Les Allemands instaurent un smic : faut-il vraiment s'en réjouir ?

Par latribune.fr  |   |  948  mots
Sofiane Aboura, maître de conférences à Paris Dauphine, défend l'idée de différents smics, instaurés selon les secteurs
Le smic national, comme viennent de l'instaurer les Allemands, a beau être coûteux, il ne réduit pas le taux de pauvreté. Mieux vaut un smic prenant en compte les spécificité de chaque secteur. Par Sofiane Aboura, maître de conférences à l'université Paris Dauphine

Si l'annonce d'Angela Merkel d'instaurer prochainement un SMIC fédéral est confirmée dans les faits, cela mettrait en partie fin à la décennie des réformes structurelles dites « Hartz » lancées par le Chancelier Schröder en 2002-03. Ces réformes étaient axées sur la flexibilité du marché du travail afin de relancer la compétitivité de l'économie allemande. Cette politique conduite par le Chancelier Schröder a permis à l'Allemagne d'entamer une expansion économique de 2004 jusqu'à 2011 et de traverser la crise financière de 2008 et celle de la Zone Euro de 2011 sans que son leadership économique international ne soit remis en cause. Faut-il se réjouir de cette annonce pour la Zone Euro ?

Trois arguments en faveur d'un smic fédéral

Les principaux arguments avancés par les soutiens de cette mesure phare sont nombreux. Tout d'abord, le principal argument concerne la réduction du taux de pauvreté où le salaire horaire peut tomber en théorie à 1 euro de l'heure. Il va de soi que personne ne peut vivre avec une telle rémunération auquel cas, il faudrait cumuler plusieurs 'petits' emplois afin d'assurer les moyens de sa subsistance.Qui peut se désolidariser d'un pareil argument ?

Ensuite, l'idée qu'une croissance économique davantage soutenue par la consommation privée intérieure, passe par une redistribution de pouvoir d'achat aux ménages sous la forme d'un salaire minimum plus élevé, semble répandue. Le SMIC est en effet une subvention aux bas salaires que la loi impose aux entreprises. Ainsi, il est donc normal que les études empiriques relève l'impact positif du salaire minimum sur la croissance économique.

Enfin, l'Allemagne est souvent pointée du doigt comme étant le pays qui profite le plus de la Zone Euro au point d'accumuler des excédents macro-financiers au détriment de ses partenaires. La situation a atteint son paroxysme lorsque la Commission Européenne a récemment ouvert une enquête pour comprendre comment le pays additionne les excédents commerciaux au point de constituer une menace pour la stabilité de la Zone Euro !

Des arguments discutables

Chacun de ces trois arguments est convaincant lorsque le raisonnement est effectué 'ceteris paribus'. Mais, si l'on ne raisonne plus "toutes choses égales par ailleurs",  il est possible de montrer que les conclusions relatives au bénéfice du SMIC fédéral sont discutables à plus d'un titre lorsque l'on considère plusieurs dimensions en même temps.

Moins de pauvres dans les pays nordiques... sans smic national

Tout d'abord, le taux de pauvreté, en 2012, est de 16,1% en Allemagne contre 14,1% en France, alors que dans le même temps, le taux de chômage de l'Allemagne est de 5,3% contre le double pour la France. A titre de comparaison, le taux de pauvreté dans les pays nordiques est voisin de celui de la France comme la Suède (14,2%), la Finlande (13,2%), le Danemark (13,1%), la Norvège (10,1%) et l'Islande (7,9%), alors que leur taux de chômage varie entre 3,5% pour la Norvège et 8,1% pour la Suède.

Mais cette comparaison puise sa pertinence dans le fait qu'aucun de ces pays n'a de salaire minimum! Ainsi, il apparaît réalisable de baisser le taux de chômage et la pauvreté sans recourir au SMIC national. De plus, dans les pays où il existe un SMIC national, apparaît la problématique du coût du travail pour lequel des aides publiques sont réservées aux entreprises. Cela pourrait passer comme étant naturel, si l'on ne rappelait pas le coût exorbitant de ses aides.

Des aides coûteuses pour compenser le salaire minimum

Par exemple en 2013, l'Inspection Générale des Finances, estime ces aides à 110 milliards d'euros annuels en France. Autrement dit, l'Etat demande aux entreprises de subventionner les bas salaires par l'intermédiaire du SMIC et en contrepartie, il subventionne lui-même ces entreprises. Mais alors pourquoi ne le fait-il pas lui-même, si l'on considère qu'un intermédiaire induit des coûts de transaction ?

En fait, le SMIC a une contrepartie fiscale qui coûte très cher aux finances publiques, non seulement du fait des milliers de dispositifs d'aides, mais aussi au regard sans doute, du manque à gagner en recettes fiscales lié au fort taux de chômage. En outre, si le SMIC soutient la consommation intérieure en subventionnant les emplois plus ou moins qualifiés, il ne semble pas favoriser les demandeurs d'emplois ou les industries consommatrices de main d'œuvre peu ou pas qualifiée.

Pour un smic par secteur, couplé avec une politique de redistribution

Ainsi, il faut comparer le gain de croissance induit par l'instauration d'un salaire minimum national avec la perte de revenus fiscaux pour l'Etat, ainsi qu'aux dépenses publiques consenties pour faire baisser le coût du travail. L'alternative au SMIC fédéral est simplement de maintenir le SMIC sectoriel couplé à une politique de redistribution plus ciblée en faveur des travailleurs dits précaires afin d'augmenter leur rémunération horaire.

Enfin, s'il est légitime qu'un rééquilibrage macro-financier se fasse entre des nations qui partagent la même monnaie, il semble moins évident qu'il se fasse en demandant aux pays dont le modèle économique est le mieux adapté à la mondialisation de se brider volontairement. Certes, cela profitera aux partenaires commerciaux de l'Allemagne dont le coût de la main d'œuvre est plus élevé dans certaines industries comme l'agroalimentaire. Néanmoins, l'affaiblissement de la capacité d'exportation d'un pays de la Zone Euro par rapport au reste du monde, ne profitera pas pour autant aux autres Etats membres. Ce n'est pas un jeu à somme nulle.

 

Sofiane Aboura

Maître de conférences