La main (pas si) invisible de la City prise dans le sac

Par Florence Autret  |   |  642  mots
Florence Autret, correspondante à Bruxelles / DR
Au début des années 1990, la place de Paris était à la pointe de l'innovation financière. Sur le Matif, le marché à terme des instruments financiers, les premiers contrats à terme sur les taux d'intérêt s'échangeaient autour de la corbeille dans une ambiance frénétique.

Sur les écrans s'affichaient en temps réel le meilleur prix offert à la vente comme à l'achat, ainsi que la valeur de la dernière transaction. Regarder cette ruche était comme ouvrir un manuel d'économie à la page : « main invisible ».

Sur le « parquet », la belle métaphore d'Adam Smith devenait une réalité tangible, incarnée par un essaim grouillant de vestes de couleur dont les manches s'agitaient frénétiquement. Chacun disposait de la même information au même moment. Le rêve du marché pur et parfait devenait réalité.

Vingt ans plus tard, les criées ont quasiment disparu et le palais Brongniart n'est plus qu'un « lieu » loué à la journée. Les Bourses, en tant qu'infrastructures multilatérales chargées de faire fonctionner cette « main invisible », ont perdu leur monopole. Elles ne gèrent plus qu'une partie réduite des transactions sur actions et de lucratives niches sur certains contrats dérivés.

Le reste du « marché » est éclaté entre différents lieux de transactions multiples et immatériels, quand il n'est pas directement géré par les brokers qui négocient entre eux, en bilatéral, ou se contentent de « matcher » en interne les ordres de leurs clients. Une poignée de banques et de fonds ont acquis la maîtrise de l'information centrale, le prix, et sont en situation d'en tirer de confortables profits en jouant sur des « spreads » minuscules entre les cours auxquelles elles passent les ordres et ceux du marché.

Des réformes pour plus de transparence

Au moment de la première grande réforme des marchés de titre qui a aboli les monopoles boursiers, ces banques avaient mené une épique bataille pour soustraire certaines transactions sur actions à la « transparence pré-trade », autrement dit à l'obligation de révéler au client le prix du marché avant de passer un ordre. Elles l'avaient gagné.

« MiFID » avait ouvert la voie à de larges exemptions dans lesquelles elles s'étaient engouffrées, soustrayant non seulement les grands ordres mais aussi une bonne partie de la liquidité à cette règle de transparence élémentaire.

Quand le commissaire européen Michel Barnier a entrepris une réforme du texte en 2011, un de ses principaux objectifs était de ramener à la lumière une partie de ces ordres passés « dans le noir ». Il avait le soutien des régulateurs et de nombreux ministres des Finances européens, inquiets des effets de MiFID sur la formation des prix et le fonctionnement des marchés. Mais alors que la négociation de « MiFID 2 » progresse laborieusement vers un vote au Parlement après deux ans de négociations, rien ne dit que le commissaire français arrivera à ses fins.

La main (presque) invisible de la City ?

Ces dernières semaines, Markus Ferber, chef de file du Parlement sur ce dossier, s'est érigé en défenseur de ces exemptions pourtant unanimement critiquées. Dans un récent « non-papier » sur la transparence « pré-trade » envoyé à la présidence lituanienne, chargée de gérer la négociation, il reprend presque à la lettre l'argumentation des banques d'investissement. Son texte présente de troublantes similitudes avec le mail adressé en septembre par une coalition constituée par les BlackRock, LSE et autres Allianz aux principaux négociateurs du texte.

Ces documents, qui ne sont publics ni l'un ni l'autre mais que nous avons pu consulter, suggèrent que « les ordres passés dans le noir sont autorisés même quand ils ne sont pas grands, dès lors qu'il y a une notable amélioration du prix ».

Faut-il y voir l'oeuvre de la main (presque) invisible de la City ? La Commission européenne et les autorités de surveillance des marchés tenteront-elles une contreattaque ? La transparence des prix est la mère de toutes les batailles. Sans elle, le rêve d'Adam Smith s'évanouit.