Non, Jean-Marc Ayrault, la RSE n'est pas la roue de secours de l'économie !

Par Patrick d'Humières*  |   |  747  mots
Patrick d'Humières (DR)
Mardi 18 juin, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a lancé la plateforme de promotion de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE), qui avait été discutée lors de la dernière réunion des partenaires sociaux. Elle devrait être opérationnelle en septembre. Mais le discours prononcé par le Premier ministre à cette occasion n'a pas convaincu Patrick d'Humières, spécialiste de l'entreprise durable et directeur de la formation dédiée à l'Ecole Centrale de Paris. Ce dernier critique la légèreté avec laquelle le gouvernement traite un sujet pourtant vital pour l'industrie, l'économie et la France...

Un grand malentendu sur la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) s'installe en France, et pourrait mettre en danger les efforts réels et méritoires des entreprises qui se sont engagées de bonne foi dans cette aventure volontaire pour traiter les impacts de leurs activités mondiales. L'intervention du Premier Ministre sur le sujet vient nourrir la confusion, puisqu'il plaide pour une RSE décrite comme une sorte de roue de secours d'une économie en crise.

De fait, une étape a été franchie ces dernières années, où ce concept a été revisité par les entreprises pour passer d'une vision limitée, largement philanthropique, dite citoyenne ou « d'entreprise-providence », à une vision dite de responsabilité sociétale qui prend en compte dans son modèle économique les enjeux collectifs qui la concernent. Le concept ancien, lui, laissait le soin à la bénévolence patronale d'apporter une rétribution complémentaire à la société civile par des initiatives relevant du mécénat pour l'essentiel ou de la bonne intégration locale.

S'engager dans la nouvelle économie
Mais comme l'ont indiqué les organisations internationales actives en ce domaine - des Nations Unies à l'OCDE, en passant par la Commission Européenne et l'ISO -  dans le contexte d'une planète écartelée entre toutes ses problématiques de durabilité sociale, environnementale et de régulation des échanges, la question centrale du rapport entreprises-société passe par la réduction des impacts négatifs et celle de l'accroissement des impacts positifs. Ceux-ci doivent être sélectionnés par l'entreprise pour leur pertinence, en lien avec toutes ses parties prenantes, dont elle rendra compte avec ses résultats financiers, pour aider à l'internalisation des fameuses externalités au lieu de les laisser aux contribuables, aux voisins sans défense ou aux générations futures.

C'est la nouvelle économie, qui est rendue possible par le dialogue, l'innovation et la mutation de l'offre, plus durable. De plus en plus de pays s'engagent dans cette voie d'incitation de la RSE « économique », pour accorder aux entreprises des contreparties - de type fiscalité, marchés, facilitations diverses - comme l'ont fait le Maroc, l'Inde, la Chine, et 37 autres Etats depuis trois ans. Le premier levier public utilisé est aujourd'hui la demande de reporting qui permet aux parties prenantes, dont les investisseurs en premier lieu, de se faire un jugement objectif sur les risques sociétaux que court l'entreprise.

Les mauvaises mesures du gouvernement retardent la mutation des entreprises françaises
La France a été pionnière en la matière, et le Commissaire français à Bruxelles porte aujourd'hui ce dispositif dans le cadre de la réforme de la directive comptable. Il ne sera voté que s'il reste dans l'esprit voulu par les autres pays du « dire ou s'expliquer ». Ces impulsions publiques respectent la nature strictement volontaire de l'engagement d'entreprise dans sa sphère d'influence. Le Gouvernement ferait une erreur grave en cédant à la tentation de transformer une bonne idée qui fait son chemin en système de contrainte. Tout comme il se laisse aller en installant une plate-forme RSE fermée avant même son commencement, en menaçant de durcir les textes issus du Grenelle, ou encore en imposant d'acheter des notes sociales - faites par qui, comment ? - et en développant une rhétorique accusatoire pour justifier ce levier.

Ce sujet est révélateur du climat actuel autour de l'entreprise alors qu'il peut offrir une bonne occasion de l'améliorer, si on veut bien inciter et non contraindre. Attention à ne pas « nationaliser » la RSE. C'est à l'entreprise de régler sa démarche d'intégration sociétale et à l'Etat de reconnaître celles qui le font au détriment de celles qui ne le font pas. La stratégie de modulation par l'impôt notamment, ne permettrait-elle pas de fonder l'essentiel d'une politique publique de RSE : favoriser les entreprises qui créent de l'emploi, payent des taxes et fournissent des bénéfices sociaux et environnementaux, par rapport à celles qui le font moins ou pas, au-delà du respect de la loi. Si on veut bien comprendre que la RSE est une façon de permettre aux entreprises de réussir leur mutation sociétale et d'en faire un avantage concurrentiel, et non une mesure punitive, la France évitera de se mettre à l'écart d'un progrès international qui est à la fois irréversible et en marche.
 

*Patrick d'Humières est directeur de la formation Entreprise Durable à l'Ecole Centrale de Paris.