Crise économique ou crise du politique ?

Par Michel Santi  |   |  871  mots
L'austérité est en fait un renoncement des responsables politiques à leur pouvoir économique. Ils attendent tout des banques centrales, qui n'en peuvent mais. Par Michel Santi*

Jusqu'au déclenchement de la crise des subprimes aux Etats-Unis, et des dettes souveraines en Europe, nos banques centrales savaient comment lutter contre les récessions : tout simplement en réduisant leurs taux d'intérêt. Le Japon, alors deuxième puissance mondiale, s'était certes lancé dès la fin des années 1990 dans plusieurs programmes qualifiés du vocable un peu barbare de « baisses de taux quantitatives ».

Pour autant, le consensus parmi les banquiers centraux américains et européens était que la situation nippone resterait localisée dans ce pays, qui possédait ses fondamentaux propres et dont l'instabilité gouvernementale contribuait à aggraver la donne économique. Puis vinrent les années 2008 et 2009 qui furent témoins de nos propres taux d'intérêt nominaux (aux Etats-Unis et dans l'Union européenne) réduits jusqu'à atteindre pratiquement zéro… Et c'est à ce stade que les banquiers centraux firent appel aux politiciens, priés de stimuler l'économie quitte à creuser davantage les déficits publics.

 Des  choix éminemment politiques

Comme les taux d'intérêt officiels ne pouvaient passer en-dessous du zéro absolu, il tombait sous le sens que le devoir des politiques et que l'intérêt de ces nations en péril exigeaient des mesures de relance… qui ne furent pourtant pas adoptées par les responsables au pouvoir, ni aux Etats-Unis, encore moins en Europe. Au-delà et par delà les pressions intenses (sur lesquelles on ne reviendra pas) exercées par les marchés financiers et par les agences de notation, les gouvernements qui se succédèrent au pouvoir furent tous confrontés à des choix éminemment politiques.

Fallait-il réduire les impôts touchant la classe moyenne ou augmenter ceux des riches, voire des très riches ? Et dans quelles proportions ? Comment alléger la taxation des entreprises qui ne joueraient certainement pas le jeu en améliorant l'embauche ? Comment dépenser l'argent public et sur quel secteur d'activité, au profit de quelles mesures sociales et de quelles classes sociales ?

 La léthargie des gouvernements

Autant de postures stratégiques parmi lesquelles les politiciens préférèrent ne pas trancher, conscients qu'ils mettaient là en jeu leur propre carrière. En l'absence de tout stimulus étatique, les banquiers centraux n'eurent donc plus d'autre alternative que de faire appel à une politique monétaire non conventionnelle à la japonaise. C'est effectivement la léthargie des gouvernements au pouvoir aux Etats-Unis et en Europe qui aboutit aux baisses de taux quantitatives pratiquées par nos banques centrales. Le vide laissé par l'Etat a donc dû être occupé par des banques centrales conscientes de représenter le recours ultime.

 Les banques centrales ont fait le job, il faut des politiques de relance

Ne nous plaignons donc pas et ne nous étonnons pas plus du contexte économique actuel fait de reprise molle pour les USA et de contraction pour l'Europe (y compris pour l'Allemagne). En dépit de banques centrales ayant largement fait le job - et qui n'ont pas hésité à aller sur le terrain inconnu des baisses de taux quantitatives -, seules des politiques de relance décidées par des gouvernements sont susceptibles de vraiment redémarrer  une activité économique digne de ce nom.

Se résigner à la stagnation

Voilà pourquoi notre conjoncture actuelle faite de croissance nulle est condamnée à durer. Voilà pourquoi il faut se résigner à la stagnation. Voilà pourquoi les taux zéro représentent la nouvelle normalité. Car nos politiciens d'hier et d'aujourd'hui sont tétanisés et n'ont pas le cran de relancer l'économie. Pour ne pas creuser les déficits, certes. Mais pas uniquement. Aussi (et surtout) car la politique est aujourd'hui devenue une posture où l'immobilisme est la meilleure recette pour faire de vieux os.

 Les politiques ont abdiqué, et repassé le flambeau aux banques centrales

Du reste, l'austérité - qui consiste à rétrécir le champ d'action de l'Etat à la faveur d'économies budgétaires - ne fait qu'attester du renoncement de nos politiciens à leurs prérogatives. C'est un peu comme si nos politiques avaient abdiqué leur pouvoir, et passé le flambeau aux banques centrales. Ne nous étonnons donc pas de l'hyper politisation actuelle de nos banques centrales et de leurs décisions qui suscitent de violentes controverses ou, à tout le moins, un intérêt grandissant parmi un grand public désormais familier de leur jargon technique. Elle est la résultante d'une classe politique paumée, et souvent paniquée… Voilà pourquoi les banques centrales favorisent actuellement la planche à billets et la vie à crédit. Car, en réalité, elles ne peuvent plus aujourd'hui compter que sur la formation de bulles spéculatives, dès lors seules susceptibles de relancer l'économie. En attendant que les politiciens veuillent bien assumer leurs responsabilités.

* Michel Santi, économiste franco-suisse, conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre de l'O.N.G. "Finance Watch". Vient de paraître : une édition étoffée et mise à jour des "Splendeurs et misères du libéralisme" avec une préface de Patrick Artus et, en anglais, "Capitalism without conscience". Vient de paraître :"L'Europe, chronique d'un fiasco politique et économique"