Jusqu'où peut aller l'Allemagne face à la BCE ?

Hans-Werner Sinn est professeur d'économie et de finances publiques à l'Université de Munich et Président de l'Institut Ifo.
Hans-Werner Sinn, président du l'Institut allemand de la recherche économique (Ifo). Copyright Reuters

La Cour constitutionnelle allemande se prépare à ce qui pourrait devenir la décision la plus importante de son histoire. En septembre dernier, la Cour a autorisé le gouvernement allemand à signer le Traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES), un dispositif de sauvetage intergouvernemental permanent de la zone euro. A présent cependant, il se pourrait qu'elle tente d'arrêter le programme de transactions appelées OMT (Outright Monetary Transactions) de la Banque centrale européenne (BCE) qui s'engage à acheter sans limite des emprunts d'Etat à des pays de la zone euro en difficulté soumis aux conditions du MES.

La Cour allemande n'a bien sûr aucune autorité sur la BCE et n'a donc aucun pouvoir pour juger ses actions. La seule institution qui dispose de ce pouvoir est la Cour européenne de justice du Luxembourg. Mais la Cour constitutionnelle allemande peut juger si les actions des institutions de l'UE sont compatibles avec sa constitution et les traités de l'Union Européenne.

La Cour pourrait interdire à la Bundesbank de participer au programme OMT

Si la cour constate que les actions de la BCE sont illégales, elle peut contraindre les institutions allemandes, y compris le parlement allemand. Par exemple, elle pourrait interdire à la Bundesbank de participer au programme des OMT. Ou elle pourrait encore décider que la participation du gouvernement allemand au MES doit être subordonnée à la volonté de la BCE de limiter les OMT. Udo Di Fabio, ancien juge renommé à la cour, a argué du fait que le tribunal pourrait même forcer le gouvernement allemand à revoir les traités de l'UE s'il ne réussit pas à limiter le programme des OMT.

Les défenseurs du programme des OMT précisent que ce dernier a calmé les marchés financiers en affirmant l'empressement de la BCE à intervenir comme prêteur en dernier recours pour racheter la dette souveraine avant qu'un pays ne fasse faillite. En conduisant le marché vers un soi-disant « bon » équilibre, les taux d'intérêt de ces pays restent bas et on peut continuer à emprunter. Ils précisent que les banques centrales partout dans le monde entreprennent des actions semblables pour stabiliser les marchés. La Réserve Fédérale, en particulier, a acheté d'énormes quantités d'emprunts d'Etat du gouvernement américain.

Le mandat de la BCE est plus limité que celui de la Fed

Les adversaires précisent que c'est bien là qu'est le problème, parce que le mandat de la BCE est plus limité que celui de la Fed. Après tout, la zone euro n'est pas un pays fédéral et le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (l'article 123 en particulier) interdit explicitement le financement monétaire des Etats Membres, ce qui était la condition pour que l'Allemagne abandonne le Deutsche Mark. Par ailleurs, affirment les adversaires, même la Fed n'achète pas des obligations émises par des États américains en difficulté, comme la Californie ou l'Illinois.

Les défenseurs des OMT répliquent que le Traité interdit seulement les achats directs d'emprunts du gouvernement : les achats indirects sur les marchés secondaires sont autorisés. Mais la décision de ne pas interdire les achats indirects, font valoir les adversaires, pourrait être destinée à autoriser la BCE à mener des opérations repo hebdomadaires, selon une pratique utilisée par la Banque de France pour réduire les fluctuations des taux d'intérêt à court terme. Ce n'était pas un mandat pour acheter ou annoncer l'achat de stocks importants d'emprunts pour réduire les taux d'intérêt à long terme.

Une myriade de possibilités de contournement

En outre, ne pas interdire les achats indirects doit être considéré avant tout comme un moyen de permettre à des banques qui achètent des emprunts d'État de les revendiquer à titre de garantie pour les opérations de refinancement, tout en supportant le risque de l'investissement. La distinction entre les achats d'emprunts au gouvernement et aux banques qui les ont achetés au gouvernement est une imposture qui donne lieu à une myriade de possibilités de contournement.

Un souci majeur de la Cour constitutionnelle allemande est la similitude entre le Système de soutien sur le marché secondaire (SMSF) du MES et le programme des OMT de la BCE, qui impliquent tous les deux l'achat d'emprunts d'Etat sur les marchés secondaires. Les deux méthodes sont réalisées selon des conditions presque identiques, qui nécessitent l'approbation par le MES du programme de réforme d'un pays, et aucun d'eux n'a été déclenché jusqu'ici.

La responsabilité maximale de l'Allemagne s'élève à 190 milliards d'euros dans le SMSF

Mais la capacité de la SMSF à fournir un financement est plafonné indirectement par la responsabilité maximale des Etats membres à 700 milliards d'euros (920 milliards de dollars), après que la Cour constitutionnelle a exclu la responsabilité conjointe et solidaire dans sa décision de septembre 2012, et la responsabilité maximale de l'Allemagne s'élève à 190 milliards d'euros. En revanche, le programme des OMT est sans contrainte. Puisque les pertes de la BCE ont pour conséquence des pertes de seigneuriage pour les trésors publics nationaux respectifs comparables aux pertes du MES, le programme des OMT mine évidemment le MES qui dicte sa loi en augmentant le risque de responsabilité au-delà du niveau approuvé par les parlements.

Une des deux institutions, SMSF et OMT, abuse de son mandat

La similitude entre la SMSF et les OMT implique également qu'au moins une des deux institutions abuse de son mandat. Si les achats des emprunts d'Etat sont des opérations monétaires comme le prétend la BCE, alors le MES a une portée trop générale. S'il s'agit d'opérations financières, alors c'est la BCE qui a passé les bornes.

Selon cette logique, au moins une des institutions agit illégalement. Comme la Cour constitutionnelle a déjà donné son feu vert au programme SMSF du MES, sa décision sur le programme des OMT semble évidente. Cependant dans les cours comme en haute mer, les prévisions sont souvent incertaines.

 

© Project Syndicate 1995-2013


 

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Commentaires 2
à écrit le 07/07/2013 à 7:55
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On a l'UMPS aussi c'est une ONG qui travaille pour la BCE

à écrit le 06/07/2013 à 20:59
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Chez nous, pas de souci à se faire, aucun organisme ne viendra empêcher la merveilleuse marche en avant de la désintégration de notre nation. Point de BCE, SMSF, OMT et autres MES, nous avons bien mieux la QVS (quantité de vaseline suffisante) qui pe...

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