Plus de monnaie, moins de dette !

Par Philippe Murer  |   |  1842  mots
La dette a notamment pour origine le manque de monnaie en circulation. Comment éviter l'endettement par la création d'argent... Par Philippe Murer, professeur de finance à la Sorbonne

 

Une quantité d'argent suffisante en circulation est nécessaire pour le bon fonctionnement de l'économie. Tout le monde peut le comprendre. Si la quantité de billets en euros était brutalement divisée par 10, les gens auraient des problèmes pour échanger les marchandises, acheter leur pain tous les soirs : on serait à cours de billet !

Si on est à cours de billet, l'économie freinerait brutalement faute de moyens de paiement. Sauf si le boulanger et tous les commerçants vous faisaient crédit pour que vous puissiez leur acheter leur pain, leurs vêtements, leurs téléphones. Ou bien si les banques faisaient facilement crédit à tout le monde pour que les gens puissent payer avec l'argent prêtée par les banques.

 Quand l'argent manque, il faut avoir recours au crédit

Mais l'économie se trouverait un beau jour sous une montagne de dettes et de créances partagée entre tous les participants ! Et nous aurions inévitablement à la moindre saute de confiance, une épidémie de demande de remboursement de dettes qui finirait par une faillite généralisée, personne ne pouvant payer ses dettes puisqu'il faudrait pour cela qu'un autre vous les paie !

Cette petite fable, grossissant volontairement le trait en divisant par 10 la quantité d'argent en circulation, montre bien que si la quantité d'argent dans l'économie est insuffisante par rapport aux échanges, les dettes et créances se répandent pour compenser ce manque d'argent. Rien que de très logique finalement : l'argent manque, il faut donc faire du crédit ou de la dette pour compenser ce manque. Et cela représente parfaitement bien le problème de toutes nos économies qui croulent sous la dette après 40 ans de croissance de l'endettement.

Comment en sortir?

Sortons de la fable et cherchons des solutions. A noter que nous aurions pu écrire la même histoire avec le problème de la monnaie électronique, les comptes en banques et les comptes des banques et de l'Etat auprès de la banque centrale, nous serions arrivés à la même conclusion mais nous n'aurions pu intéresser que les économistes.

Mais qui crée donc ces billets ? Qui a le droit de créer de l'argent à partir de rien ?

Une seule personne a le droit de créer de la monnaie sans aucune contrepartie, sans ne rien devoir à personne après cette création : la Banque Centrale[1]. Si la Banque Centrale d'un Etat décide de faire imprimer pour 1 Milliards d'euros de billets, elle va faire tourner les machines des imprimeries qu'elle contrôle pour créer de nouveaux billets ; elle pourra le faire sans problème, elle a juste utilisé son droit de créer de la monnaie. Elle ne doit rien à personne pour autant ! Tous ceux qui impriment des billets quasi gratuitement sont des criminels (faux monnayeurs) sauf l'instance suprême de la monnaie : la banque centrale ![2]

Pourquoi notre économie manque- t-elle toujours d'argent ? Pourquoi et comment l'endettement privé ou public compense-t-il ce manque d'argent ?

Prenons un exemple plus réaliste pour montrer cet état de fait. Imaginons que la richesse générée dans notre pays, le PIB, soit de 100 euros et que sa croissance soit de 2% par an en moyenne. La deuxième année, la richesse sera de 102 euros.

Si la monnaie papier qui existait la première année était de 100 euros et était suffisante, ni trop, ni trop peu pour que les gens puissent l'utiliser pour échanger, acheter leur pain (…) dans une économie ou la richesse générée était de 100. Il faudrait donc 102 euros de monnaie maintenant pour que l'argent existe en quantité suffisante.

Sans création de monnaie, il y a création de dette

Si la Banque Centrale ne crée pas de monnaie, la quantité d'argent pour faire tourner l'économie restant à 100 euros est donc trop faible puisque la richesse a augmentée de deux euros. Soit les banques font des prêts, soit les commerçants font des crédits pour compenser ce manque d'argent. On voit facilement qu'il y aura une création de deux euros de dettes pour que l'économie puisse tourner.

Il se passera la même chose chaque année et chaque année la dette augmentera. Par exemple, vous pouvez faire le calcul, la richesse générée la 30ème année sera de 181 euros, et le montant de dettes aura augmenté de 81 euros soit environ 45% du PIB[3]. L'argent nécessaire pour suivre la croissance n'étant créée que par de la dette, des montagnes de dettes s'accumulent !

La dette publique et privée a explosé dans nos économies

C'est ce qui se passe dans nos économies. On peut remarquer s que la dette publique et privée dans les pays développés est ainsi passée de 140% du PIB en 1980 à 250% du PIB en 2012 selon Thomson Reuters.

On comprend ainsi que les politiques d'austérité ne peuvent pas fonctionner. Ne pas augmenter l'endettement privé et public est impossible dans ce système, le réduire encore plus sauf :

. si un pays A génère un excédent commercial important et siphonne l'argent d'un autre pays B et augmente le problème de B ! Ce qui résout temporairement le problème de A en augmentant le problème de B.

. en créant une forte inflation (accompagnée de taux réels négatifs) qui ronge cette montagne de dettes.

 

Quelles solutions ? Comment faire en sorte que la quantité d'argent soit suffisante pour faire tourner l'économie, sans rajouter de la dette ?

En voici quelques contours essentiels avec une proposition concrète pour alimenter le débat.

On a vu que l'économie a besoin pour tourner d'une hausse de la quantité d'argent équivalente à la hausse de la croissance du PIB, soit dans notre exemple précédent une hausse de 2% de la quantité de monnaie par an équivalente aux 2% de croissance.

Il faut donc que la Banque Centrale imprime chaque année l'équivalent de 2% de billets en plus. Ces billets, qu'en faire, à qui les confier ? Il est évident que la seule personne garante de l'intérêt général est l'Etat : donnons donc ces deux euros de billets en recettes à l'Etat. Du coup, l'Etat aura besoin de moins taxer et pourra par exemple baisser ses impôts de deux euros puisqu'il aura des recettes supplémentaires de deux euros chaque année ! Et tout le monde s'en portera mieux !

Une croissance de la monnaie maîtrisée

Avec cette règle, il n'y aura plus de créations de dettes nécessaires chaque année pour que la quantité d'argent en circulation s'ajuste à la taille de l'économie. On peut dans la Constitution, pour qu'il n'y ait pas d'abus, écrire que la Banque Centrale imprimera chaque année des billets selon la règle suivante : la masse de billets en circulation doit être augmentée du montant de la croissance moyenne depuis cinq ans. Pas plus, pas moins.

Ainsi, l'Etat ne pourra pas « céder aux sirènes populistes » comme disent les libéraux et être trop dépensier pour se faire réélire auprès de clientèles (ceci est partiellement vrai et partiellement faux mais est très clairement instrumentalisé par les libéraux qui oublient le problème du manque d'argent dans l'économie et l'explosion de l'endettement, obligatoire et nécessaire, qui s'ensuit). Ainsi, la masse de billets en circulation augmentera à la même vitesse que l'économie et ne sera en rien inflationniste mais évitera la déflation car il n'y aura pas de montagne de dettes obligatoires et nécessaires comme aujourd'hui.

 

Nota Bene :

J'ai simplifié à dessin le propos pour qu'il soit compréhensible mais sans le déformer afin de rendre ce problème du « manque d'argent dans l'économie » compréhensible alors que les problèmes monétaires sont en général difficilement compréhensibles pour les non-économistes !

Je n'ai pas tenu compte de la monnaie électronique qui a finalement le même fonctionnement que la monnaie papier : par exemple, la Banque de France au lieu de créer 2 euros de billets papiers qu'elle donne physiquement à l'Etat peut créer 2 euros de monnaie électronique pour l'Etat : cela signifie qu'elle crédite de 2 euros le compte en banque de l'Etat auprès de la banque de France.

Tenir compte de la monnaie électronique complexifie l'exposé du problème mais ne change pas le problème.

Je n'ai pas tenu compte non plus d'une gestion intelligente d'un très fort taux d'inflation pour résoudre le problème de la montagne de dettes : ainsi si vous avez une dette de 100 euros à taux fixe de 3% sur 20 ans et qu'une forte inflation de 10% par an apparaît, votre dette va fondre mécaniquement de 7% par an ! L'inflation rongera la dette chaque année en « spoliant » le rentier. L'utilisation de l'inflation a été utilisée parfois, consciemment ou inconsciemment, et a permis de ronger peu à peu les dettes accumulées. Malheureusement pour nous, dans les années 70, nous avons opté pour la faible inflation et l'impossibilité de régler ce problème de dette par l'inflation !

Pour simplifier, je n'ai pas non plus parlé de la vitesse de circulation de la monnaie, débat technique qui opacifie le problème mais ne change rien.

Enfin, j'ai simplifié en éliminant les dettes nécessaires pour acheter des biens immobiliers, qui sont d'autant plus grandes que le prix de l'immobilier est élevé, les dettes que les entreprises dépensent pour se racheter et tous les phénomènes de spéculation qui augmentent encore ce montant de dettes ! Ce problème est différent et doit être réglé différemment.

 

Je remercie Jean-Baptiste Bersac pour m'avoir réappris cette « pratique » de la monnaie nommée Chartalisme et qui a sorti très récemment un livre « Devises : l'irrésistible ascension » qui va beaucoup plus loin que le petit exercice fait ci-dessus.

Philippe Murer est enseignant vacataire en finance à la Sorbonne et membre de www.forumdemocratique.fr

 

 

[1] Les banques privées créent aussi de la monnaie lorsqu'elles prêtent. Ainsi, si vous empruntez 10.000 euros à BNP, BNP créditera votre compte de 10.000 euros. Il y aura en échange de votre reconnaissance de dette, une quantité d'argent supplémentaire dans le circuit de 10.00 euros. Mais en échange de cette création d'argent, il y a une dette contrairement à la création d'argent par la banque centrale qui ne requiert aucune dette et ne déséquilibre pas l'économie.

[2] Evidemment, donner un tel droit à la Banque Centrale signifie qu'elle doit représenter l'intérêt général et non un intérêt privé particulier : elle doit donc appartenir nécessairement à l'Etat dans tout système équilibré.

[3] On aurait pu faire des calculs plus complexes pour tenir compte d'une inflation à 1% et introduire un taux d'intérêt sur la dette de 2% et nous aurions obtenu une dette sur PIB de 44% la 30ème année.