"La rigueur budgétaire est une fable morale"

Michel Santi est l'auteur de "Splendeurs et misères du libéralisme", ouvrage dans lequel il s'interroge sur les raisons de la crise qui secoue l'Europe. Dans cette chronique, il explique que la rigueur budgétaire ne doit pas être une politique en soi et qu'elle ne sert aujourd'hui qu'à masquer l'idéologie du "moins d'État". Il considère pour sa part que les déficits publics doivent être utilisés pour leur pouvoir lissant sur la conjoncture. Le seul objectif de l'État devant être le plein emploi.
Michel Santi, économiste

L'un après l'autre, tous les arguments - ou prétextes ? - en faveur de l'austérité tombent, comme dans un jeu de quilles. Les déficits seraient une charge supplémentaire qui pèse sur les générations futures ? Ceux qui le prétendent n'ont toujours pas compris qu'augmenter la dette aujourd'hui n'est nullement un transfert inter générationnel, mais intra générationnel. Car c'est les débiteurs - demain - qui devront en effet rembourser les créanciers de demain. Les déficits nuiraient à l'investissement ? Alors qu'en période de déprime du secteur privé, l'Etat se doit précisément de prendre intensivement le relais en arrosant de liquidités les acteurs de son économie. Ces mêmes déficits conduiraient à l'envolée des taux d'intérêts ? C'est en fait tout le contraire que l'on constate, en tout cas dans des pays lourdement endettés néanmoins bénéficiant d'une monnaie « souveraine », à savoir les Etats-Unis et le Japon... (Pour une argumentation complète, lire : « Splendeurs et misères du libéralisme », éd. L'Harmattan).

Stimuler l'investissement et réduire les inégalités

Bref, l'Etat doit au contraire s'endetter davantage et creuser ses déficits dans le but de rétablir le plein emploi, même si nos gouvernants actuels refusent catégoriquement de faire appel à la dette pour relancer l'activité économique. Leur seul et unique objectif - ou obsession ? - étant donc d'équilibrer leur budget. La consolidation fiscale fait-elle une politique ? Tandis que les femmes et les hommes qui nous dirigent devraient plutôt avoir pour ambition de stimuler l'investissement et de réduire les inégalités ! Comment parviennent-ils encore à défendre l'austérité - et donc l'accélération du chômage - quand ils peuvent tout à la fois user judicieusement et équitablement du levier de la fiscalité, tout en faisant pression sur une Banque centrale européenne qui se désintéresse totalement de la croissance. Les dépenses publiques sont drastiquement revues en baisse alors que les efforts et énergies devraient être concentrés sur la hausse de la taxation des classes aisées, et sur la contribution active de la BCE à la reprise de la croissance.

La rigueur est au service du "moins d'État"

A moins que l'argumentation fallacieuse derrière laquelle se dissimulent les tenants de l'orthodoxie ne serve à détourner les attentions de leur motivation réelle. Qui reviendrait à faire encore et toujours plus régresser l'Etat, exactement selon le modèle britannique actuel et de l'aveu même de son Premier Ministre qui vient de stigmatiser les pauvres et les chômeurs qui, toujours selon lui, auraient « fait un choix de style de vie »... C'est donc au nom des « réformes structurelles » et des « il n'y a aucune alternative à la rigueur» que l'on sabre allègrement les dépenses sociales, et que l'on oppose un veto dédaigneux à toute création d'emplois qui serait redevable au stimulus étatique. A l'instar de la Présidente du MEDEF qui professait que, comme « la vie est précaire, l'amour est précaire, pourquoi le travail ne serait pas précaire ? »

Ainsi, les ardents défenseurs d'une finance et de comptes sains exigent que le niveau de l'emploi soit dépendant du seul degré de confiance qui prévaut dans le milieu des affaires. Alors qu'il a été maintes fois attesté ces vingt dernières années que la spéculation boursière et financière était la principale raison de la dégradation de la conjoncture économique. Sous couvert d'une argumentation économique, cette obstination jusqu'au boutiste qui se bat farouchement contre la doctrine du plein emploi masque pourtant de moins en moins bien ses vrais motifs politiques, voire idéologiques. Circonscrire les dépenses publiques strictement aux revenus engrangés par l'Etat n'est en fait ni plus ni moins qu'une fable morale contée par celles et ceux qui s'érigent en donneurs de leçons ès responsabilité. Derrière leur "storytelling" qui abuse le commun des mortels à qui l'on fait croire qu'il faut gérer le budget d'un État comme les cordons de la bourse d'un ménage, ces pourfendeurs des déficits préservent très prosaïquement les intérêts de la classe dominante. Celle-là même qui, en voyant tout sous le prisme de l'accumulation et de l'enrichissement matériels, se voyait qualifiée par Keynes de « semi criminelle » et de « semi pathologique »...

Ne pas confondre économie et morale

Tout en étant symptomatique de la domination des rentiers sur nos économies, ce diktat de l'austérité révèle également une classe dirigeante et intellectuelle qui ne parvient décidément pas à aborder les fondamentaux économiques sous le bon angle. Pourquoi ne pas en effet intégrer à cette équation de la dette des paramètres aussi déterminants que le niveau des taux d'intérêt et de l'inflation ? Et pourquoi s'obstiner à considérer qu'une économie saine doit forcément être à l'équilibre (budgétaire et comptable) quand une activité économique - par essence dynamique, c'est-à-dire instable - requiert épisodiquement l'intervention lissante des fonds publics ? Il ne faut donc surtout pas confondre économie et morale, car celles et ceux qui ont besoin d'être soutenus n'ont commis nul pêché.  Avant - bien avant - que de chercher à équilibrer ses comptes, l'Etat doit avoir pour seule préoccupation de remettre ses citoyens au travail.

*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre fondateur de l'O.N.G. « Finance Watch ». Il est aussi l'auteur de l'ouvrage "Splendeurs et misères du libéralisme"

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Commentaires 41
à écrit le 13/04/2013 à 0:55
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Encore des fariboles d'économiste ou de financier! Qui reposent sur le dogme inébranlable de la croissance, encore et toujours! Or la croissance ne peut plus croître que négativement comme il est d'usage de le dire, pour une raison simple: la product...

à écrit le 11/04/2013 à 14:13
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Il y a sur ce fil une discussion sur la dette publique discutée en termes puremement financière qui fait largement abstraction de l'èconomie réelle! Je vais prendre 2 exemples pour illustrer ce que doit a été le role des etats et le role des entrepri...

à écrit le 11/04/2013 à 9:30
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ce que tous ces gens ne disent pas c'est que si on fait rien cela sera pire a moyen terme parce que on dans un système et qu'on peut pas aller a contre courant trés longtemps. les partisans de la dette en augmentation permanente font l'hypothèse que ...

à écrit le 10/04/2013 à 19:11
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Tous ces "profs" qui n'ont jamais exercé aucune responsabilité dans le monde réel feraient mieux de continuer à jouer avec les étudiants plutôt que vouloir donner des leçons aux adultes... Depuis 5 ans, on les entend constamment raconter des âneries ...

le 11/04/2013 à 1:37
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très bon. on ne pouvait pas mieux dire. en tout cas, les 60 milliards de charge de la dette ne sont pas "une fable" ;)

le 11/04/2013 à 10:19
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Le plein emploi ne pourra exister qu'avec moins de différence de salaire entre lees pays riches et les pays pauvres. Sinon, les achats des pays riches vont faire le plein emploi dans les pays pauvres et pas chez eux. CQFD

à écrit le 10/04/2013 à 17:56
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Le seul objectif de l'état devrait être le plein emploi ? ah et pourquoi donc ? Le vrai objectif devrait être le bonheur des citoyens, travail pour ceux qui veulent travailler s'ils trouvent ça intéressant, et loisirs, pour ceux qui préfèrent les l...

à écrit le 10/04/2013 à 11:41
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Les politiques d'austérité conduites en Europe sont un échec évident: les courbes de l'endettement/PIB et de baisse du PIB sont diamétralement opposées: austérité + = PIB - = % endettement/PIB = ++. Il est étonnant de voir combien de gens, et sans do...

le 10/04/2013 à 16:00
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pour info, l'austérité actuelle, ce n'est pas moins d'état, moins de dépenses,m ais tjrs plus d'impots pour tjrs plus d'état, et c'est cela qui en marche pas. Pour Amazon, vous avez le discours classique des socialistes qui disent que l'entreprise n...

le 10/04/2013 à 16:41
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la santé. mons chère en France et de bonne qualité. aux US. bonne qualité mais 5 à 6 fois plus cher.

le 10/04/2013 à 17:19
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La question n'est pas de savoir si l'offre publique est plus efficace ou moins coûteuse que l'offre privée, mais dans quels secteurs le privé peut-il se substituer avantageusement à l'état... Croyez vous sincèrement que la recherche fondamentale pour...

le 11/04/2013 à 8:34
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Les autoroutes. Cf l'A7 qui n'a plus d'enrobés drainants depuis le privé Les grandes écoles ou le rapport coût des études/ valeur du diplôme mesuré par les premiers salaires est devenu catastrophique Les hôpitaux: comparés à la Grande Breta...

à écrit le 10/04/2013 à 11:38
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Excellent ! Ceux qui pronent de "Circonscrire les dépenses publiques strictement aux revenus engrangés par l'Etat" sont ceux là même qui privent l'Etat de ses revenus en défiscalisant, en fraudant et en évadant leurs revenus, donc on comprend bien p...

à écrit le 10/04/2013 à 10:18
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Avant de me prononcer sur cette nouvelle assertion de ce monsieur, je vais éplucher mes prochaines factures et consulter mon contrôleur des impôts...

à écrit le 10/04/2013 à 10:01
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Je suis étonné que personne ne prend appui sur le contexte actuel pour prendre acte du fait que l'évasion fiscale est estimée selon ceux qui s'investissent sur la question entre 40 et 80 milliards (le fisc a récupéré en 2012 16 milliards!). D'autres ...

le 10/04/2013 à 16:01
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je suis étonné que vous ne remarquiez pas qu'à chaque foisque l'état augmente le déficit, les chiffres de la fraude sont augmenté d'autant pour correspondre au déficit de l'état et dire que s'il est en déficit, c'est la faute à la fraude ...

le 11/04/2013 à 13:17
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Votre réponse serait intéressante si celle-ci était accompagnée de chiffres qui justifient votre argumenttion qualitative. S'agissant de la dette il serait interessant d'analyser lagenèse de celle-ci. En effet il arrive a un moment ou les prelevement...

à écrit le 10/04/2013 à 8:06
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J'ai trouvé!! Ce Monsieur conseille les banques centrales du Liban, du Paraguay et d'Indonésie.Me voilà rassuré sur ses compétences!!

le 10/04/2013 à 8:26
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C'est chic d'avoir un gauchiste qui écrit dans la Tribune..

à écrit le 09/04/2013 à 21:44
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L'Etat doit avoir pour seule préoccupation de tout mettre en oeuvre pour le bien-être et la protection des citoyens, les banques centrales doit avoir pour seule préoccupation l?équilibre des comptes publics et les entreprises doit avoir pour seule pr...

le 10/04/2013 à 12:02
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Je ne connais pas ce Monsieur. Votre réaction n'apporte rien au débat qui devrait etre une argumentation et non un jugement sur le personnage, fut-il ironique. En attendant de vous lire.....

à écrit le 09/04/2013 à 19:08
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*Michel Santi est un "économiste" franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays "émergents". Il est "membre" du World Economic Forum, de l'IFRI et est "membre" fondateur de "l'O.N.G. « Finance Watch »". Il est aussi l'auteur de l'ouvrage ...

le 09/04/2013 à 21:06
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L'austérité réduit l'activité, ce qui réduit ensuite les ressources fiscales et accroît le déficit, donc la dette. C'est ce qui se passe partout où l'austérité est utilisée ; nul part elle n'a permis de réduire la dette. Vous semblez avoir peur des i...

le 10/04/2013 à 11:24
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M. PierreFirode, L'augmentation abusée des impôts est à l'origine de la perte de confiance, et conséquence logique du chômage qui augmente, cette austérité d'augmentation des impôts et destructive économiquement, non seulement, les investisseurs étra...

le 10/04/2013 à 13:31
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@L'Oracle : je suis assez à l'aise avec l'augmentation tendancielle, sur le long terme, du poids de la dépense publique dans le PIB. Depuis deux siècles, ce ratio augmente régulièrement dans tous les pays développés, et il est fortement corrélé avec ...

le 10/04/2013 à 16:07
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@PierreFirode : pour la france, depuis que les dépenses publiqeus ont dépassé 40 % du PIB sous VGE, la croissance tendancielle de l'économie est passée de 6 % à quasiment 0 % ... Comme dans tous les pays où les dépenses publiques augmentent, la crois...

le 10/04/2013 à 17:30
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Je ne réponds pas à votre sortie sur l'URSS que je prends pour une boutade - non seulement les ressources de l'URSS étaient de 3 à 5 fois inférieures à celles du camp d'en face, mais en outre son système économique était, tout bien pesé, moins effica...

le 10/04/2013 à 18:15
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@ John Galt : dans votre dernier commentaire, vous dites que l'augmentation de la dépense publique par rapport au montant du PIB est liée à la démocratie ; faut-il donc comprendre que les États que vous citez, où la part de la dépense publique dans l...

le 11/04/2013 à 0:13
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M. PierreFirode, Je conclu que vous défendez l'augmentation de la dépense publique, en augmentant les impôts, des entreprises et des particuliers, même si je n'ai pas vu dans vos écrits dire explicitement défendre l'augmentation des impôts des parti...

à écrit le 09/04/2013 à 18:25
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Une relance par les deficit, c est une option attirante, mais je ne crois pas que lorsqu on demarre d un deficit structurel tres eleve comme pour notre bonne vieille economie francaise, on puisse se permettre de juste laisser filer le deficit. Les pe...

le 09/04/2013 à 21:09
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Le déficit structurel français s'est beaucoup réduit, il était de 1,2 % l'année dernière. Le reste est conjoncturel - en dopant l'activité par la dépense publique, on pourrait donc voir le déficit se réduire puisque la conjoncture pourrait s'améliore...

le 09/04/2013 à 23:08
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Ça tombe bien que vous parliez du Japon. D'abord, le Japon ne souffre plus de stagflation depuis longtemps, mais de déflation. Ensuite, pour la première fois depuis deux décennies, son premier ministre, "Abenomics", mène une politique de relance glob...

le 10/04/2013 à 16:11
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@ PierreFirode : c'est parfaitement faux, le déficit structurel (qui est une notion éminemment floue) français ne fait que s'accroitre. Renseignez vous : http://www.senat.fr/rap/r03-389/r03-38910.html

à écrit le 09/04/2013 à 17:42
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Certes. Mais l'arrosage de liquidités ne fait que provoquer une envolée du cours des actifs, au premier chef desquels l'immobilier, rendant encore plus pauvre relativement toute la partie de la population qui n'a pas hérité, les salaires étant eux s...

le 09/04/2013 à 21:11
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Votre démonstration qui s'achève par le CQFD fait fi du réel que l'on peut constater depuis cinq ans dans toute l'Europe. Ce que disent toutes les mesures statistiques (nationales, Eurostat, OCDE, FMI, etc.), c'est que l'austérité réduit le pouvoir d...

le 10/04/2013 à 11:07
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L'austérité réduit non pas le pouvoir d'achat mais la valeur des actifs avant toute chose et dans des proportions plus fortes ce qui fait que in fine, vous pouvez acheter plus d'actifs avec moins d'argent. Le contraire, c'est la politique d'endettem...

le 10/04/2013 à 13:37
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Non Manufuture, vous vous trompez, et ce n'est pas moi qui le dit c'est l'ensemble des organes statistiques du monde. Je veux bien vous suivre pour dire que l'austérité, en réduisant la demande globale, fait baisser le niveau de l'inflation, voire en...

le 10/04/2013 à 16:15
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@ PierreFirode : ce n'est pas l'austérité qui réduit le pouvorid'achat des gens, mais la récession. Récession liée au surrendettement massif. Une personne surrendetté commence à avoir une baisse du niveau de vie quand elle doit rembourser ses dettes....

le 10/04/2013 à 17:25
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@ John Galt : La récession n'est en rien liée au surrendettement massif ; les États-Unis ont une dette totale (secteur public + entreprises + ménages) très supérieure à celle des différentes sociétés européennes et connaissent pourtant une situation ...

à écrit le 09/04/2013 à 17:00
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"Les déficits seraient une charge supplémentaire qui pèse sur les générations futures ? Ceux qui le prétendent n'ont toujours pas compris qu'augmenter la dette aujourd'hui n'est nullement un transfert inter générationnel, mais intra générationnel. Ca...

le 09/04/2013 à 21:16
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Je dois confesser qu'elle me semble à moi aussi un peu confuse. Je pense pour ma part que l'essentiel du remboursement n'aura jamais lieu : avec des niveaux d'endettement à 100 % du PIB environ dans la zone euro, des taux de croissances à 0 % et des ...

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