Comment dompter le Léviathan étatique

Michael Boskin est professeur d'économie à l'Université de Stanford et chercheur à la Hoover Institution. Il rappelle combien les travaux du prix Nobel d'économie James Buchanan, récemment décédé, nous aident à comprendre le comportement de l'État.
Frontispice du Leviathan, ouvrage du philosophe anglais Thomas Hobbes, dessiné par Abraham Bosse.. Copyright Reuters

Une société prospère a besoin d'un gouvernement efficace et peu coûteux pour exercer convenablement ses fonctions, et elle doit disposer des revenus suffisants à l'entretien de ces fonctions. Mais un gouvernement qui devient trop grand, trop centralisé, trop bureaucratique et trop cher, met sensiblement à mal l'économie privée et décourage les initiatives individuelles et les responsabilités. Il nuit en outre aux investissements du secteur privé, à la consommation et aux ?uvres de bienfaisance. Et il peut aussi causer du tort aux mesures incitatives par de lourds impôts. Cela risque aussi de nuire à certaines fonctions essentielles au gouvernement, comme par exemple à la défense. Voilà à grands traits un portrait de l'Europe d'aujourd'hui, talonnée de près par les Etats-Unis.

La mort récente de James M. Buchanan, le père de l'économie du choix public, est une occasion de nous pencher sur ses conseils avisés. Buchanan a obtenu le prix Nobel en 1986 pour son étude sur le gouvernement et sur le comportement des représentants du gouvernement. Il les avait analysés avec la même rigueur que les économistes ont longtemps portée sur le domaine des prises de décisions économiques du secteur privé. Buchanan a conclu que la poursuite de l'intérêt personnel des politiciens conduisait inévitablement à des résultats médiocres.

L'analyse de Buchanan était en contraste marqué non seulement par rapport à la maxime d'Adam Smith selon laquelle la poursuite de l'intérêt personnel conduit comme « par une main invisible » à résultats sociaux souhaitables, mais aussi contre l'approche actuelle de l'analyse politique, qui considère le gouvernement comme un planificateur bienveillant, qui met en ?uvre des « solutions » clé en main aux défaillances du marché.

Selon ce point de vue, si les marchés n'internalisent pas totalement les coûts de l'action privée (la pollution de l'environnement est un exemple classique), alors un impôt « optimal » ou une subvention sont censés régler le problème. Donc si un monopole limite la production et fait augmenter les prix, il faut réglementer les entreprises et les industries. Lorsqu'une faible demande conduit à la récession, il faut accroître les dépenses publiques et/ou réduire les impôts à un juste montant déterminé par un multiplicateur keynésien, et comme par magie, l'économie repart rapidement.

Buchanan considérait une telle analyse comme romantique. Il a montré que les agents publics, comme tout le monde, sont entraînés par leur propre intérêt et sont régis par des règles et des contraintes qui agissent sur leur environnement économique. Les ménages subissent une contrainte budgétaire. Les entreprises subissent des contraintes technologiques, concurrentielles et de rendement. Pour les politiciens, la capacité d'exercer le pouvoir pour leurs propres intérêts ou pour ceux de groupes d'intérêts, est une contrainte résultant de la nécessité de se faire élire.

Buchanan prédisait qu'en cachant l'intégralité des coûts, la capacité de financer les dépenses publiques par le biais des déficits conduirait à une augmentation des dépenses et à la réduction des impôts au détriment des générations futures, dont les membres ne sont pas directement représentés dans le vote actuel. Il avait prédit des déficits et une dette de plus en plus grands, et par conséquent, un gouvernement de plus en plus grand.

Sur cette question, Buchanan a eu malheureusement raison, et bien avant que la crise financière et la récession profonde ne conduisent à un autre saut dans la taille et la portée du gouvernement, suivis d'importants déficits et d'une explosion de la dette aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. Buchanan n'a cessé de plaider en faveur d'une baisse des dépenses du gouvernement et de budgets équilibrés (il a même plaidé pour un amendement à la Constitution américaine en faveur de l'équilibre budgétaire) et en faveur d'une réglementation simplifiée.

Buchanan, soutenu par Milton Friedman et beaucoup d'autres, a souligné à juste que les échecs du gouvernement sont aussi nombreux que les défaillances du marché. Ainsi même dans des domaines tels que les infrastructures ou l'éducation, il est nécessaire de comparer les avantages et les coûts des politiques fiscales et réglementaires imparfaites, susceptibles d'être mises en ?uvre par des fonctionnaires faillibles et intéressés, avec les résultats du marché potentiellement imparfaits.

Ces défaillances de l'État comprennent des activités telles que la maximisation de la rente, les dépenses électoralistes, l'ingénierie sociale, l'emprise réglementaire et la dépendance induite. Les défaillances du marché ou les revendications de besoins non satisfaits ne suffisent pas à prescrire l'intervention du gouvernement dans l'économie privée, parce que le remède peut être pire que le mal.

Il existe bien sûr d'importants programmes gouvernementaux efficaces. Aux Etats-Unis, le G.I. Bill après la Deuxième Guerre mondiale a financé l'enseignement supérieur pour des soldats démobilisés, et a été un investissement public très avantageux en termes de capital humain. La sécurité sociale a aidé à réduire la pauvreté chez les personnes âgées. L'armée américaine a contribué à la sécurité et à la liberté des Etats-Unis.

Mais l'écart entre les solutions clé en main élaborées dans les universités ou les think tanks, et la réalité sur le terrain, peut s'avérer vaste. Davantage de dépenses ou de réglementation ne conduit pas toujours à de meilleurs résultats.

Les dépenses du gouvernement n'en sont pas moins soumises aux rendements décroissants. Les programmes se sclérosent, développent des services puissants et difficiles à réduire. Peu de programmes sont ciblés avec suffisamment d'attention proportionnellement aux besoins réels (ou en faveur des plus démunis) tandis que les politiciens achètent des votes en étendant leur application au-delà du strict nécessaire pour atteindre les objectifs déclarés par ces programmes. D'où le dédain de Buchanan pour toute vision romantique de l'action du gouvernement.

Dans tous les pays, un effet du débat en cours sur les dépenses, les impôts, les déficits et la dette a engendré des efforts pour vraiment améliorer l'efficacité du gouvernement. Pour la plupart des fonctions gouvernementales, de la politique de défense à l'élaboration des programmes, on peut parvenir à de meilleurs résultats à moindre coût, ce qui est une aubaine aussi bien par la gauche que pour la droite.

Par exemple, le gouvernement fédéral américain compte 47 programmes de formation professionnelle dans 9 organismes différents, coûtant près de 20 milliards de dollars par an, la plupart étant reconnus par le Government Accountability Office (GAO), l'organisme américain de contrôle des comptes publics, comme étant inefficaces ou mal gérés. Le Président Barack Obama a ajouté le 47e (pour la formation aux énergies vertes) en 2009. Le taux de réussite a été si faible (un pourcentage minuscule de participants décroche les emplois visés) que l'Inspection Générale du Travail a recommandé d'y mettre un terme, en période de chômage massif, avec des entreprises qui enregistrent des millions de créations de nouveaux emplois mais qui sont incapables de trouver des employés suffisamment qualifiés.

Nous avons vu ce qui se produit en fin de compte, lorsque des dépenses insoutenables conduisent à l'explosion de la dette : un chaos économique et une tragédie humaine. Quelque part entre les solutions gouvernementales « romantiques » aux problèmes, et les hauts fonctionnaires égoïstes de Buchanan, nous devons trouver des dirigeants prêts à éliminer les programmes ayant de mauvais résultats. Il faut moderniser, rationaliser et consolider les autres, améliorer les services et limiter une pression fiscale de plus en plus forte qui détruit la croissance.

 

Traduit de l'anglais par Stéphan Garnier.

© Project Syndicate 1995-2013

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Commentaires 18
à écrit le 09/02/2013 à 12:18
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la bonne vieille doxa néo-libérale : la crise des subprimes c'est l'Etat ????

à écrit le 09/02/2013 à 11:51
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Les solutions ? 1 - Arrêter le remboursement de la dette. La finance doit, comme le noblesse en son temps, disparaître. 2 - Démonter la toile diabolique tissée entre le Capital et le Politique 3 - Installer la frugalité (disparition du crédit à la co...

à écrit le 08/02/2013 à 20:27
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et hollande qui ne baisse toujours pas les depenses par pur clientelisme.

à écrit le 08/02/2013 à 16:27
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Mr Boskin merite d etre licencie il n a rien compris

le 08/02/2013 à 16:46
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AH bon? Parce que l'état français, à 60% du PIB n'est pas comparable à un léviathan? On attend d'être à 100% comme en Corée du Nord?

à écrit le 08/02/2013 à 15:59
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Magnifique éloge d'un libéralisme en pleine crise ... qu'il a provoqué. Mieux vaut avoir un mauvais gouvernement qu'un gouvernement dominé par les vautours. Ce qui se passe actuellement dans le monde en est une preuve de plus.

le 08/02/2013 à 16:42
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Libéralisme dites vous? Mais la crise est celle du crédit facile et de la dette à outrance, deux maux critiqués avec acharnement par les libéraux. C'est aussi celle d'états léviathan qui étaient déja en faillite avant 2007. Quant à cette crise des su...

le 08/02/2013 à 21:01
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Milou, c'est assez amusant, mais j'aurais plutôt pris comme exemples libéraux Dubaï et l'Irlande... Mouarfff !!! Vos arguments ne tiennent plus actuellement. Le "modèle" de la richesse générale vient d'exploser.

à écrit le 08/02/2013 à 15:35
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Il serait de "salut public" que "notre président" et ses "amis" s'inspirent des écrits de Mrs. Boskin et Buchanan. En effet, la France "actuelle" est l'illustration parfaite de l'Etat Léviathan. Malheureusement, c'est sans doute trop attendre de poli...

le 08/02/2013 à 16:01
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Mais oui, il suffisait de faire rentrer Boskin en deuxième mi-temps et d'attendre les 10 dernières minutes du match pour demander à Buchanan de marquer... hahaha.... je me marre: tous ces internautes qui savent tout à tout... ont tout compris mieux q...

le 08/02/2013 à 16:30
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@jememarre : vous critiquez les réflexions des autres, mais où sont les votres ? je ne vois qu'insulte et moquerie, veuillez vous abstenir si vous n'apportez rien ...

le 08/02/2013 à 17:28
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+1000 y'en a assez des aigris et je trouve les commentaires d'arako bien plus constructifs!

le 08/02/2013 à 23:21
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@john galt: c'est la générration qui veut cela, ils veulent tout sans rien faire en s'imaginant que si les autres ont quelque chose, c'est grâce au saint esprit :-) Quant aux idées, c'est le vide absolu :-)

à écrit le 08/02/2013 à 15:22
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il suffit de ne pas faire d'enfants...

à écrit le 08/02/2013 à 15:16
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Résumé en deux mots : les excès ne sont pas bons, ni du côté des marchés, ni du côté des réglementations et impôts. A la suite d'une suite de constats sur des "excès" de dépenses de formation aux USA, la conclusion est qu'il faut réduire les impôts, ...

le 08/02/2013 à 16:31
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commentaire incompréhensible ...

à écrit le 08/02/2013 à 15:02
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très bel article, fondamental. La crise actuelle est l'an 2 de la mort des idées communistes, cad l'idée qu'un socialisme "light" appelé "social démocratie" pouvait marcher. Ce n'est qu'un social clientélisme qui ruine nos enfants ...

le 09/02/2013 à 8:45
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Tout à fait , on pourrait même dire social clientélisme à tendance mafieuse , n'ayons pas peur des mots ! et cela cartonne en France .

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