'hui, plusieurs dizaines de projets ont été lancées dans les entreprises, une plateforme régionale d'innovation est en émergence, et un projet européen de développement du territoire a démarré. Une telle dynamique fait des envieux et LMT est sollicité pour dupliquer ce programme ailleurs.

Accompagner les PME en les formant

Toutes les entreprises ne peuvent se doter de services de R&D et d'innovation : peu importe, car aujourd'hui cela n'est plus forcément nécessaire. L'apparition des concepts d'innovation ouverte d'abord réservés aux grandes entreprises doit maintenant être diffusés dans les PME. Pour cela, LMT s'est lancé dans un projet européen visant à mettre en place ces méthodes au sein des PME. Cela passe par un programme de formation-action, les Masterclass OPEN, qui permettent aux entreprises de se former tout en démarrant un projet (innovation participative, challenge des fournisseurs, coopération avec des start-ups ou des labos, ..). Huit entreprises ont expérimenté le programme en 2012 et 32 autres pourront se lancer en 2013. Le challenge MAYAM qui permet à 8 équipes de 6 étudiants de Laval de travailler pendant 10 jours à la réalisation d'une application innovante de la réalité virtuelle pour le compte de 8 PME, est une autre illustration d'une action simple, efficace et génératrice de développement mise en place par LMT avec Art et Métiers Paristech de Laval.

Innover constamment, proscrire le "suivisme"

En visitant récemment les incubateurs taiwanais les plus performants et en échangeant avec de nombreuses start-ups de ce pays classé 1er au monde pour l'entrepreneuriat, j'ai pu constater une nouvelle fois que les problématiques d'innovation et d'entrepreneuriat sont les mêmes partout. Une technopole, acteur local très au fait des réalités de son territoire, en prise directe avec les entreprises qu'elle connaît très bien, mais aussi en partenariat étroit avec des acteurs aux quatre coins de la planète, peut concilier le paradoxe d'être à la fois locale et globale.

C'est de cette double connexion, que résulte une dynamique puissante de développement. Pour que celle-ci soit maximale, il est essentiel pour une technopole d'un petit territoire d'innover constamment dans la façon de faire, car le suivisme ne peut permettre de combler les écarts de taille. C'est ce qu'a fait Laval Mayenne Technopole en créant le plus grand salon de réalité virtuelle européen, le premier start-up accelerator français, en étant le premier organisme labélisé Living Lab en Pays de la Loire, en créant Inov'dia une manifestation dédiée à l'innovation complètement innovante dans son approche, en faisant de l'Open Innovation son fer de lance, et demain en créant un lieu de 200m² en centre ville, entièrement dédié à l'innovation et unique en Europe.

Oui, une technopole dynamique et innovante a encore un rôle unique à tenir dans l'écosystème de l'innovation, au profit des entrepreneurs et des territoires. Attention donc à ne pas casser les vieux jouets, sous prétexte que Noël a apporté son lot de nouveautés !

 

Christian Travier, ingénieur, docteur en physique est Directeur de Laval Mayenne Technopole.

*Pôles de compétitivité, Labex, Institut de Recherche Technologique (IRT), Institut d'Excellence en Energies Décarbonées (IEED), Société d'Accélération de Transfert Technologique (SATT)