Chine : les limites des réformes annoncées

Le PC chinois a annoncé une série de réformes économiques, qui donnent un rôle accru au marché. Mais évoquer un basculement vers l'économie de marché serait erroné. Par Jean-François Dufour, directeur DCA Chine Analyse
Jean-François Dufour, directeur de DCA-Chine Analyse, relativise l'ampleur des réformes économiques annoncées

 Le troisième Plenum du XVIIIè Comité central du Parti communiste chinois a donné lieu à une feuille de route destinée à concrétiser le nouveau rôle « décisif » conféré au marché dans le fonctionnement de l'économie chinoise. Pour autant, il ne faut pas se tromper d'interprétation : la Chine ne se dirige pas vers l'économie de marché ; elle déplace le curseur à l'intérieur du cadre de l'économie de marché socialiste, pour améliorer l'efficacité de celle-ci.

Si le Plenum qui s'est tenu du 9 au 12 novembre à Beijing avait déçu avec un communiqué initial très vague, le document en soixante points publié le 15 novembre a affirmé les ambitions réformistes de l'équipe au pouvoir.

Parallèlement à des annonces portant sur le domaine social et politique (fin de l'enfant unique, de la rééducation par le travail), la feuille de route est essentiellement consacrée au fonctionnement de l'économie. Et la volonté de donner un « rôle décisif » au marché, annoncée le 12 novembre, y est transcrite dans des moyens de la concrétiser.

Mesures réformistes...

Parmi ces moyens, les plus importants peuvent être répartis en deux catégories.

La première concerne les mesures visant à créer un environnement moins façonné par l'intervention de l'Etat. On y trouve la suppression annoncée des procédures d'examen et d'approbation pour les investissements dans la plupart des secteurs. Et la fin généralisée (hors services publics) des prix administrés, au profit de prix de marché permettant de créer un environnement économique plus équitable.

L'autre catégorie concerne les mesures visant à donner un rôle plus important aux capitaux privés. C'est notamment le cas avec la possibilité de leur association avec des capitaux publics, impliquant la fin des monopoles d'Etat dans divers secteurs. Enfin, la possibilité de créer des banques privées est sans doute l'élément le plus important, dans la mesure où il touche au socle financier de l'économie chinoise.

...mais contrôles préservés

Cependant, ces mesures annoncées ne doivent pas faire illusion. Si elles allègent le poids de l'intervention publique, elles n'y mettent pas fin.

La suppression des procédures d'approbation d'investissement l'illustre, qui prévoit des exceptions pour les secteurs relevant de la sécurité nationale mais aussi écologique ; ainsi que pour les investissements ayant un impact important sur « les capacités industrielles, le développement ou les ressources stratégiques ».

Pas de décision stratégique sans contrôle de l'Etat

Autant dire que toutes les décisions d'investissement stratégiques resteront soumises au contrôle de l'Etat, la fin des autorisations ne concernant que les investissements à impact local.

La fin des prix administrés ne garantit pas plus un environnement sans interventions. Des études menées sur l'industrie chinoise à l'époque des prix administrés ont montré que l'important ne réside pas dans ces prix affichés - qu'ils soient administrés hier, ou libres demain - ; mais dans les prix réels payés par les entreprises qui bénéficient de diverses formes de subventions, déformant ces coûts théoriques. Les entreprises relevant directement de l'État resteront en dehors du nouveau cadre si le besoin s'en fait sentir.

Des capitaux privés pour financer les entreprises publiques, mais sans aucune influence

De même, l'ouverture aux capitaux privés doit être relativisée. Cantonnée à une part très minoritaire, elle n'amènera aucun contrôle sur les entreprises publiques - pas plus que les actionnaires des filiales cotées, que comptent déjà la plupart de ces groupes, n'exercent la moindre influence sur leur politique aujourd'hui. Elle permettra aux entreprises publiques chinoises de drainer des capitaux privés ; mais sans que ceux-ci puissent peser sur leurs décisions.

Les grandes banques, domaine réservé de l'Etat

La mesure révolutionnaire concernant les banques privées est enfin soigneusement circonscrite par le document, aux banques « petites et moyennes ». Il s'agit ici de transformer les systèmes de financement parallèle (le fameux shadow banking) en quelque chose d'institutionnalisé, plus à même de soutenir l'initiative privée à la marge. Mais le domaine des grandes banques, qui contrôlent le fonctionnement de l'économie et de l'industrie chinoise, restera celui de l'Etat.

Objectif réel: améliorer le système, non le changer

Les réformes engagées par la Chine du XVIIIè Comité central sont réelles, et visent à corriger un certain nombre de dysfonctionnements du système - à commencer par les surcapacités industrielles et les allocations irrationnelles de crédit. Mais ce faisant, elles ne prétendent pas bouleverser le système en place ; mais au contraire le renforcer en améliorant son fonctionnement.

Ce que visent réellement les réformes engagées, ce sont des distorsions locales du marché empêchant un pilotage stratégique par le centre. Il s'agit pour Beijing de revitaliser le cadre concurrentiel, partie intégrante de l'économie de marché socialiste, à l'intérieur duquel se développent des « champions » économiques nationaux aiguillés par le marché, mais qui restent en dehors de sa capacité de sanction.

Un cadre que l'explosion des initiatives des autorités locales, dans la foulée du plan de relance de 2008, a mis à mal, et qu'il s'agit de restaurer aujourd'hui.

Réaffirmation de "l'économie de marché socialiste"

Le point 2 du document publié le 15 novembre stipule que la Chine doit « rester attachée à l'économie de marché socialiste ». Quoi qu'en veuillent les interprétations qui voient l'économie de marché au bout du cheminement chinois, c'est bien ce à quoi s'attachent les réformes engagées aujourd'hui.

Jean-François Dufour, DCA Chine-Analyse

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Commentaire 1
à écrit le 26/11/2013 à 3:34
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MErci, on s'en serait doute, Xi ne va pas saborder tout le pouvoir et les richesses accumules par la clique communiste chinoise.

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