Mariage gay, référendum et adhocratie

Par Jean-Christophe Gallien*  |   |  810  mots
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C'est un peu comme si nous avions enfin trouvé, nous aussi, nos Indignados ou nos Occupy à nous. Des français se mobilisent, en masse, hors des cadres de mouvements politiques, syndicaux, mais aussi de groupes de pressions permanents. Enfin presque ! Au delà du sujet débattu et de sa compléxité, l'apparition en France de ce que l'on peut qualifier d'« adhocratie », est ce qu'il faut retenir de ce dimanche.
La complexification et l'élargissement de l'espace public, la crise économique mondiale et la popularisation de l'Internet, en particulier mobile, dynamitent un modèle représentatif vissé dans les vieux paradigmes démocratiques. Une nouvelle ère institutionnelle et politique, j'ajouterai citoyenne, émerge au c?ur d'un temps des incertitudes radicales et des vérités politiques faibles.
Le concept d'adhocratie a été créé en 1964 par les chercheurs Warren G. Bennis et Philip E. Slater pour essayer de décrire un nouveau modèle d'organisation flexible, intuitive et innovante. Le concept fut mûri par Henry Mintzberg et des penseurs comme Alvin Toffler. Ils se méfiaient du monde vertical, des solutions carrées, des experts, des grandes organisations mais aussi des gouvernements et de leurs bureaucraties. Ils pensèrent une adhocratie comme un corps théorique de l'organisation flexible, multidisciplinaire et dynamique. Dans notre millénaire, l'adhocratie est moins une organisation qu'une feuille de route, un état d'esprit ou un nouveau cadre pour penser la coexistence les antinomies contemporaines.

Une désintermédiation presque totale
L'adhocratie à l'ère numérique mute aussi en intelligence collective. Les projets ne sont plus quelque chose de fermé, définitif, en version alpha. Tout se passe comme dans un état bêta instable, inachevé mais opérant. L'adhocratie habite l'horizontal où l'innovation, inventive subversive, anti-dogmatique, spontanément peut venir de n'importe où. Son paradigme se confond avec l'horizontalité des réseaux.
Elle fonctionne dans une désintermédiation presque totale. Elle profite d'une décentralisation des moyens de création et d'action politique, de communication aussi. Elle cohabite avec la disparition progressive de l'influence des intermédiaires : médias verticaux, partis politiques, syndicats ...
Internet et les réseaux peuvent permettre de s'organiser sans les structures auxquelles on est habitués hors du web. Les structures sont beaucoup plus lâches, elles reposent sur des liens faibles, mais qui peuvent être multipliés.

Pas d'axe droite-gauche
Ces mouvements ne s'inscrivent pas dans un axe droite-gauche. Et tout ceci est bien plus complexe que ne veulent le décrire les certitudes si simples de Mmes Taubira et Bertinotti. Il y a une rupture transversale profonde qui ne suit pas les lignes de séparation de l'échiquier politique. Jouanno, Bachelot, et quelques uns à droite poussent du côté du Gouvernement, Jospin, Collomb et bien d'autres à gauche voudraient freiner le mouvement. Des homosexuels et des hétérosexuels se partagent des deux côtés aussi, de droite comme de gauche. On retrouve là les fondamentaux d'une adhocratie contemporaine.
Nous sommes passés de conflits politiques ou sociaux à des conflits anthropologiques difficiles à appréhender pour les forces politiques voire syndicales.
Enfin plutôt que de vouloir la renverser, ces formes d'actions viennent se glisser dans les temps des rythmes de la démocratie représentative. On cherche à intégrer, réunir des différences, de la diversité, parfois très puissamment opposées.

Pas de possibilité de récupération
Quelles passerelles entre la démocratie représentative et cette société civile en mouvement ?
Les partis, même de droite, n'ont aucune prise sur cette force. Il n' y a pas de possibilité de récupération. Il n'y aura pas ensuite de Tea Party à l'américaine, mais il ne s'agit pas non plus d'une force provinciale qui va rentrer chez elle sagement. Il ne s'agit pas d'un mouvement de radicalisation, pas non plus d'un acte de démonstration de ras le bol général. Il s'agit juste d'une démarche pour dire non à un projet qu'ils jugent inacceptable pour aujourd'hui et pour demain.
On voit bien la nécessite de faire évoluer notre démocratie. Pas la participation, mais une démocratie juste augmentée dans la certitude que le mandat électoral n'est pas tout. On le voit en France, en Espagne, aux USA ... Face à un million de citoyens qui ne veulent pas renverser un Gouvernement ni ici, ni ailleurs, la victoire électorale n'autorise pas tout désormais sans discussion citoyenne approfondie. Au delà du sujet, c'est la volonté citoyenne qui doit être entendue, au delà des professionnels de la participation et de l'influence, la nouvelle gouvernance doit écouter, écouter encore et toujours la voix des citoyens et surtout ralentir le temps électoral et médiatique pour garantir le succès du projet collectif.

Professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne
Conseil en communication d'influence
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals