"Au fait, on vous a déjà proposé un pot-de-vin ? "

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  564  mots
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Une petite équipe de consultants parcourt depuis quelques semaines le quartier européen, à Bruxelles, pour une enquête sur la corruption dans le secteur de la santé. Le sujet n'est pas nouveau. En juin 2011, Cecilia Malmström, la commissaire en charge des Affaires intérieures, avait dévoilé un nouveau « paquet anticorruption ». Elle prépare pour l'été un rapport sur les pratiques des États pour endiguer ce fléau qui n'épargne aucun pays, même s'il semble plus répandu dans le Sud.

MAIS LE CHAMP DE L'ENQUÊTE EN COURS - dont nous avons pu avoir connaissance - est bien plus vaste. Elle porte sur la corruption, elle-même définie comme « un abus de pouvoir » destiné à générer « un gain privé », ce qui va « au-delà des aspects criminels » et « inclut des situations comme les conflits d'intérêts, le favoritisme, etc. » Les achats et l'autorisation des produits pharmaceutiques, l'équipement et la certification du matériel médical, les pots-de-vin liés aux prestations de soins : rien ne doit être laissé de côté. Que compte faire la Commission des résultats de ces investigations? On ne le sait pas pour l'instant.
Produit avec l'aide de la Commission, un rapport de l'organisation Transparency International de juin 2012 brosse un tableau plutôt sombre. « Les faits suggèrent que depuis l'adhésion en 2004, il y a eu un recul des progrès faits dans la lutte contre la corruption en République tchèque, en Hongrie et en Slovaquie », note l'ONG. La Grèce, l'Italie, le Portugal et l'Espagne souffrent eux aussi de pratiques « profondément enracinées ».

LE PROBLÈME N'EST PAS SEULEMENT que l'adhésion à l'Union européenne retire une incitation à se conformer à la loi. Il réside aussi - ce qui est moins avouable pour Bruxelles - dans la manne financière déversée par ces pays au titre du budget européen. Comment ne pas voir que les milliards destinés à la Grèce, par exemple, ont alimenté pendant des années le clientélisme de ses partis et contribué à pousser le pays dans l'impasse où il se trouve aujourd'hui? Ce n'est certes pas demain qu'on lira que la manière dont est distribuée l'aide européenne est un facteur de corruption. Mais il ne serait pas inutile de se poser la question.

EN FRANCE, LE SERVICE CENTRAL de prévention de la corruption (SCPC), créé en 1993 dans la foulée des lois sur le financement des partis destinées à clore l'époque des « affaires », est maintenu depuis dans une indigence de moyens humains et juridiques assez peu flatteurs pour la République. Comme le précise la présentation qui en est faite sur le site du ministère de la Justice, auquel il est rattaché, il ne dispose « pas de moyens d'investigation » ni du droit « de convoquer des personnes ». Son rôle est « préventif », précise-t-on. Le SCPC existe essentiellement à travers ses rapports annuels qui ont notamment traité du sport ou du lobbying. Mais à quoi servent ces rapports sinon à remplir les obligations de la Convention de l'OCDE et à satisfaire la curiosité d'une poignée de journalistes?

C'EST TOUTE LA DIFFICULTÉ d'une politique de lutte contre la corruption : les institutions et organisations (parlements, partis politiques et administrations) qui sont censées la mener abritent également ceux - même s'ils en constituent une minorité - qui en profitent. Ce que dit en filigrane l'enquête lancée par Cecilia Malmström est qu'on ne peut s'en remettre strictement à la justice. Ce qu'elle indique aussi c'est qu'une institution comme la Commission européenne qui doit se débattre actuellement avec l'affaire Dalli (du nom de ce commissaire qui aurait demandé 60 millions à un producteur de tabac en contrepartie d'un coup de pouce législatif) peut aussi essayer de balayer devant sa porte... même si elle hésite à le dire.