La France et l'Afrique, pas seulement une affaire de business

La France ne peut devenir un acteur comme les autres en Afrique, elle doit y affirmer un rôle singulier, notamment au moyen d'une stratégie d'influence renouvelée. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l’Université de Paris 1 la Sorbonne

Le récent sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique a tenté d'ouvrir un nouveau chapitre de notre longue histoire commune. Affaires économiques et business diplomatie dominaient ces nouvelles conversations franco-africaines. François Hollande lui-même semble en être certain, l'Afrique est l'un des défis économiques de son mandat.

Un marché qui sera le nouveau moteur de la croissance planétaire

Nous regardons encore trop souvent l'Afrique comme le continent de la souffrance et de la pauvreté. Une terre que fuient des désespérés. Celle aussi d'un nouveau terrorisme. Si cette Afrique est bien réelle, une autre existe, en mouvement, ambitieuse et puissante. Ses classes moyennes représentent déjà entre 300 et 500 millions d'individus. 80% de sa population est connectée à un réseau de téléphonie mobile. C'est le continent qui épargne le plus après l'Asie avec des réserves de change estimées autour de 500 milliards de dollars. D'ici 2020 les dépenses annuelles des ménages africains devraient passer de 840 à 1 400 milliards de dollars (+67%). Depuis plus dix dans, la croissance économique du continent se situe juste derrière celle de l'Asie. D'ici 2050, la population africaine doublera pour atteindre près de deux milliards d'individus, un marché qui sera le nouveau moteur de croissance planétaire.

La France perd des parts de marché

Alors que la Chine, les USA, la Russie, le Brésil, l'Inde et beaucoup d'autres pays comme l'Espagne ont fait de l'Afrique un terrain de conquête, la France semble un peu en retrait. Nous avons peut-être plus que d'autres sous évalué l'émergence diplomatique et économique des relations du Sud avec le Sud. Hubert Védrine le décrivait en marge de la présentation de son récent rapport : « La France perd des parts de marché dans toutes les zones où elle était fortement implantée pour des raisons historiques et elle n'en gagne presque pas ailleurs», « entre 2000 et 2011, la part de marché de la France au Sud du Sahara a décliné de 10,1% à 4,7% ». Malgré cela, la France bénéficie déjà de la nouvelle croissance africaine car cette baisse cache une très forte hausse des exportations françaises vers la même zone.

Ne pas devenir un acteur comme les autres

Si la France doit réformer en profondeur sa relation économique avec les pays africains, elle ne doit pas regarder le Continent comme un seul vivier de business potentiel. A l'heure où la planète entière pleure la disparition de Nelson Mandela, la France ne peut devenir un acteur comme les autres en Afrique. Les récentes interventions françaises sur place l'expriment plus que tout: Mali, en janvier 2013 et en ce moment en République Centrafricaine. Sans négliger les nouvelles proximités culturelles et politiques nées entre sociétés du Sud, ni les intégrations religieuses plus anciennes, nous devons valoriser un exceptionnel capital culturel et historique commun.

Créer un partenariat de croissance et de progrès réciproques

100 millions de francophones et 250.000 Français vivent sur le continent. 2,3 millions d'immigrés africains vivent en France. Nous sommes le premier pays d'accueil d'étudiants africains. Notre paradigme commun, c'est un mix unique fait d'histoire coloniale, de langue, d'aide au développement, de sécurité, d'immigration, de diasporas, d'investissements économiques, de paix et d'interventions militaires mais aussi d'éducation, de sport et de culture … autant de paramètres qui doivent être associés pour créer un partenariat holistique de croissance et de progrès réciproques. La France doit parler avec les leaders certes mais elle doit surtout être un champion de la conversation avec les opinions publiques africaines à travers une diplomatie publique ambitieuse et renouvelée.

Paris, capitale de la finance africaine?

Les bases de ce leadership traversent plusieurs leviers que nous devrions davantage affirmer et mieux coordonner. Parmi d'autres et dans le désordre, la langue française doit s'imposer plus encore comme un atout, un puissant vecteur commun d'influence. Paris doit devenir une capitale de la finance africaine et se renforcer comme capitale culturelle de l'Afrique en dehors du Continent. Affirmons aussi la place de notre expertise dans toutes les grandes institutions africaines, régionales et nationales et dans le débat d'idées africain. Notre audiovisuel extérieur doit remplir son rôle de porte voix commun.

Besoin d'une stratégie d'influence renouvelée en Afrique

Lycées et écoles françaises, groupes de formation, Alliance française … notre diplomatie éducationnelle et culturelle doit être davantage soutenue et partagée. Cinéma, musique, jeux vidéos mais aussi littérature, spectacle vivant, art contemporain, architecture … notre création et nos industries culturelles doivent rayonner sur l'ensemble du Continent africain et s'engager vers une coproduction généralisée. Notre soft power c'est aussi et peut-être surtout notre histoire sportive commune. Le football a un rôle très particulier à jouer. Le ballon rond représente tout à la fois le sport-roi en Afrique et une plate forme exceptionnelle de relation décomplexée entre l'Afrique et la France. Nos échanges sont historiques et doivent s'approfondir. Déjà avancent les anglais avec leur Premier League et les espagnols avec leurs clubs phares. Créons un partenariat visionnaire et équilibré. Échangeons entraîneurs, éducateurs, … créons de véritables destins partagés et jetons même les bases de ligues communes …

La nouvelle guerre des territoires ne nous en laisse pas le choix, la « Marque France » a besoin d'une stratégie d'influence renouvelée en Afrique. La France doit surtout scénariser, mettre en scène et diffuser par tous les moyens existants ses valeurs et son message universel. C'est ce positionnement, cette réaffirmation du mythe français en Afrique dans un monde en équilibre instable qui les transformera en autant d'atouts contemporains, en autant de leviers de croissance.

 Jean-Christophe Gallien

Président de j c g a

Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

 

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Commentaires 7
à écrit le 11/12/2013 à 18:41
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La FRANCE partenaire de l'AFRIQUE cela m’apparaît logique a condition que cela se fasse dans le respect des populations locales .Pas de néo colonialisme mais une coopération franche sans arrière pensée est ce réalisable?

le 11/12/2013 à 23:24
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Bien dit !

à écrit le 11/12/2013 à 7:32
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"Vers qui se tourne les africains francophones quand il n'y a plus rien et que les massacres commencent, vers la France. " Les africains francophones ? Quand il n'y a plus rien ? Je suis béninois, donc francophone, et je n'ai pas souvenir que mon pa...

le 11/12/2013 à 9:20
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Si le propos général doit être remis en cause, ce n'est sûrement pas par un propos particulier. Votre nationalité n'est pas une caution non-plus de ce que pense les "africains". Je suis français et sans prétention de savoir se que pensent les alleman...

à écrit le 10/12/2013 à 19:20
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Excellent article qui remet les choses dans le contexte du XXI siècle, trop de nos concitoyens voient encore l'Afrique avec des cases et des boubous. Un camerounais m’a expliqué qu’a Yaoundé au Cameroun, il y a plus d’immeubles qu’a Paris ! On dit au...

le 11/12/2013 à 7:21
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"Vers qui se tourne les africains francophones quand il n'y a plus rien et que les massacres commencent, vers la France. " Les africains francophones ? Quand il n'y a plus rien ? Je suis béninois, donc francophone, et je n'ai pas souvenir que mon pa...

le 11/12/2013 à 8:16
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José, la prochaine que vous viendrez en Afrique, n'oubliez pas les verroteries d'usage que "les africains", ces grands enfants, adorent, et sans lesquelles vous ne pourriez repartir avec le manganèse, le cobalt, l'uranium, etc, qui ont l'objectif des...

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