"L'écotaxe sera enterrée"

Par Propos recueillis par Ivan Best et Romaric Godin  |   |  940  mots
Pour l'historien Frédéric Tristram, le risque est faible de voir la contestation fiscale affecter vraiment les rentrées d'impôts
La contestation fiscale n'aura pas de débouché politique, et elle affectera peu la collecte des impôts, estime l'historien Frédéric Tristram. Mais le gouvernement ne pourra pas instaurer l'écotaxe poids lourds. Propos recueillis par Ivan Best

 La contestation fiscale actuelle a eu des précédents historiques. Auxquels peut-on la comparer ?

-Au début des années 70, Gérard Nicoud, et le CIDUNATI, ont développé une contestation similaire, même si elle visait surtout les cotisations sociales. Et il faut bien sûr se souvenir du mouvement Poujade, au début des années 50. Un mouvement né comme aujourd'hui de la montée en puissance des impôts, et des projets de création de la TVA, qui inquiétaient beaucoup les commerçants. Il faut dire que ce nouvel impôt -alors- favorisait les grandes entreprises aux lourds investissements, puisque ceux-ci sont déductibles.

 

-Quelles sont les similitudes avec la révolte en Bretagne ?

 -Le mouvement poujadiste était un peu plus catégoriel, regroupant surtout des commerçants et artisans. Les liens avec le mouvement ouvrier, alors puissant, étaient faibles. Le PC s'est montré assez bienveillant au début, mais cela n'a pas duré.

En revanche, en Bretagne, aujourd'hui, on remarque la coalition d'agriculteurs, de patrons et de salariés. L'assise sociale est beaucoup plus large. C'est cela qui est très nouveau. Et peut inquiéter le gouvernement. D'autant que la Bretagne est une région qui a largement soutenu François Hollande, en 2012. Le Finistère est l'un des départements où il a réalisé ses meilleurs scores, avec 59% des voix au second tour. Au-delà, c'est dans le grand ouest de la France que le socialisme actuel a trouvé son assise, c'est là qu'il a construit une partie de son identité nouvelle, moins jacobine, plus décentralisatrice et attentive au dialogue social, c'est dans cette région qu'il a bâti sa conquête du pouvoir. Cette région ne peut remettre en cause le pouvoir actuel sans dommage pour lui.

 -La contestation actuelle peut-elle trouver un débouché politique, comme l'avait réussi Pierre Poujade ?

 -Pierre Poujade avait obtenu 52 députés à l'Assemblée nationale, en 1956. Mais le paysage politique était peu comparable : les partis centristes dominaient, il n'existait plus d'extrême droite. Le mouvement Poujade a occupé cet espace à l'extrême droite des partis de gouvernement. D'ailleurs, plusieurs de ses cadres avaient commencé leur carrière politique au Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot et avait accueilli favorablement les premiers temps du Régime de Vichy.

Aujourd'hui, la situation n'est pas la même et cet espace politique de droite extrême ou populiste est déjà largement occupé par le le FN. En outre, la contestation fiscale n'obtient que peu de relais, y compris de la part d'organisations peu favorables au gouvernement. Le Medef garde ses distances, tout comme l'UPA, qui cherche à canaliser le mouvement. Ce jeu n'est pas sans rappeler celui de la CGPME pendant le poujadisme.

  -Quelles conséquences peuvent avoir les appels à la grève fiscale, autrement dit le non paiement de certains impôts, lancés par certains artisans ? Y'a-t-il un risque pour l'Etat de voir ses rentrées fiscales baisser brutalement ?

 - Historiquement, ces appels n'ont jamais été réellement suivis d'effet au XXe siècle. Pendant le mouvement Poujade, qui avait pourtant eu un fort retentissement, l'administration n'a pas constaté une plus grande difficulté à encaisser les impôts et le contrôle fiscal n'a été vraiment ralenti qu'entre 1955 et 1956.

Il est vrai qu'elle a alors cherché à améliorer ses relations avec les contribuables. C'est à ce moment là que le fisc a commencé à élaborer des chartes donnant des garanties aux contribuables contrôlés, la première circulaire dans ce sens date d'octobre 1954.

 

 -Les Français avaient, jusqu'à maintenant, plutôt bien toléré l'impôt, même d'un niveau élevé. Quel a été le facteur déclencheur de la contestation ?

 -Il est vrai que l'administration française est l'une celles qui parvient le mieux à faire rentrer l'impôt. Un impôt que les Français ont plutôt bien accepté, jusqu'à aujourd'hui. Pour deux raisons principales. Parce qu'ils ont eu, jusqu'à une période récente, le sentiment « d'en avoir pour leur argent », de bénéficier de services publics importants.

Et parce que les nouveaux prélèvements qui leur ont été imposés depuis 1945 l'ont toujours été de manière très progressive. La TVA, créée au milieu des années 50, n'a ainsi touché l'ensemble du commerce qu'en 1968. La CSG, instaurée en 1991, avait alors un taux très faible, de 1,1%.

Aujourd'hui, outre l'élévation vers des sommets du taux de prélèvements obligatoires, c'est l'accumulation de mesures fiscales qui a fait déborder le vase. Plutôt que d'augmenter modérément un impôt au rendement élevé (taux normal de TVA, CSG…), le gouvernement Fillon comme celui de Jean-Marc Ayrault ont privilégié la multiplication des hausses sectorielles. Au risque d'alimenter la contestation.

 

 -L'écotaxe poids lourds était-elle un si mauvais impôt ?

-Elle devait entrer en vigueur dans un contexte particulièrement difficile pour la création d'un nouvel impôt : accumulation de taxes, situation économique difficile, avec une agriculture bretonne de moins en moins compétitive. Par ailleurs, les Bretons avaient l'habitude de ne pas payer pour les routes ou autoroutes, comme De Gaulle leur avait promis.

L'écotaxe a en outre constitué une cible facile : ces portiques la matérialisent et la symbolisent, ils constituent un lieu de rassemblement évident, et une cible relativement facile à démolir. Une vignette aurait sans doute eu moins de mal à s'imposer.

 

 -Sous quelle forme le gouvernement peut-il la faire accepter ?

-Je ne vois pas comment cette écotaxe pourrait être instituée, au vu des événements récents. Le gouvernement devra oublier ce projet.