L'industrie du tourisme ? Non, tout ne va pas si bien, Madame la ministre !

Par Laurent Guéna, journaliste au Quotidien du Tourisme  |   |  949  mots
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Si la France est la première destination touristique en termes de visiteurs comme le rappelle souvent la ministre du tourisme Sylvia Pinel, sa compétitivité dans ce secteur est remise en cause. En termes de recettes, la France a perdu sa médaille d'or. Une situation problématique à l'heure où la concurrence des pays émergents se durcit.

Comme ses prédécesseurs, Sylvia Pinel, ministre du Tourisme, ne manque jamais de rappeler les statistiques flatteuses dont peut se prévaloir la France, première destination touristique au monde, si l'on prend comme critère le nombre de visiteurs. Elle les a assenées lors du dernier salon mondial du tourisme : "La fréquentation touristique pour l'année 2012 s'est maintenue à un très bon niveau avec une augmentation de l'arrivée des clientèles étrangères par rapport à 2011. D'après les chiffres provisoires, le tourisme a ainsi généré au moins 77 milliards d'euros contre 68,7 milliards d'euros en 2010 et 75,4 milliards d'euros en 2011".

Le rapport qui fait du bruit

Sylvia Pinel, qui, au passage, oublie les difficultés des tour-opérateurs et agences de voyages qui envoient des Français à l'étranger, est en fait sur la défensive car une petite bombe, arrivée sous forme de rapport, a explosé dans son ministère début mars. En 2013, au classement des destinations touristiques les plus compétitives, révélées à l'occasion du forum économique mondial de Davos, la France enregistre une chute par rapport à 2011 et se classe en 7e position, perdant ainsi 4 places. Booz & Company, le cabinet qui établit ce classement selon de très nombreux critères, donne une explication : "La destination France enregistre de mauvais résultats en ce qui concerne sa compétitivité prix. Elle est en effet reléguée au 131e rang sur 135 en terme de pouvoir d'achat des touristes avec une 120e place pour le prix du carburant et une 126e place pour le niveau des taxes d'aéroport". En revanche, elle surclasse les autres pays en matière d'hygiène et de santé, avec une première place pour l'accès à l'eau potable et aux installations sanitaires". Elle demeure "aussi remarquable pour la qualité de son infrastructure occupant la quatrième place pour la capacité de son réseau de transport international et la deuxième place pour le nombre de compagnies aériennes opérant en France tandis qu'elle se place au septième rang pour la densité de son réseau de transport aérien". Sylvia Pinel, avait réagi dans une lettre ouverte : "quelle autre industrie peut se prévaloir d'une santé aussi éclatante ? " s'était-elle alors indignée, chiffres à l'appui. Depuis, deux fleurons de l'industrie du tourisme français, Accor et Air France, ont confirmé des plans de départs volontaires.

Pas de gros investissements depuis Disney

Frédéric Pierret, un Français directeur exécutif de l'Organisation mondial du tourisme, n'avait pas attendu ce rapport pour pointer le manque d'attractivité de la France. Lors du congrès du syndicat national des agents de voyages (Snav), qui s'est déroulé fin janvier à Ténérife. "Depuis Disney, il n'y a pas eu de gros investisseurs. Nous les faisons fuir. En France, il y a beaucoup trop de normes et les procédures sont trop longues et trop chères". Cette dégringolade au classement permet à certaines institutions de s'en prendre à Sylvia Pinel, accusée, comme ces prédécesseurs, d'excès d'optimisme. Par exemple, le Comité pour la modernisation de l'hôtellerie française, qui revendique 1.200 soutiens, épingle la communication officielle "positive, optimiste et très convenue" et les "séances d'autosatisfaction autour de "la France, première destination mondiale du tourisme". Il réclame "un observatoire du tourisme fiable, crédible et réaliste", la prise en compte notamment de "nouveaux modes de consommation" comme le troc de logements, ainsi qu''une vraie stratégie touristique pour l'entreprise France, avec un plan d'actions "offensif et compétitif". Le Comité appelle également à faire cesser la "cascade de nouvelles réglementations en hôtellerie et restauration".

La sécurité, un autre enjeu
Par ailleurs, Sylvia Pinel doit aujourd'hui faire face à l'inquiétude officielle de Pékin après l'agression, mercredi 21 mars, d'un groupe de 23 touristes chinois devant un restaurant au Bourget, à côté de Roissy. Sa réaction n'a pas tardé. Elle a déclaré que le gouvernement allait "veiller à la sécurité des touristes étrangers" en France et assuré que "tout sera fait pour retrouver les auteurs" de l'agression. L'enjeu est de taille : les Chinois sont de plus en plus nombreux à visiter le pays (1,1 million en 2012 et dépensent en shopping environ 60% de leur budget voyage, surtout en produits de luxe, soit 1.470 euros en moyenne par enseigne. Alors, non, le tourisme ne marche pas tout seul : si l'on raisonne en termes de recettes, nous troquons notre médaille d'or contre une médaille de bronze, derrière les Etats-Unis et l'Espagne et nous sommes menacés par la Chine.

La concurrence des émergents

La concurrence se durcit. Selon les chiffres de l'Organisation mondiale du tourisme, les arrivées de touristes internationaux ont dépassé le milliard en (1,035 milliard) en 2012, "ce qui n'était jamais arrivé". De toutes les régions, c'est l'Asie-Pacifique (+7%) qui a obtenu les meilleurs résultats. Toujours d'après l'OMT, "c'est en Asie-Pacifique que les perspectives pour 2013 sont les plus favorables (+5% à +6%). Viennent ensuite l'Afrique (+4% à +6%), les Amériques (+3% à +4%), l'Europe (+2% à +3%) et le Moyen-Orient (0% à +5%)". Il va y avoir du boulot pour résister aux "économies émergentes". Certes, à la différence de Frédéric Lefebvre, qui était sous François Fillon, secrétaire d'État chargé du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme, des Services, des Professions libérales et de la Consommation (ouf), Sylvia Pinel bénéficie d'un statut de ministre mais elle a aussi hérité de l'Artisanat et du Commerce. Reste, donc, toujours cette grande question qui agite le Landernau du tourisme depuis toujours : cette industrie, si florissante, ne mériterait-elle pas un ministre à temps plein ?