Du scandale Spanghero... à la rente céréalière

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  647  mots
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À force d'endormir nos enfants en leur lisant des histoires de belles fermières et de vaches aux longs cils, on finirait presque par oublier que l'agriculture est un business et entretient avec les images des abécédaires un rapport aussi éloigné qu'une charrette avec un TGV. Heureusement, il y a de temps en temps une belle et grande affaire pour nous faire passer des rêveries enfantines à la réalité...

Celle de la viande de cheval en est une. Faux étiquetages, gros sous, montages financiers indéchiffrables, circuits commerciaux alambiqués : tout y est.
À Bruxelles, les ministres défilent, se fâchent devant les micros ouverts et promettent de revoir la réglementation pour protéger le consommateur. Mais il y a peut-être plus à apprendre de cette affaire que la facilité avec laquelle il est possible de changer une étiquette. Il y a par exemple la domination de plus en plus nette de l'industrie céréalière sur les filières agricoles, y compris celle de l'élevage et de la production de viande. Le scandale de la viande de cheval est un cas d'école.

L'empire Unigrains croise le chemin de Spanghero

Petit rappel. En février, la société Comigel, qui prépare des plats surgelés pour, notamment, Findus, annonce qu'elle est victime d'une escroquerie de la part de son fournisseur, la société Spanghero, basée à Castelnaudary, laquelle lui a vendu de la viande de cheval pour du b?uf. Comigel, créée en 2006 à Metz, est l'une des nombreuses filiales, via Céréa Capital, d'Unigrains, le fonds réunissant les intérêts des organisations céréalières françaises. Avec 650 millions d'euros de participations en portefeuille, Unigrains a les reins solides et intervient via pas moins de 200 entreprises en capital développement. C'est un empire... qui croise le chemin de Spanghero, le fournisseur peu scrupuleux de Comigel.
Unigrains et Céréa financent en effet le développement de Lur Berri, la « coopérative » qui contrôle l'entreprise Spanghero. Ce sont eux qui vont permettre à l'entreprise de pratiquement doubler de taille en 2012 grâce à l'augmentation de sa participation dans le groupe Labeyrie Fine Foods, connu pour ses foies gras. Comme l'indique un communiqué d'Unigrains daté du 30 janvier, « le financement de l'opération a été assuré avec l'appui actif de Céréa Mezzanine et d'Unigrains ». En un seul exercice, le chiffre d'affaires de la coopérative bondit de 610 millions à plus d'un milliard d'euros.Il était de seulement 325 millions en 2006-2007.

Dans le monde agricole, le "marché" est une notion toute relative

Cela ne veut bien sûr pas dire que les intérêts de Spanghero et de sa « victime » Comigel étaient directement liés dans l'affaire de la viande de cheval. En revanche, le développement de chacune de ces deux sociétés est régi par la stratégie d'un seul et unique groupe d'acteurs : les organisations céréalières.On pourrait considérer que la montée en puissance de ces dernières dans les différentes filières est dans l'ordre des choses, que c'est un processus de concentration classique, commandé par la logique du marché. Sauf que dans le monde agricole, qui voit pleuvoir sur lui la manne de la politique agricole commune, le « marché » est une notion toute relative. Et les producteurs de céréales sont depuis des années les principaux bénéficiaires des aides européennes dans des proportions et selon des modalités qui s'avèrent de moins en moins défendables, comme le rappelait le quotidien Libération le 7 février dernier.

Le mot « rente » est tabou à Bruxelles où l'on se targue de défendre les principes d'une économie productive et compétitive. Pourtant, il n'y a que lui pour qualifier des aides à l'hectare qui permettent de majorer les bénéfices (pas leur chiffre d'affaires) d'environ 50%... pendant que « les éleveurs ne touchent pratiquement rien », explique le spécialiste de Libération Jean Quatremer. De là à dire que la PAC déséquilibre les relations entre les différentes filières agricoles, il n'y a qu'un pas. À y regarder de plus près, le scandale Spanghero appelle peut-être davantage de réformes que celle des règles d'étiquetage des paquets de viande.