
La conjoncture s'améliore dans les économies occidentales. Tel est le message pour 2014 et 2015. Mais au-delà, les interrogations des économistes sur le régime de croissance de ces économies versent dans le pessimisme au fur et à mesure que le marasme de l'investissement productif se prolonge. Quelles en sont les causes plus de six ans après le début de la crise financière ? Cette question a hanté la conférence annuelle sur la recherche tenue par le FMI en novembre 2013. A cette occasion, l'hypothèse d'une stagnation séculaire des économies occidentales a été soulevée par Lawrence Summers, ex secrétaire au Trésor des États-Unis. Si un tel phénomène est latent dans la trajectoire atypique de nos économies depuis la crise, quelles en sont les causes ?
Stagnation et dynamisme : les vagues d'innovation à la Schumpeter[1]
Selon cet auteur, les innovations radicales capables de se propager dans toutes les économies industrielles se produisent par grappes. Leur déploiement scande le long terme : un temps d'émergence où la demande est encore faible parce que les acheteurs sont des pionniers ; un temps de diffusion où la demande s'emballe, où les effets de rendements croissants donc de baisse des prix et d'élargissement des acheteurs est au maximum ; un temps de maturité après une crise d'adaptation qui doit rechercher de nouvelles catégories de consommateurs et établir un rythme de croisière où la profitabilité redevient moyenne, jusqu'à ce qu'elle se mette à baisser par saturation.
Dans une époque où les innovations à venir sont encore en phase d'émergence et où les vagues passées sont en fin de cycle séculaire, il peut se produire une phase de latence de l'investissement. Elle résulte de la conjonction de la baisse de la rentabilité marginale du capital dans les anciens secteurs de croissance, qui entraîne le désendettement dans ces secteurs, et du risque élevé des nouveaux investissements dont les débouchés ne sont pas encore clairement avérés.
Les technologies de l'information n'ont pas empêché une baisse de la croissance
Robert Gordon s'est engouffré dans cette brèche pour prophétiser que la croissance ne reviendra pas[2]. Gordon observe à quel point la révolution de l'information a eu un impact plus faible que celui de la production de masse qui a cessé de faire sentir ses effets au milieu des années 1970. La croissance du PIB par tête a décliné par étapes, hormis une courte période rebond entre 1996 et 2004, période qui fut l'âge d'or de la diffusion des TIC. La croissance du PIB par tête aux États-Unis est retombée au rythme de 1,3% l'an, peu différent de ce qu'elle était dans le dernier tiers du 19ème siècle. Car de nombreux handicaps vont bloquer l'assimilation des progrès techniques futurs. Ce sont la démographie qui va vers l'état stationnaire, l'éducation qui deviendrait trop coûteuse et ne pourrait plus progresser, les inégalités de revenus, l'énergie et l'environnement et… l'excès d'endettement !
Mais la révolution environnementale est prometteuse d'innovations
On est confondu devant cette affirmation. La menace planétaire de la dégradation de l'environnement et du changement climatique ne serait-elle pas l'aiguillon d'une vague d'innovations radicales ? Cette vague d'innovations majeures ne va-t-elle pas mobiliser les technologies de l'information dans les industries de réseaux intelligents et la robotisation dans le recyclage généralisé ? Si tel est le cas, la question doit-être renouvelée : qu'est-ce qui entrave l'investissement productif ?
Les incitations des entreprises ne sont pas orientées vers l'investissement productif
Une foule d'arguments a été avancée pour expliquer le retard de l'investissement. C'est la faute du marché du travail, des banques centrales, des États et… de la Chine, bien sûr ! Mais la responsabilité de ceux qui décident de l'investissement, les dirigeants des entreprises, n'était jamais considérée, jusqu'à un ouvrage récent publié par Andrew Smithers[3], lequel poursuit l'argumentation que nous avions développée dès 2005 dans l'indifférence générale[4].
La fin d'une gouvernance partenariale des entreprises
La domination de la finance sur l'économie s'est inscrite profondément dans la régulation des revenus et de la richesse et elle a transformé le « business model » des entreprises. La grande croissance de l'après-guerre était régulée par une gouvernance partenariale, dont la clef de voûte était la négociation collective qui entretenait une relation étroite entre la hausse des salaires réels et les gains de productivité du travail. Il s'ensuivait un cercle vertueux entre la demande agrégée et les capacités de production, préservant un taux de profit stable. Cette gouvernance était adéquate à la vague d'innovations de la consommation de masse. Elle faisait de l'investissement industriel le moteur de la croissance à long terme des entreprises qui contribuait à la stabilité des relations sociales.
L'épuisement de la grande vague d'innovations a entraîné un fléchissement des progrès de productivité qui a cassé la cohérence de ce mode de régulation dans les années 1970. Le régime suivant, appelé « valeur actionnariale », s'est imposé après le choc de la désinflation des années 1980 qui a ouvert la voie à la déréglementation de la finance et à son expansion mondiale.
La maximisation de la richesse des actionnaires, unique objectif des entreprises
La financiarisation des entreprises a détruit la négociation collective des salaires, parce qu'elle a imposé la maximisation de la richesse des actionnaires comme unique objectif des entreprises. Au lieu que l'entreprise soit considérée comme une organisation qui maintient son intégrité par la croissance à long terme, la conception de la valeur actionnariale en fait une collection d'actifs qui doivent pouvoir être démembrés, regroupés et négociés à tout moment pour maximiser la valeur boursière instantanée.
Pour garantir cet objectif, les intérêts des dirigeants et de l'ensemble des conseils d'administration ont été alignés sur ceux des actionnaires par leurs rémunérations, via les options d'actions, les bonus indexés sur les cours boursiers, les retraites chapeau, etc.
L'impact de ces incitations sur la stratégie financière des entreprises conduit à élever la valeur actionnariale par distribution de super dividendes, rachats de ses propres actions et fusions acquisitions financés par dettes. Ces stratégies réorientent le cash flow beaucoup plus efficacement que l'investissement productif pour maximiser la richesse des actionnaires à court terme. Au total Smithers observe qu'il y avait 1 dollar de cash flow distribué aux actionnaires pour 15 dollars d'investissements en 1970, contre 1 pour 2 en 2012.
L'impact macroéconomique de la valeur actionnariale
L'accès au crédit à bon marché a été aisé de 2000 à 2007 et pourtant l'investissement productif a décliné en % du PIB dans la plupart des pays développés, corrélativement la part du cash flow disponible s'est accrue et avec elle la force de frappe pour les opérations financières des entreprises.
L'objectif d'un rendement financier très élevé pour les actionnaires a provoqué une attaque en règle contre les coûts salariaux dont l'effet est une aggravation des inégalités de revenus. En conséquence, la demande agrégée des ménages a été asservie à leur endettement. Plus spectaculaire encore, on observe un phénomène opposé à tout ce qu'on voyait auparavant dans les périodes de basse croissance.
Chute récente de la part des salaires dans le PIB aux Etats-Unis
Aux États-Unis, la part des salaires dans le PIB est passée de 62% en 2007 à 59% en 2012. En Europe c'est le chômage de masse qui produit le même phénomène. C'est pourquoi la reprise conjoncturelle dans les pays anglo-saxons ne fait que retrouver les errements qui ont conduit à la crise : montée de la richesse immobilière financée par dette grâce à l'inondation de liquidités par les banques centrales et atonie de l'investissement productif.
Les rendements exigés sur les fonds propres des entreprises étant complètement déconnectés du rythme de croissance de l'économie, le coût du capital reste trop élevé par rapport aux rendements ajustés du risque des investissements d'innovation en dépit des faibles taux d'intérêt. Il est bien plus intéressant pour les directeurs financiers d'employer le cash flow à acheter des actifs existants qui sont dans une spirale haussière que de produire des actifs réels nouveaux.
Même si nos économies ne sont pas vouées à une stagnation séculaire, il n'est pas raisonnable de chercher à en sortir par des expédients monétaires qui nourrissent l'instabilité financière. Mais il faudrait recourir à des révisions déchirantes sur la gouvernance du capitalisme dans les trente dernières années. Le cœur de la question est l'augmentation des salaires réels pour rétablir une certaine concordance avec les progrès de productivité. Parce que les rapports de force sur le marché du travail s'y opposent, il faudrait une réforme fiscale suffisamment ambitieuse pour dissuader les pratiques de la valeur actionnariale. Enfin et surtout il faudrait engager la vague d'innovations environnementales par des investissements publics financés par l'épargne institutionnelle grâce à une intermédiation financière associant les secteurs publics et privés.
Retrouvez d'autres informations sur le blog du CEPII
[1] Joseph Schumpeter (1939), Business cycles, Mac Graw Hill
[2] Robert Gordon (2012), « Is US economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds", CEPR Policy Insight, n°63.
[3] Andrew Smithers (2013), The road to recovery, Wiley
[4] Michel Aglietta et Antoine Réberioux (2005), Corporate Governance Adrift, Edward Elgar
ce qui va mal ce sont des branches de l'industrie occidentales qui passent chez les puissances montantes au grand bénéfice certes des actionnaires...
Mais globalement le monde va meiux, c'est l'occident qui perd de sa prééminence...
Dans une conomie fermée ce qui ne va pas dans la poche des ouvriers va dans celle s des actionnaires ( et encore à demontrer) dans une économie ouverte ce qui ne va pas dans la poche des ouvriers occidentaux va aussi bien dans la poche des ouvriers chinois que des actionnaires...
Tout de suite moins sexy comme proposition ..sauf à apporter un autre moyen de partager les richesses ( ce que fait la globalisation)..
Pourquoi créer une entreprise si on ne peut plus la diriger de la façon que l'on veut ( idem pour les actionnaires)?
Si vous voulez des cercles vertueux, il faut être ... vertueux. Par exemple, en partageant équitablement, en étant JUSTE. L'équité, c'est une notion élevée, une notion biblique. C'est ancien et puissant. Ce que Jésus Christ a parfaitement bien expliqué, semble naif, alors que c'est énorme.
On voit bien sa puissance, il n'y a qu'à voir comment le Christianisme s'est répandu très vite dans toute l'Europe aux premiers siècles. Bien que les gens soient moins "technologiquement" avancés; ils étaient plus intelligents, visiblement.
Parler ne sert plus à rien. Tout le monde peut savoir désormais, aucun système n'est vraiment viable, pour l'humanité entière, hormis celui de l'équité. A chacun de choisir son camp. Pas besoin d'être un héro, il suffit de *pratiquer* la justice, être honnête, et d'aimer la bonté. c'est plus facile qu'il n'y parait. Même pour un actionnaire (qui perdra de l'argent, mais il devrait finir plus heureux). Pour commencer, il n'est même pas nécessaire de se priver, il suffit d'être équitable.
La société actuelle est basée sur la consommation, si vous empêchez les gens de consommer, à quoi cela sert de produire ??????
Le problème de l'étatisme est un faux problème, ce qu'il dit c'est qu'il faudrait que l'état réglemente par des lois pas en mettant de l'argent et en devenant actionnaire !!!
Vous auriez raison si la France était une économie fermée. Mais ce n'est pas le cas: vous avez aujourd'hui le droit d'acheter un téléviseur coréen si vous le jugez d'un meilleur rapport qualité/prix qu'un téléviseur français. La faible compétitivité de l'industrie française fait que aujourd'hui 50% de la consommation passe en importations. Regardez vos propres achats et vous verrez.
Alors que l'actionnaire, s'il ne veut pas perdre son capital doit réinvestir . C'est ce réinvestissement qui permet l'augmentation de la productivité et donc des salaires , et le développement de nouvelles activités, garantes de plus d'emplois.
En résumé, la consommation, c'est le petit bois du feu de cheminée alors que l'investissement ce sont les buches. Une politique qui consiste à favoriser la consommation ( les salaires ) par rapport aux actionnaires ( le capital ) échoue donc à tout coup. Comme nous faisons cela depuis 30 ans, nous avons 6 millions de chômeurs et 10 millions de pauvres. A nous de choisir.
L'auteur raisonne trop globalement. Les masses sont trompeuses. Confondre les destins des PMEs et des Grands Groupes n'a pas de sens. Parler de croissance quand on mentionne plus haut que c'est l'endettement qui l'a faite et en oubliant le rôle de l'état dans cette aventure est singulier.
C'est la croissance de l'état, celle du glacis du capitalisme (socialisme) de connivence, sa destruction de l'état de droit, l'incertitude juridique réglementaire et fiscale qu'il promeut qui sont la sources des mots qui sont décrits. Pas la propriété ni la responsabilité.
Commentaire rédigé trop tard.
Mais en gros, décrire la réalité à partir de relations entre catégories non homogènes est trompeur.
Plutôt que de modifier la notion de propriété au sein de l'entreprise, il conviendrait de savoir pourquoi celle-ci a été dépouillé de ses attributs les plus importants.
C'est l'état qui en intervenant à tous les niveaux, en pervertissant la relation naturelle des acteurs est sorti de son rôle.
Tout ce baratin ci dessus est complètement inutile.
"Le capitalisme n'a que moyennement besoin de la démocratie "...Moyennement est un euphémisme...Le capitalisme s'accommode de la démocratie parce qu'elle lui assure un cadre sécuritaire sans lequel il ne peut se développer. Le cadre idéal du capitalisme, et là il rejoint le communisme, c'est la dictature.
@JB38 : le capitalisme s'accommode parfaitement du cadre qui fait respecter les droits fondamentaux. Le problème d'une dictature, c'est qu'elle les fait moins respecter qu'une démocratie ... Et si une dictature (ou tout autre régime) respectait les droits fondamentaux, le paradis sur terre ne serait pas loin ...
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"Le prix du pétrole gouverne-t-il l'économie ?"
www.latribune.fr/opinions/tribunes/20131211trib000800621/pour-retrouver-une-croissance-stable-il-faut-mettre-fin-au-primat-de-l-actionnaire.html
> Mais la responsabilité de ceux qui décident de l'investissement, les dirigeants des entreprises, n'était jamais considérée, jusqu'à un ouvrage récent publié par Andrew Smithers[3], lequel poursuit l'argumentation que nous avions développée dès 2005 dans l'indifférence générale[4].
"Coût du capital, la question qui change tout"
www.monde-diplomatique.fr/2013/07/CORDONNIER/49354
Ca fait plaisir que dans les médias on interroge davantage de personnalités de qualité.
Enfin un économiste diplômé du doctorat d'économie et bien plus (ce qui est la condition Sinequanone de base pour être économiste (partout dans le monde sauf en France).
Vos phrases sont justes des mots sans demonstration.
Les seuls dont on ne peut pas se passer sont ceux qui produiisent. Tout le reste ne sert qu a accélérer les processus de production.
Mais a t on besoin de tout accelerer au prix de la destruction de l humain ?
L'imagination dérivée et toxique a produit des addictions au Casino, substitut de l'économie sociale.
Les 3 ont besoins des 2 autres pour faire tourner la boite.
Les 3 ont la même envie, gagner plus d'argent.
Alors, allons en avant tous ensemble au lieu de se bouffer le nez.
Mais c'est vrai qu'en France, on a des syndicats qui font la loi alors qu'ils ne défendent que les intérêts de quelques privilégiés et que notre code du travail est d'une complexité incroyable.
Mais peut-être que l'important pour M. Aglietta ce ne sont pas les faits, mais plutôt les idées qu'il défend.
Demander aux actionnaires long terme de france telecom ou de tout autres ( mis à part quelques exception du type air liquide ); ils ressortent plus plumés qu' autre chose.
Relever que " la pression " du marché qui primerait par retraite chapeau et autre stock option la bonne gestion ou le bon retour pour l' actionnaire est limite caricatural, regarder les bonis des dirigeants d' Alcatel Lucent ou de Peugeot lors de leurs évictions ( ou non ) cela laisse pantois sur cette fumeuse récompense au mérite..
Même pas d' effet obligataire pour une boite dont la rente était acquise.
Le marché est cruel avec l' actionnaire ( curieusement il ( l' actionnaire ) continue toujours et encore à vouloir y croire ) depuis l' aube des temps, faut-il qu' il soit sot ou naïf.
Ceci s' entendant bien evidement pour les titres émis au marché.
Les investisssments nécéssaires qui n' auraient pas eu cours ( subjectif ) ne le seraient ( si tant est qu' ils aient manqués ) que par une dette monstrueuse de fte, investissement destinés entre autre à s' accaparer des parts de marché, rachats de conccurents au sommet de la bulle internet... Orange entre autre.
Pire, nos societes sont vieillantes et le gouvernement est accaparé par les vieux (electorat majeur). La demande va donc etre plus de soin medicaux, plus de retraite et non pas plus d investissement pour l avenir (dont ils se moquent car ils seront mort)
Etant donne qu il est impossible de faire de l inflation (qui ruine l epargne) ou de reduire les dette a la greque (qui viderait les assurance vie), le futur se presente mal (enfin pour les jeunes qui ne quittent pas la France)
Pire, nos societes sont vieillantes et le gouvernement est accaparé par les vieux (electorat majeur). La demande va donc etre plus de soin medicaux, plus de retraite et non pas plus d investissement pour l avenir (dont ils se moquent car ils seront mort)
Etant donne qu il est impossible de faire de l inflation (qui ruine l epargne) ou de reduire les dette a la greque (qui viderait les assurance vie), le futur se presente mal (enfin pour les jeunes qui ne quittent pas la France)