Natalie Rastoin (Ogilvy France) : « la communication va devenir un levier essentiel du changement»

De retour du Forum Economique mondial qui s'est tenu à Davos du 22 au 27 janvier 2013, la directrice générale de l'agence de publicité Ogilvy France fait le point sur ce qu'elle en a retenu des tendances de l'année 2013. Selon elle, le principal défi pour les dirigeants, gouvernements comme chefs d'entreprise, sera de savoir mieux communiquer à leurs opinions publiques les enjeux à moyen long terme des efforts d'adaptation demandés pour sortir de la crise.
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Pourquoi une dirigeante comme vous se rend-elle à Davos ?

Je ne suis pas vraiment une habituée. Je suis venue pour chercher un point à date en ce début d'année sur les grands enjeux que partagent le business, les gouvernements et la société civile. Le Forum économique mondial, c'est comme un grand sondage quantitatif et qualitatif sur l'état du monde. Bien sûr, Davos représente le monde d'une certaine manière. Ce sont surtout les 1% qui y prennent la parole, pas les 99 %. C'est un peu réducteur. Mais le programme des conférences est très bien fait et les orateurs de grande qualité. Ce programme, c'est la cristallisation des enjeux qui attendent nos clients. C'est donc important pour la communicante que je suis d'y aller.

Ce que je retiens d'abord de Davos 2013, c'est l'évolution des équilibres mondiaux et le dynamisme des pays émergents. L'Afrique notamment. C'est un continent en plein boom et ses dirigeants ne veulent plus qu'on en parle comme on en parlait hier. Cela ne veut pas dire que c'est fait, mais on a bien vu à Davos cette année le leadership de la nouvelle génération des leaders africains. Bien sûr, il ne faut pas avoir une vision univoque. Il y a des différences très importantes selon les pays concernés. Mais prenez le Nigeria par exemple, dont le ministre des finances était présent à une session sur la parité hommes-femmes. Il a sur ce sujet une vision, il est convaincu que les choses sont possibles. Cet optimisme est rassurant, quand on voit la lenteur avec laquelle cela évolue dans les pays riches.

Le grand sujet cette année, c'était aussi le soulagement de voir l'Europe sortir enfin de la crise de l'euro. Faut-il y croire ?

Tout le monde a souligné que, si l'Europe est semble-t-il sortie de la crise aigüe, nous sommes encore loin d'être tirés d'affaire. 2013 est une année de transition et le plus dur reste devant nous. Il y a un vent d'optimisme, mais comme l'a dit Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, ce n'est pas le moment de nous relâcher... J'ai ressenti à Davos cette peur de voir les efforts considérables exigés en 2012 être mis en cause par un relâchement. Et il y a un vrai danger de fatigue devant les réformes ! Certes, le soulagement l'emporte parce qu'on mesure bien qu'on a échappé au pire. Mais on sait aussi qu'il faut encore travailler très dur pour s'en sortir. C'est comme en sport : il faut rester concentrés et ne surtout pas se désunir.

Ce qui attend les gouvernements et les entreprises, ce sont les réformes de structures. On va entrer dans le dur. Ils savent bien que le monde qui va sortir de cette crise ne sera pas le même qu'avant. Des métiers, des emplois ont totalement disparu et les dirigeants ont une responsabilité immense pour créer les conditions nécessaires à l'apparition des gisements d'emplois de demain. Mon sentiment de communicante, c'est que les dirigeants n'intègrent pas suffisamment les enjeux de communication dans leur action. Il faut mieux expliquer aux gens où on les emmène. Il y a un décalage entre ce qui se dit à Davos sur la juste nécessité de poursuivre les efforts et les baromètres d'opinion qui montrent que les élites et les pouvoirs n'ont pas la confiance des vrais gens. On ne peut pas demander sans cesse plus de sacrifices sans proposer une perspective, une vision des bénéfices futurs. C'est vrai de tous les gouvernants, au niveau des Etats comme des entreprises. Les entreprises aussi ont une opinion publique et il faut en tenir compte.

N'avez-vous pas trouvé les participants au Forum de Davos trop optimistes ?

La croissance va revenir si l'on en croit l'optimisme qui a soufflé cette année sur Davos... mais plutôt en 2014. Et ce ne sera pas la même croissance. Le message, c'est « on s'en est sorti, on n'est pas mort », mais à mon sens, on est loin d'avoir retrouvé la confiance. Donc, on n'est pas sorti de la crise. Il y a une forme de nostalgie émotionnelle du monde d'avant. Pourtant, chacun sait bien que l'on ne reviendra pas en arrière, pas seulement parce que l'économie a changé, mais surtout à cause des nouvelles technologies. On ne reviendra pas au monde d'avant internet, on ne reviendra pas au monde d'avant le réchauffement climatique, on ne reviendra pas au monde d'avant le choc démographique.

Comment faire passer les réformes dans ce contexte ?

On va entrer dans une phase très difficile pour les dirigeants, qu'il s'agisse des chefs de gouvernement ou des chefs d'entreprise. La communication va devenir un levier essentiel du changement. Sans diagnostic partagé sur les raisons des réformes, ce sera l'échec assuré, dans un environnement plein de frustrations où la demande d'équité dans les efforts exigés sera majeure.

De même dans les entreprises, la compréhension par tous de la raison des changements est la condition pour réussir les mutations exigées par la crise. Tous les dirigeants ont compris cela mais le passage à l'acte est plus difficile. Ces dernières années, l'agenda des patrons a été « kidnappé » par les enjeux financiers de la crise. C'était une question de survie. Il leur faut maintenant être plus attentifs aux conditions de la sortie de crise. Il leur faut communiquer beaucoup plus clairement sur les bénéfices à attendre des efforts de tous. Le métier de chef d'entreprise se rapproche de plus en plus de celui de l'homme politique. C'est une question de leadership, un des mots clefs de Davos. Il leur faut convaincre, expliquer inlassablement le sens des efforts exigés, fixer une ligne d'horizon, tenir le cap dans la tempête et regarder à long terme, pas seulement à court terme. On passe d'un rapport de pouvoir vertical à un pouvoir horizontal et cela est renforcé par l'explosion des réseaux sociaux. Les entreprises sont confrontées à un environnement de plus en plus complexe : les deux tiers des contenus qui les concernent ne sont pas générés par elles ! C'est un défi, parce que nous vivons dans un monde où il n'y a plus d'endroit où se cacher. Les entreprises doivent en tenir compte dans leur stratégie de communication. Elles doivent réfléchir à la lisibilité de leur communication par tous les publics, sur tous les supports.

Avez-vous trouvé à Davos de nouvelles sources d'inquiétude ?

Ce qui est inquiétant, c'est la lenteur avec laquelle on avance sur certains sujets clés. Dans beaucoup d'Etats et d'entreprises, les enjeux du développement durable et de la parité hommes-femmes sont encore considérés comme une contrainte, pas une source d'opportunités. Alors qu'on sait très bien, toutes les études le montrent, que l'accès des femmes au monde du travail et au pouvoir est une source de croissance pour une économie : de même il faut voir la croissance verte, et pas seulement les contraintes. Dans les deux cas, ce qui m'a frappée, c'est à quel point les innovations les plus en rupture viennent surtout des pays neufs, des pays émergents, qui ont sans doute plus d'énergie et moins de conservatisme que nous.. Pour les dirigeants chinois, la croissance ne peut plus être pensée autrement que durable, parce qu'ils ont pris conscience de la menace que fait peser la pollution sur leur développement. En matière de croissance, ce n'est pas seulement le chiffre qui compte, c'est la qualité. Autre exemple, dans un autre domaine, de la vitalité des pays émergents, c'est l'usage qui est fait des nouvelles technologies. C'est ainsi en Afrique que l'on observe les expériences les plus innovantes en matière d'utilisation du mobile. Nous vivons donc dans un monde où il faudra être attentifs à ne pas être les derniers à être imaginatifs et à chercher des solutions en rupture. Je suis repartie de Davos avec le sentiment qu'il va falloir que l'on se remue un peu, parce que les autres ne nous attendrons pas.

Comment se porte Ogilvy dans cette crise ?

Ogilvy va bien, mais a beaucoup changé. Ce n'est plus seulement une agence de publicité, mais une entreprise de communication qui s'est mise à l'heure d'internet et des réseaux sociaux. On a tout digitalisé et le numérique représente désormais 50% de notre chiffre d'affaires. On a mis de la technologie partout et cela change notre métier en profondeur, avec l'arrivée de nouvelles compétences que l'on n'imaginait pas hier dans l'univers de la pub, comme des statisticiens. On a lancé un cabinet de conseil en amont des stratégies de mise en ?uvre, OgilvyRed Conseil, à la demande de nos grands clients, un « Digital lab » à mi chemin entre la communication et le service, on a aussi renforcé le département « Data » parce que les données sont la révolution de demain avec les objets connectés. Il y a toujours la publicité, mais dans une démarche nouvelle et plus globale. Le lien entre les marques et les gens a changé. Il est plus égalitaire qu'avant. Le pouvoir se rééquilibre, le consommateur veut exercer le sien et l'entreprise ne peut plus ne pas en tenir compte. Ogilvy est assez représentatif du fait qu'aujourd'hui, une entreprise doit à la fois savoir ce qu'il y a de permanent dans la valeur ajoutée qu'elle apporte à ses clients et en même temps garder un grande capacité d'adaptation.

Finalement, comment voyez-vous « demain » ?

Le monde de demain est encore dans les limbes - TS Eliot a dit, nous faisons partie du changement sans en comprendre la signification. Nous n'avons pas encore repris le contrôle de ce qui nous arrive. Cela rend la période actuelle assez angoissante. Mais aussi passionnante et pleine d'espérances.

Interview publiée dans La Tribune Hebdo du vendredi 1er février 2013.

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Commentaires 10
à écrit le 04/02/2013 à 15:49
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Le bourrage de crânes a un bel avenir!

à écrit le 02/02/2013 à 19:41
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Merci Madame pour ce travail sérieux. Vos impressions me paraissent attentives et justes. Je salue aussi votre fraîcheur, votre humilité devant la complexité du moment et votre délicieuse diplomatie.

à écrit le 02/02/2013 à 15:13
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Encore faut-il avoir des choses à dire ? Qui prend la parole s'expose. Les marques visionnaires auront tout le loisir de s'exprimer et d'être en ligne avec leur volonté d'incarner légitimement le nouveau paradigme. Les suiveurs feront du bruit ou se ...

à écrit le 02/02/2013 à 13:57
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Cet entretien est une belle démonstration de ce qu'est l'instrument communication aux mains de ceux qui ne savent que faire semblant! Ils ont leurs raisons j'imagine! Heureuse d'avoir renoncé à mon travail de com, factice en soi (même si je le faisai...

à écrit le 02/02/2013 à 9:21
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Quelle vacuité ! Rien il n'y a rien, rien dans cet entretien ! On ne doit retenir que ça de Davos ? Le monde de demain est encore dans les limbes ! Quelle blague !

à écrit le 02/02/2013 à 7:20
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Paroles, paroles ..... encore des mots, rien que des mots: Je dirais même "La communication va devenir un vecteur décisif pour une vision pro-active du changement "

à écrit le 02/02/2013 à 0:38
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La communication, ou du moins la fausse communication qui ne se nourrit que d'un politiquement correct au service du marketing, est ce qui a fait couler les sociétés occidentales. Si nous continuons ainsi, nous en mourrons sans aucun doute de sorte q...

à écrit le 01/02/2013 à 23:08
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"On ne reviendra pas au monde d'avant internet, on ne reviendra pas au monde d'avant le réchauffement climatique, on ne reviendra pas au monde d'avant le choc démographique." Parce que vous en êtes encore là à Davos? Internet, les gouvernements font...

à écrit le 01/02/2013 à 20:09
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La comm' c'est du vent, des ecrans de fumée instantanes, tout sauf du concret ni du reel

à écrit le 01/02/2013 à 17:57
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Voilà bien une thèse que je ne partage pas du tout: nous sommes en train de crever de ne pas dire simplement les choses, et les français sont bien moins bêtes et plus au fait de la gravité de la situation des finances de l'état français que ces pseud...

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