La loi de programmation militaire, un honnête compromis entre les besoins de défense et nos moyens actuels

La loi de programmation militaire maintient notre dissuasion, gage de la sécurité des Français, tout en actant la baisse des ressources budgétaires disponibles. Par Patricia Adam, présidente de la commission de la Défense de l'Assemblée nationale

Ce mardi 3 décembre sera votée la loi de programmation militaire. Cette loi fixe les moyens budgétaires et humains du ministère de la défense pour 2014-2019. C'est ainsi 190 milliards d'euros qui seront consacrés sur la période à notre outil de défense. Ce vote est aussi l'occasion de revenir sur quelques-uns des débats qui existent parmi les députés.

Un déclassement stratégique?

Parmi les thèmes abordés, celui du déclassement stratégique de la France revient de manière récurrente. Pour ma part, je ne crois pas que la question du rang de la France soit réductible au seul montant de la programmation militaire. Elle le dépasse très largement. Tout simplement parce qu'il peut y avoir rang stratégique sans une grande puissance militaire. Le projet européen est justement la tentative de construction d'une grandeur, en tous cas d'une puissance politique qui ne soit pas uniquement corrélée avec des moyens de défense. Le rang de la France sur la scène stratégique, ce n'est pas que le montant de la loi de programmation, c'est aussi la dissuasion, la capacité d'intervention, une diplomatie de classe mondiale, le siège au conseil de sécurité de l'ONU....

La France, meilleur élève européen, du point de vue de la puissance militaire

Pour autant, je crois fermement que, s'agissant de la France, son rang stratégique est aussi lié à sa puissance militaire. Cette puissance militaire est-elle si réduite ? La puissance militaire, c'est notamment la capacité à se projeter dans un environnement de combat de haute intensité. Or, dans notre espace européen, la France continue à faire figure de bon élève ; et même de meilleur élève. On peut déplorer que l'Europe militaire ne soit plus ce qu'elle était au temps de la Guerre froide. Mais c'est justement la disparition de la menace aux frontières qui a amené à un changement de format des armées. On ne peut que s'en réjouir, notamment s'agissant de ceux des pays de l'Union qui appartenaient alors au Pacte de Varsovie.

Un rempart contre le déclassement, la dissuasion

Dans le fond, il est à craindre que le débat, ou la polémique, sur le déclassement stratégique ne soit que la difficulté de commentateurs conservateurs à prendre la mesure du monde qui change. D'ailleurs, il existe un rempart contre le déclassement, c'est la dissuasion.

Le débat sur les crédits de la défense donne lieu chaque année à des échanges vifs entre les écologistes et les autres à propos de la dissuasion nucléaire. Il n'y a là rien de choquant. Le courant pacifiste est ancien dans notre pays, il existait bien avant la dissuasion. Cette école de pensée est fondée sur une vision profondément humaniste parfaitement respectable. Mais examinons les faits : sur les cent dernières années, plus de 2,8 millions de Français[1] sont morts du fait d'un conflit auquel la France était partie ; sur ce nombre, moins de 500 sont morts depuis 1964, soit moitié moins qu'en un seul jour de la guerre de 1914-1918. Depuis que notre pays dispose de l'arme nucléaire, il n'a plus connu de grande guerre ou de pertes massives.

Ailleurs dans le monde, on estime à plus de 5 millions les morts dans un conflit depuis 1949, année de la fin de la guerre civile chinoise et début de « l'équilibre de la terreur ». Voilà la raison pour laquelle on affirme lapidairement que « la dissuasion fonctionne ».

Hollande maintient le format et l'organisation de la dissuasion

On a pu lire ici ou là que dans notre pays, le Président de la République avait fermé le débat sur la dissuasion. C'est faux. Ce débat a lieu depuis le début des années 1960. Le Président de la République a simplement pris la décision de maintenir le format et l'organisation de la dissuasion. Ce faisant, il a très exactement rempli son rôle.

S'il faut débattre, je crois pour ma part, comme le général de Gaulle, comme Ailleret, Beaufre, Poirier et Gallois, que la question qui se pose à nous est celle de l'indépendance politique ; ce qu'on appelle l'autonomie stratégique. Ce qui fait le rang de la France, c'est la dissuasion, qui donne la capacité à notre pays de répondre seul à une menace vitale ; menace vitale que dès lors nous pouvons définir nous-même.

Rappelons-nous que, lors de l'expédition de Suez et du lâchage de la France et de la Grande-Bretagne par les Etats-Unis en 1956, nous étions encore dans le commandement intégré de l'OTAN. Peu importe qui avait raison ou tort. Mais n'oublions pas que quel que soit le projet d'un pays, il a le choix de maintenir ou d'abdiquer sa liberté de manœuvre. La liberté de manœuvre de la France, c'est la combinaison de la dissuasion classique - la projection de forces - et de la dissuasion nucléaire.

Les hommes et les États ne sont pas devenus subitement bons

Le monde n'a pas tant changé qu'on puisse considérer que l'homme ou les Etats soient subitement devenus bons. En tant que responsable politique, je ne saurais pas justifier devant mes concitoyens l'abandon de l'ultima ratio regis, l'arme ultimequ'est l'arme thermonucléaire.

La condition de la dissuasion, c'est la crédibilité. Sans crédibilité, on est attaqué. Il faut alors envisager de frapper. Pour éviter de devoir frapper, il faut dissuader. C'est là qu'il faut être crédible. Cette crédibilité, c'est la combinaison de la crédibilité « interne » de chaque composante et des deux composantes ensemble. Chacune a des caractéristiques propres et répond à des missions de dissuasion distinctes. Par exemple, on peut « gesticuler » avec les forces aériennes stratégiques en scénarisant une montée en puissance graduée et ainsi éviter la « montée aux extrêmes » décrite par Clausewitz.

Une dissuasion, c'est plusieurs composantes

On ne peut le faire avec les sous-marins lanceurs d'engins, qui, en revanche, sont la certitude pour l'ennemi de mal finir sa journée s'il attaquait la France. Il n'y a donc pas, pour la France, de dissuasion à une seule composante. Les Britannique ont fait d'autres choix. Et alors ? La Grande-Bretagne n'est plus une province française depuis un certain temps déjà.

Avant de mutualiser, il faut avoir des moyens à partager

D'ailleurs, il est vain d'opposer moyens classiques et dissuasion. C'est l'ensemble qui constitue l'outil de défense de notre pays et cet ensemble doit demeurer cohérent. De la même façon, l'autonomie stratégique suppose de disposer de moyens autonomes de renseignement et de cyberdéfense, ainsi que d'une logistique de projection aussi performante que possible ; cela ne s'oppose d'ailleurs pas à l'interdépendance avec nos alliés. Bien au contraire, avant de mutualiser, il convient de détenir des moyens à partager. Tel est l'objet de la loi de programmation militaire : préserver des moyens qui nous permettent de continuer à avoir de quoi mutualiser.

La fin des lettres au Père Noël

Dernière chose sur cette loi de programmation militaire : contrairement aux deux lois précédentes, elle est un honnête compromis entre les besoins et les moyens disponibles. Les précédentes lois étaient des lettres au Père Noël qui prévoyaient de substantielles augmentations du budget de la défense chaque année. Celle loi-ci tire les enseignements de la situation des finances publiques.

L'une des questions les plus difficiles que la commission du livre blanc ait eu à traiter a justement été celle du niveau pertinent de dépenses de défense, compte-tenu de l'impératif de redressement des comptes. On peut, comme nos prédécesseurs immédiats, balayer ces réalités d'un revers de main. La commission du livre blanc a fait un autre choix. Ses membres ont été extrêmement marqués par la façon dont certains opérateurs économiques étrangers ont tenté de spéculer sur la faiblesse supposée de la France et comment les agences de notation ont entretenu un climat détestable, sans doute pour se dédouaner de leur cécité dans les grands scandales bancaires américains.

La dette, une vulnérabilité stratégique

Pour la France, la dette souveraine est une vulnérabilité stratégique. On ne doit donc pas opposer réduction des déficits et budget de la défense. Le budget de la défense est maintenu. Ainsi, il ne préempte pas l'avenir et assure à chacun de nos compatriotes qu'en cas de besoin, l'Etat continuera à faire face.

 

 

[1] Y compris les légionnaires de nationalité étrangère, tirailleurs, supplétifs…

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Commentaires 6
à écrit le 03/12/2013 à 9:52
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Je ne suis pas d'accord avec ce billet qui donne au gouvernement une sorte de satisfécit sur sa loi de programmation militaire. Pourquoi? Premièrement on part d'un constat qui est faut car pour avoir de la valeur ce programme devrait prendre en compt...

à écrit le 03/12/2013 à 9:02
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La dissuasion nucléaire est nécessaire, c'est évident. Mais permet-elle au deuxième territoire maritime du monde d'assurer les enjeux géopolitiques que la mer va représenter d'ici 20 ans ? Non. Et qui aujourd'hui serait assez naïf pour ne pas compren...

à écrit le 02/12/2013 à 23:39
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Article très plat, qui essaye de justifier des choix exclusivement financiers. S'imaginer tenir un rang de premier plan, sans une défense de premier plan, est une galéjade... Le politique une fois de plus masque sa lâcheté dans un beau discours... ...

à écrit le 02/12/2013 à 22:57
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Comme pour chaque fonction il faut se poser la question de savoir si la France va encore accepter longtemps de consacrer 2 points de PIB à sa défense quand ses voisins n'en consomment qu'un. Si l'Europe ne sert pas au moins à mutualiser ces coûts on ...

à écrit le 02/12/2013 à 21:26
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FOUTAISES : "Le rang de la France sur la scène stratégique, ce n'est pas que le montant de la loi de programmation, c'est aussi la dissuasion, la capacité d'intervention, une diplomatie de classe mondiale, le siège au conseil de sécurité de l'ONU......

à écrit le 02/12/2013 à 19:22
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Si la dissuasion fonctionne, pourquoi ne pas l'offrir au reste du monde ce serait la paix sur terre !!

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