Pourquoi Hollande finira normalement son quinquennat

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  1186  mots
Au regard des précédents historiques, les ingrédients d'une véritable déstabilisation du régime ne sont pas réunis. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire général au Plan

La presse, les radios, les réseaux sociaux sont pleins de la rumeur : François Hollande ne fera pas le quinquennat, tout au moins sous sa forme normale. Et chacun d'inventer son scénario : démission, dissolution, gouvernement d'experts.

Me reviennent en mémoire les opérations de déstabilisation que j'ai vécues, de plus ou moins près : mai 58, mai 58, avril 61. Seule la première a réussi. Quelques éléments sont communs à ces trois évènements : la rapidité des retournements, l'existence de puissants déclencheurs, l'existence d'une solution de remplacement.

 Quand l'impossible devient possible

Dans toutes ces crises, à un moment, s'est produit une rupture, une bascule. Le système cesse de fonctionner normalement. L'impossible devient possible. Les hommes se comportent différemment et ne respectent plus les codes. Les serments sont reniés et des coalitions inattendues se constituent. Les textes sont contournés et les procédures bafouées.

En 58, ceux qui le 14 mai s'affichaient comme prêts à combattre, y compris par les armes, le coup d'Alger se rendaient quelques jours plus tard à Colombey de jour ou de nuit. Ceux qui le 27 mai défilaient à la République pour dénoncer le coup d'état du Général de Gaulle se pressaient quelques jours plus tard autour de la tribune de l'Assemblée Nationale pour saluer le nouveau président du conseil.

En mai 68, des hautes personnalités proches du régime demandaient un rendez-vous à Pierre Mendès-Frances ou faisaient la queue dans les locaux sordides de la Rue Mademoiselle pour être reçu par Michel Rocard. En Avril 1961, à Alger, les généraux changeaient de camp deux fois par jour tandis qu'à Paris les prudents entretenaient des relations avec de hauts gradés de l'armée pour le cas où…

Des retournements de veste d'une rapidité fascinante

Les retournements de veste sont de tout temps mais la rapidité avec laquelle ils interviennent est toujours fascinante. Au moment du retour de l'Île d'Elbe, les préfets dans leur télégramme au Ministre de l'Intérieur, le premier jour parlaient de « l'usurpateur Bonaparte » les jours suivants de « Napoléon Bonaparte » et à la fin de la semaine de « l'empereur Napoléon Bonaparte »

En cas de bascule, François Hollande ne pourrait compter que sur une poignée de fidèles. Une éminence socialiste proposera l'Union Nationale, l'autre le recours à Bayrou ou Borloo, le troisième à Alain Juppé avec un programme de « modernisation autoritaire » par voie d'ordonnance, pour « barrer la route au Front National » Les héros se compteront et la traitrise sera partout.

Un PS affaibli

Elle ne sauvera pas le parti socialiste qui en ressortira plus affaibli encore qu'en 1968 ; la minorité prête à se battre pour la paix en Algérie par la négociation était un levain, celle de 2014 luttant contre la crise est paralysée par le fait que les solutions ne sont que partiellement nationales mais se situent à l'échelle européenne ou mondiale.

 Une bascule peu probable en 2013

Faut -il encore que la bascule se produise, que des déclencheurs engendrent une rupture, avec des acteurs capables d'exploiter la situation. En mai 58, sur fond de guerre d'Algérie, la quasi dissidence du pouvoir militaire et civil d'Alger et de multiples complots civils ou militaires, gaullistes ou extrémistes ont été de puissants déclencheurs. En 68, sur fond de crise avec le monde étudiant, ce fut la grève générale et la quasi paralysie du pays. En avril 61, sur fond de rupture avec les Pieds Noirs, le putsch d'un quarteron de généraux déstabilisa trois jours le régime.

En novembre 2013, rien d'équivalent ne se profile. L'armée est calme (rendons grâce au pouvoir gaulliste qui l'a professionnalisée) Pas de grève générale ou de manifestations de rue réunissant un million de mécontents (il y avait quelques dizaines de milliers de manifestants à Quimper et une centaine d'excités sur les Champs Elysées…).

Mécontentement, impopularité, des catalyseurs suffisants?

Une désobéissance civique massive comme le refus de payer l'impôt et un nouveau poujadisme est possible, mais n'est pas là pour l'instant. Des incidents violents se produisent, pas au point de menacer la sécurité du pays et Valls à l'intérieur rassure. Certes, l'impopularité de François Hollande est extrême et le mécontentement profond. Sont-ils des catalyseurs suffisants ? Sûrement sous la quatrième République mais sous la cinquième ?

De plus, la déstabilisation réussirait-elle comme en 1958 ? Pour qu'elle s'impose, il faut qu'une solution de sortie apparaisse. Le général de Gaulle, le chef de la France Libre qui avait rétabli la République, offrait une sortie par le haut. Ce ne fut pas le cas en 68 où l'opposition était désunie et les communistes partisans du maintien au pouvoir du Général. Ce fut encore moins le cas en avril 61 où un gouvernement de « salut national » sous la coupe de généraux putschistes n'était pas crédible dans le monde de la décolonisation et dans l'Europe des six.

Quels remplaçants pour Hollande?

Où est la porte de sortie fin 2013 ? Où sont les remplaçants de François Hollande ayant un début de légitimité ? Selon les sondages, l'opinion considère que l'opposition républicaine ne ferait pas mieux au pouvoir et le Front National pire. Aucun sauveur à l'horizon mais une prétendante habile, qui fait encore peur à une majorité d'électeurs. Le plus acceptable dans une perspective d'union nationale et le mieux préparé est Alain Juppé mais ses « amis » sont là pour le torpiller, Sarkozy, Fillon, Juppé.

Se découvrir trop tôt peut être dangereux pour les prétendants. Mitterrand/ Mendès ont échoué à la fin du mois de mai 68 ; lorsqu'ils se sont déclarés prête à occuper le pouvoir, ils ont été rejetés par une opinion restée légitimiste. Les candidats à la succession pourraient avoir intérêt à suivre plutôt qu'à précéder le mouvement, de peur d'ouvrir un boulevard à Marine Le Pen.

 

 Hollande devra faire du nouveau

Nous sommes en novembre, Noël est proche et le froid est là, puis deux échéances électorales au printemps. Il est plausible que la crise continue sans bascule, en s'aggravant un peu car aucune amélioration économique n'est en vue dans les prochains mois. Après deux échecs électoraux, il faudra que François Hollande fasse vraiment du nouveau. Pour continuer d'exister, il devra dramatiser, s'inventer un nouveau personnage. Lorsque leur pouvoir est en jeu, les hommes politiques peuvent se surprendre et surprendre, comme François Mitterrand en 1983.

 C'est le scénario central. Bien sûr il peut se produire un « inattendu » qui change tout : une maladie grave du président, son assassinat (mais il suscite beaucoup moins de haine que Sarkozy ou de Gaulle), une grève générale ou des manifestations de masse suite à de nouvelles erreurs, une insécurité généralisée…

Là, nous sommes dans l'imprévisible. Le pire n'est pas le plus probable.

 

Pierre-Yves Cossé

Novembre 2013