La loi de sécurisation de l'emploi porte-t-elle bien son nom ?

Si elle comporte un certain nombre d'avancées, la loi transposant dans le code du Travail l'accord interprofessionnel du 11 janvier 2013 présente des zones d'ombre susceptibles de rendre les plans de restructuration plus compliqués, voire moins sécurisés...
Combien de pages en plus - ou en moins - pour le code du Travail, qui en comptait déjà 3371 dans la version du Dalloz 2012 ?

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi a officiellement été publiée au Journal Officiel dimanche 16 juin 2013, transposant ainsi dans le code du Travail l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013. Cette loi bouleverse en profondeur la législation applicable aux plans de licenciement collectif pour motif économique. Plus que jamais, la vigilance et une rigoureuse préparation des plans de réorganisation s'imposent aux entreprises. Loin de simplifier la vie de ces dernières, la nouvelle législation risque d'ouvrir une nouvelle période d'insécurité sur le plan juridique et opérationnel. Il faudra sans doute plusieurs années pour que la pratique et la jurisprudence contribuent à stabiliser le dispositif.

Un flou subsiste dans l'interprétation des textes

L'objectif des partenaires sociaux et du gouvernement était de simplifier et de sécuriser les lourdes procédures de licenciement économique, dont la mise en oeuvre est particulièrement complexe, longue et souvent incertaine. De nombreuses entreprises peinent à ajuster rapidement leur structure de coût, et leur redressement s'en trouve fortement pénalisé.

En amont de ces procédures, la loi crée deux nouveaux outils de flexibilité :
- un outil « à chaud », l'accord de maintien dans l'emploi, permettant, en contrepartie de l'engagement de maintenir les emplois, d'aménager la durée du travail et la rémunération pour une durée maximale de deux ans ;
- un outil « à froid », par lequel il sera possible de conclure un accord sur la mobilité interne.

Dans les deux cas, il semble résulter du texte que le refus de plus de neuf salariés dans la mise en oeuvre des dispositions de ces accords s'analyserait en un licenciement individuel pour motif économique et dispenserait l'employeur d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).

En aval, deux options sont désormais possibles :

- élaborer un PSE dans le cadre d'un accord majoritaire avec les organisations syndicales représentatives de l'entreprise ;
- élaborer un document unilatéral ayant trait au projet de licenciement et au PSE.

Un certain flou subsiste dans l'interprétation des textes, sur la possibilité de choisir l'une ou l'autre des options ou sur la nécessité de rechercher d'abord un accord d'entreprise, avant d'établir un document unilatéral. Un consensus semble toutefois se dégager en faveur d'un choix laissé à l'entreprise de recourir à l'une ou l'autre des méthodes.

Dans la première option, le projet d'accord d'entreprise serait négocié avec les organisations syndicales, puis soumis à la consultation du comité d'entreprise (CE) et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avant de faire l'objet d'une validation par l'administration dans un délai de quinze jours. Cette procédure n'est toutefois pas exempte de difficultés pour l'employeur : négociation d'un accord d'entreprise, consultation du CE et du CHSCT sur le projet d'accord d'entreprise, signature de l'accord, puis nouvelle procédure de consultation des institutions représentatives du personnel (IRP) sur la motivation économique du projet.

L'entreprise aura également la faculté d'élaborer un document unilatéral qui devra faire l'objet d'une consultation du CE et du CHSCT avant d'être soumis à l'homologation de l'administration qui se prononcera dans un délai de vingt-et-un jours.

Le délai de contestation passe de cinq ans à douze mois

La procédure d'information et de consultation des IRP est désormais enfermée dans des délais impératifs de deux à quatre mois selon le nombre de licenciements envisagés. Ceci représente un progrès considérable par rapport aux procédures en vigueur, dont la durée minimale actuelle correspond plutôt à la durée maximale visée par la nouvelle loi.
La loi traite très justement de la problématique relative à la désignation et à la mission de l'expert nommé par le CE. L'employeur et l'expert devront toutefois faire preuve d'une rigueur accrue et de célérité au regard des délais impartis pour la mise en oeuvre de l'expertise. Au regard des délais courts imposés désormais, le travail de préparation de l'expertise devra faire l'objet d'une attention méticuleuse de la part des entreprises. C'est d'ailleurs souvent un facteur de retard important dans les procédures actuelles, les experts se prévalant d'un prétendu retard des entreprises à leur transmettre les informations et documents demandés pour justifier de l'impossibilité de déposer leur rapport dans les délais.

Certaines imprécisions risquent de créer des difficultés. La disparité des procédures applicables à l'accord d'entreprise par rapport au document unilatéral est source d'interrogations. De même, le texte retire le contentieux afférant à la contestation de la validité des PSE aux juridictions de l'ordre judiciaire. Toute contestation de la procédure relative aux accords d'entreprise et aux documents unilatéraux devra être portée devant les juridictions administratives.

La loi a opportunément instauré un délai de trois mois dans lequel le tribunal administratif devra rendre sa décision. Toutefois, le délai de recours devant la cour administrative d'appel combiné à l'absence de délai déterminé alloué au Conseil d'État pour statuer pourrait faire peser une incertitude sur la validité du PSE pendant une période indéterminée, préjudiciable au regard des contraintes subies par les entreprises. En effet, une annulation de la procédure de licenciement entraînerait la nullité des licenciements qui auraient été opérés dans l'intervalle. Les salariés licenciés pour motif économique conservent la possibilité de contester le caractère réel et sérieux du motif économique de la rupture de leur contrat de travail dans un délai de douze mois, contre cinq ans actuellement.

La loi comporte donc des avancées. Mais peut-on pour autant considérer que les procédures de licenciement collectif pour motif économique seront plus simples et plus sécurisées pour les entreprises ? Rien n'est moins sûr. Les nouvelles procédures instituées par la loi, le caractère très technique des nouvelles dispositions, les zones d'ombre et les lacunes de la loi, le transfert de l'essentiel du contentieux collectif afférent aux plans sociaux aux juridictions administratives combinés à l'absence de décrets d'application, circulaires administratives et de toute jurisprudence sont une source d'inquiétude pour les plans de restructuration qui seront mis en oeuvre à compter du 1er juillet 2013.

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* François Farmine est avocat au Barreau de Paris, associé chez Clifford Change. Renaud Montupet est directeur d'Alixpartners

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Commentaires 5
à écrit le 06/07/2013 à 11:48
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J'aime mon pays, mais je constate son déclin chaque jour un peu plus, j'ai du mal aujourd'hui à être fier de cette France! En 97, lors de l'explosion du chômage, Aubry a fait passer le temps de travail à 35 heures, croyant naïvement "mieux distribuer...

à écrit le 04/07/2013 à 9:40
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Les entreprises vont nécessairement s'adapter au risque, mais hélas elle s'adaptent aux risques juridiques engendrés par l'administration au lieu de s'adapter à leurs marchés mondiaux. Pour faire simple, il vaut mieux travailler avec des intérimaires...

le 06/07/2013 à 17:19
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joliment interpreté, propos très juste

à écrit le 03/07/2013 à 17:43
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Le nom PSE est déjà totalement hypocrite : appeler un plan de licenciements un plan de sauvegarde de l'emploi, c'est de la novlangue. Appelez un chat un chat !

le 04/07/2013 à 10:10
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Vous avez raison les syndicats qui ont signé et ce gouvernement sont pires que le MÉDEF, c'est peu dire. C'est encore le peuple qui paye honte à eux.

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