La catharsis japonaise

Michel Santi est l'auteur de "Splendeurs et misères du libéralisme", ouvrage dans lequel il s'interroge sur les raisons de la crise qui secoue l'Europe. Dans cette chronique, il évoque l'expérience japonaise, qui après avoir traversé une "décennie perdue", a décidé de rompre avec la déflation via une politique budgétaire et monétaire audacieuses visant à affaiblir le yen et relancer les exportations.
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 Voilà environ cinq ans que l'orthodoxie paralyse toute reprise économique et que le politiquement correct tétanise les banques centrales. Le chômage très élevé - qui ira en s'aggravant en 2013 dans un pays comme la France - n'y change rien. L'obsession des déficits et l'angoisse face aux expéditions punitives des marchés unissent les meilleurs adversaires - droite comme gauche - dans un même combat contre un ennemi commun, quoiqu'imaginaire, à savoir l'inflation ! Rien ne doit être entrepris pour attiser l'inflation, et tout doit être sacrifié à l'aune de l'austérité. Car il est dit que nous serons un jour récompensés en retour : dans cette vie, ou plus vraisemblablement dans l'autre... Une nation majeure - le Japon - vient cependant de trouver le cran de rompre ce consensus touchant. En décidant d'aborder le problème par le bon bout tout en identifiant enfin ses vraies priorités. C'est en effet bien avant que notre monde occidental ne sombre, dès 2007, que la répétition générale de notre crise économique fit des ravages dans ce pays. Tardives et timorées furent pourtant les réactions et mesures des gouvernements qui s'y succédèrent depuis l'implosion - au début des années 90 - de ses marchés immobilier et boursier. Bridés par le dogme néo-libéral qui considère les déficits à l'égal de l'Antéchrist, les dirigeants nippons commirent systématiquement l'erreur puérile de réduire leurs dépenses publiques avant que la reprise économique en cours ne soit suffisamment solide. Pour laisser la place à un régime chronique déflationniste qui devait régner en maître dès la fin des années 90.

Sursaut national

Un homme - Shinzo Abe - qui vient d'être élu Premier Ministre de ce pays avec une majorité écrasante vient néanmoins de décider de mettre en place une « politique monétaire audacieuse, une politique budgétaire flexible et une stratégie pour encourager l'investissement privé », pour reprendre les termes de son communiqué à l'issue de sa victoire aux élections. La séquence de l'arrivée au pouvoir de cet homme peu conventionnel, comme du changement radical d'approche pour remédier à ce mal endémique qu'est la déflation, ne doit pourtant rien au hasard. En effet, pour la première fois depuis 1980, la balance commerciale de ce pays est très clairement déficitaire ! Si le déficit budgétaire nippon était effectivement toléré par les citoyens et par l'élite de ce pays, tout comme l'était jusque là l'anémie de sa conjoncture économique. S'il importait peu après tout que la dette publique japonaise se monte à 230% du P.I.B. national (ce chiffre étant à 110% aux U.S.A.), car détenue à 85% par des nationaux. Le fait que le Japon ne soit plus une nation créditrice et que les japonais commencent à devoir de l'argent à des créanciers étrangers a provoqué un sursaut national, intelligemment exploité par Monsieur Abe, qui a promis de transformer les déficits de son pays en excédents.

La Banque du Japon doit jouer son rôle

Pour atteindre cet objectif, le nouveau gouvernement nippon a impérativement besoin de la coopération sans faille de sa banque centrale - la Banque du Japon - qui s'est révélée pour le moins défaillante dans sa lutte contre la déflation, comme contre l'appréciation gigantesque de sa monnaie - le Yen - ayant vu sa valeur doubler depuis le début des années 90 ! Voilà donc les fondements de cette nouvelle politique japonaise dont l' « audace » consistera à affaiblir le Yen et à induire une reflation salutaire dans l'économie grâce au levier de baisses de taux quantitatives dignes de ce nom. Pourquoi préserver l'indépendance de banquiers centraux - personnages qui se retrouvent à des postes stratégiques de première importance sans bénéficier du suffrage populaire - si ceux-ci refusent de mettre leurs munitions à disposition de la croissance économique, sous le prétexte fallacieux de la lutte contre l'inflation ? Comme la politique monétaire d'une nation ainsi que le niveau de sa monnaie nationale doivent être mis au service de l'activité et de l'emploi, il est donc naturel que ce soient les dirigeants politiques - élus - qui en aient le contrôle.

Un exemple pour l'Europe en crise

La plate-forme de Shinzo Abe consistant précisément en une création monétaire intensive qui permettra également l'affaiblissement du Yen, et autorisera du même coup la relance des exportations japonaises. D'où le programme de stimuli tout récemment décrété par Abe et qui atteindra l'équivalent de 10.3 trillions de yens, ou 116 milliards de dollars. Montant impressionnant qui produira immanquablement des résultats positifs sur le front de la lutte contre la déflation, particulièrement en regard des données démographiques japonaises peu encourageantes. Puisse l'exemple japonais inspirer nos responsables économiques et monétaires européens car l'expérience nippone - l'actuelle avec Abe mais également celle des « décennies perdues » - démontre l'impérieuse nécessité de mesures déterminées et énergiques pour lutter contre la récession. Qui produisent d'ores et déjà des résultats notables, puisque le Yen a largement entamé sa dépréciation et qu'un vent d'optimisme s'installe progressivement sur l'économie et sur les investissements dans ce pays.

Le Japon, largement étudié et analysé pour sa déflation et pour l'implosion dramatique de ses bulles spéculatives, sera-t-il un jour cité en exemple pour sa volte-face contre l'orthodoxie ?

*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre de l'O.N.G. « Finance Watch ». Il est aussi l'auteur de l'ouvrage "Splendeurs et misères du libéralisme"

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Commentaires 37
à écrit le 29/01/2013 à 17:01
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toujours aussi pertinent !

à écrit le 29/01/2013 à 15:39
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Si tous les pays font la même chose, quel est le résultat ? 1) pas de bénéfices sur les exportations 2) inflation et donc réduction mécanique de la dette (du moins celle des prêts à taux fixe) est % du PIB dans tous les pays, mais tous ceux qui ont ...

le 29/01/2013 à 18:14
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...et comme la majorité de la dette japonaise est détenue par les financiers japonais, j'imagine que là bas, le lobbying pour empêcher toute intervention monétaire a du être intense

à écrit le 29/01/2013 à 14:06
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Petite erreur de traduction en français c'est 10.3 billions de yens et pas 10.3 trillions de yens, il y a quand même un rapport de 1 million entre les deux...

à écrit le 29/01/2013 à 7:05
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> Dans cette chronique, il évoque l'expérience japonaise, qui après avoir traversé une "décennie perdue" 1992-2012 = 20 ans, pas 10. > a décidé de rompre avec la déflation via une politique budgétaire et monétaire audacieuses visant à affaiblir le ...

à écrit le 28/01/2013 à 23:30
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Ca fait 20 ans que le japon augmente sa dette, et sans résultat. Pourquoi ca devrait marcher cette fois-ci ??!! Ridicule. Si imprimer des billets était une bonne stratégie, ça se saurait !

le 29/01/2013 à 9:31
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Une spirale déflationniste est comme son nom l'indique un cercle vicieux. Il n' y a pas besoins d?être un expert pour deviner que pour casser ce cercle vicieux, il faut prendre des mesures inflationnistes. Et ça fait 20 ans que le japon n'a rien fait...

à écrit le 28/01/2013 à 18:48
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Ça fait longtemps que le japon aurait du faire de la création monétaire. Quand il s'agit de rééquilibrer une monnaie surévaluée. ce n'est pas une solution de facilité mais une décision logique.

à écrit le 28/01/2013 à 17:08
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La déflation et la crise économique japonaise s'expliquent essentiellement par la crise démographique que connait le pays. Le Japon voit en effet sa population baisser, ce qui déprime la consommation intérieure et rend le pays dépendant des exportati...

le 28/01/2013 à 18:51
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Vous avez peut être raison, cela dit la crise au japon a débuté vers les milieu des années 90, avant que la population ne commence à baisser. Cela est peut être un facteur de la crise mais je ne suis pas sûr que cela explique tout.

à écrit le 28/01/2013 à 15:41
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Voici un article du site www.24hgold.com de ce jour : Après l'annonce de la décision de l'Allemagne de rapatrier une partie de ses stocks d'or détenus à New York, Londres et Paris, il semble que le mouvement de rapatriement des stocks d'or s'accélè...

à écrit le 28/01/2013 à 14:37
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Abe a fait sortir le Japon de la spirale du yen fort, yen qui s'appréciait malgré une dette publique absolument folle...mais qui fait rêver les laxistes et les démagogues en France, Fabius en avait fait référence en disant il y a quelques temps avant...

le 28/01/2013 à 15:16
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Accuser tel ou tel pays d'être le ou les responsable des malheurs engendrés par 40 ans de conservato collectivisme anti libérale en France, ne rime à rien. Chaque pays défend ses intérets, le problème n'est pas la. Le problème est que les monnaies pa...

le 28/01/2013 à 15:57
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Désolé pour les quelques coquilles et fautes contenues dans mon commentaire ci dessus; J'en profite pour ajouter un dernier point qui me parait significatif en fait c'est une question; Quelles ont été les actions des institutions européennes en parti...

le 28/01/2013 à 16:18
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Lorsque vous aurez compris que le gouvernement américain interventionisme (loin d'etre libéral n'en déplaisent aux collectivistes français) a forcé les deux plus grandes agences hypothécaires Fanny Mae et Freddy Mac dans les années 2000, sous Clinton...

à écrit le 28/01/2013 à 12:33
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la France n a encore pas connu l austérité cad la reduction des dépenses publiques improductives! On a fait qu augmenter les impots Si on suivait l exemple canadien on retrouverait de la croissance dans quelques années

à écrit le 28/01/2013 à 12:21
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Ce monsieur nous explique que ce qui est dramatique ce sont les implosions des bulles speculatives et non pas les bulles speculatives elles memes ! alors continuons à dilapider les richesses que les generations futurs creeront, de toute façon quand ç...

à écrit le 28/01/2013 à 11:13
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Ha ? ils ne partagent la vision germanique des choses ????

à écrit le 28/01/2013 à 10:45
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Pffffff rien de neuf et rien de vraiment authentique dans cet essai. D'une, c'est faux: la crise de 2008 est avant due à l'interventionnisme des Etats et plus particulièrement des USA qui ont encouragé - poussé - les banques à inonder par tous les mo...

à écrit le 28/01/2013 à 10:36
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Nous vivons aujourd'hui la fin d'un système monétaire dont l'origine date de la décision du président Américain Nixon de mettre fin au "Gold standard" en août 1971. Du jour au lendemain, la convertibilité du dollar en or, a été suspendu imposant un r...

le 28/01/2013 à 10:52
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+ 1 ! Tout à fait d'accord avec ce commentaire. Bravo Max.

le 28/01/2013 à 13:03
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Je ne comprends pas que la Tribune ne se fasse pas rémunérer pour la publicité des vendeurs d'or...

le 28/01/2013 à 13:19
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Personne ne vous oblige à lire, et les arguments avancés sont d'une grande qualité. En avez vous d'autres ?

le 28/01/2013 à 13:58
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Oui, le système monnaie = or, est bien joli dans un système économique clos. Quand les zones économiques échanges entre elles, cela pose des difficultés qui sont adoucies par le système de change flottant.

le 28/01/2013 à 13:59
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Tiens ! un argu-menteur...

le 28/01/2013 à 14:38
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@ Tahi. Faux Les échanges internationaux sont parfaitement assurés avec l'or, comme cela a été le cas avant 1971, et à bien d'autres moments de l'histoire. C'est au contraire le système monétaire uniquement basé sur l'endettement et le papier monnaie...

le 28/01/2013 à 14:40
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à @ libre. Si je suis un menteur démontrez nous en quoi je le serais selon votre accusation. Mais comme vous en êtes incapable, on risque d'attendre longtemps. J'approuve la démonstration parfaitement argumentée de Max, et j'attends de lire vos contr...

le 28/01/2013 à 14:58
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Que d'erreurs d'analyse économiques dans ces lignes : le système de l'étalon-or a explosé en raison de la déconnection du taux de change officiel OR/Dollar avec l'or marchandise .... Ce fut le plus grand hold-uip de l'histoire puisque les USA n'ont j...

le 28/01/2013 à 15:29
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à "@Max", encore un qui ne sait pas utiliser son propre pseudo et entraine ainsi la confusion. Ecrire qu'il n'y avait plus assez d'or pour soutenir l'étalonnage aux monnaies papiers, et à l'Us dollar, est absurde. Le problème n'a pas été la quantité ...

le 28/01/2013 à 18:58
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Cher MAX, encore un qui par dogmatisme continue à raconter n'importe quoi : Si vous connaissiez l'histoire du système de l'étalon or comme vous semblez le faire croire. Les Etats-Unis se sont servis de ce système pour acheter des biens au reste du mo...

à écrit le 28/01/2013 à 9:58
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On nage dans le délire total, le Japon cité comme exemple "d'orthodoxie", ce qui aurait causé "la décennie perdue". Ca fait 20 ans que le Japon a mis ses taux à zéro et imprime du yen à gogo, qu'il est en déficit budgétaire abyssal avec une dette qui...

le 28/01/2013 à 10:47
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+1. tout à fait d'accord. quand aurons-nous des politiques qui planifient sur 20 ans plutot que sur une législature?

à écrit le 28/01/2013 à 9:50
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La France a toujours fait les choses à l'inverse, il n'aurait certainement pas falloir avoir eu Turgot ou Colbert, car l'économie dirigiste comme l'économie communiste ne produit que paupérisation et ruine, maintenant si les Français préfèrent que ce...

le 28/01/2013 à 10:53
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+ 1 ! Tout à fait d'accord avec vous Tomibiker.

le 28/01/2013 à 14:02
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La question est : à quel stade de dépendance le rentier aigri redevient-il communiste pour se faire payer ses soins et ses couches lybra par la collectivité ?

le 28/01/2013 à 14:44
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à "@libre". Le rentier communiste ? Je ne comprends pas ce que cela veut dire. Essayer de vous exprimer sans distorsion de language propagandiste, si vous voulez vous faire comprendre. Et écrivez avec votre propre pseudo par soucis de clarté.

le 28/01/2013 à 17:41
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Je fais ce que je veux et j'écris ce que je veux car je suis "libre".

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