Défense européenne : changer de perspective

Pour faire exister une défense européenne, il faudrait un Etat fédéral. Cette perspective s'éloignant, la création d'une Eurogroupe de défense permettrait de contourner l'obstacle. Par Jacques Gautier et Daniel Reiner, sénateur UMP et PS, vice présidents de la Commission des affaires étrangères du Sénat
L'Europe de la défense n'avance pas. Il faudrait créer un groupe d'Etats pionniers, fédérant leurs armées, dont les forces françaises, ici en Afrique

Le sommet de Bruxelles sur la défense européenne se déroule aujourd'hui. Les décisions seront modestes et moquées par les eurosceptiques. Gardons-nous de le faire, car toute avancée est bonne à prendre. Pour nous, la décision la plus importante sera celle que prendront, sans doute, les chefs d'Etat et de gouvernement de parler régulièrement - c'est-à-dire au moins une fois par an - des questions de défense.

Il faut un "plan"

 Néanmoins, soyons lucide. Ce n'est pas de cette façon que nous créerons une défense européenne. Personne n'a jamais construit une cathédrale en empilant des tas de pierres.  Il nous faut un « plan », ou au moins un tracé. Quel est-il ? Une authentique défense européenne ne se résume pas à un club d'utilisateurs d'équipements militaires américains. C'est quelque chose de bien plus ambitieux. La défense européenne c'est la défense de l'Europe par les Européens, pour les Européens.

La capacité à intervenir ensemble

La défense de l'Europe, c'est la capacité que nous aurions - collectivement - d'assurer la protection de nos espaces de souveraineté, de nos frontières, de nos populations et de nos intérêts - à supposer qu'ils soient communs. La défense de l'Europe, c'est sa capacité à intervenir - ensemble - pour gérer les défis de contexte d'une crise internationale, en Afrique ou ailleurs. Or cette défense européenne ne se construira pas à force d'avancées « concrètes » et « pragmatiques » dont on nous rebat les oreilles depuis plus de quinze ans. De grâce arrêtons de prononcer ces mots, sinon nous finirons pas ressembler au chœur d'Aïda qui chante « marchons, marchons » et qui ne va nulle part.

 Prendre le risque de tromper le peuple

Dire que l'on fait la défense européenne quand on ne fait que des économies d'échelle, c'est non seulement une erreur intellectuelle, mais c'est prendre le risque de tromper le peuple en lui laissant croire qu'une telle défense existe. Or, il peut constater de ses yeux, en Libye, au Mali, en Syrie, ou en RCA, qu'une telle défense n'existe pas ! Ce n'est pas servir l'Europe que donner l'illusion du mouvement alors qu'on reste sur place. Les citoyens européens ne veulent plus de cette Europe qui réglemente la chasse à la palombe, mais qui est incapable de les protéger ou de défendre leurs valeurs.

Penser le monde tel qu'il est et non tel qu'on voudrait qu'il soit

l n'est pas de pire dévoiement de l'esprit que de penser le monde tel qu'on voudrait qu'il soit et non tel qu'il est. La défense européenne est dans une impasse : les Etats européens préfèrent voir leurs défenses nationales s'amenuiser jusqu'à disparaître plutôt que de s'unir.

Nous avons trop concentré nos efforts sur la mise en place d'outils tels que les battle groups, qui ne servent à rien, sinon à dire que « l'on fait quelque chose ». Il nous faut sortir de cette approche instrumentale et nous concentrer sur la création d'un « cerveau » européen, d'une instance d'arbitrage capable, à partir d'une vision partagée, de prendre des décisions, de déclarer la guerre et de faire la paix.

 Un État fédéral, condition d'une défense européenne

Pour en sortir, il faut changer de perspectives. La défense européenne ne progresse pas parce que l'Europe politique ne progresse pas. Et l'Europe politique n'avance pas, parce que l'Europe que nous connaissons n'est pas une construction étatique, mais une organisation pour gérer un marché. La seule organisation européenne d'essence fédérale est la Banque centrale européenne.

Pour que la défense européenne existe, il faudrait un Etat fédéral. Aujourd'hui l'idée européenne est tellement abîmée que le seul fait de prononcer le mot « fédéral » condamne à l'anathème. Et c'est malheureusement vrai que le projet européen s'est éloigné et qu'aucune grande voix ne le porte plus.

 Créer un groupe pionnier d'États

Alors que faire ? Baisser les bras, cultiver le repli et faire assaut de « pragmatisme » ? C'est le plus sûr moyen de se condamner à plus ou moins long terme. Nous avons choisi de proposer une autre voie, de regarder les choses en face et de changer de perspectives. C'est parce que c'est difficile qu'il faut le faire.

Puisque la défense européenne bute sur la voie de la souveraineté, il faut contourner cet obstacle. Comment ? Comme nous l'avons toujours fait : en créant un groupe pionnier d'États qui le veulent et qui le peuvent et qui décident une fois pour toutes de se mettre d'accord pour être toujours d'accord. C'est ce que nous avons fait avec l'euro. C'est ce que nous avons fait avec les frontières. Et c'est ce que nous devons faire avec la défense européenne. Si elle existe un jour, une telle défense ne sera ni à la carte, ni à géométrie variable. Elle sera au contraire, « à la vie à la mort ». Dans une authentique défense commune ce n'est pas « la mission qui forge la coalition ». C'est la coalition qui conditionne la mission. C'est l'antique alliance des Grecs - la symmachie : « vos amis sont nos amis et vos ennemis sont nos ennemis ».

 Un Eurogroupe de défense

Pour y arriver nous avons proposé la constitution d'un Eurogroupe de défense, c'est-à-dire un groupe d'États pionniers, un « noyau dur ». Nous ne pouvons pas en tracer les contours, car ils doivent être librement définis et consentis par ceux qui les négocieront. Nous disons simplement qu'il est indispensable qu'il comporte du point de vue industriel, l'Italie et l'Allemagne, et du point opérationnel le Royaume-Uni et la Pologne.

Mais il ne faut en exclure personne. Le Danemark a une solide tradition guerrière, de même que la Suède qui est l'un des rares pays européens à disposer encore d'une base industrielle de défense importante. Les Pays-Bas ont une grande tradition maritime militaire, la Belgique partage avec nous la formation de ses pilotes de chasse et l'Espagne a montré sa volonté de compter. Désunis nous nous effacerons. Unis, nous existerons. C'est donc à la constitution de cet Eurogroupe qu'il faut travailler. Cela demandera du temps et surtout de la volonté. En avons-nous encore ?

 

 

Jacques Gautier (UMP) et Daniel Reiner (PS) vice-présidents de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et co-rapporteurs du programme 146 « équipement des forces ». Ils ont été tous les deux représentants du Sénat de la République à la commission du Livre blanc. Ils ont co-signé en juillet 2013 un rapport d'information du Sénat intitulé : « Pour en finir avec l'Europe de la défense - vers une (authentique) défense européenne ».

 

 

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Commentaires 11
à écrit le 22/12/2013 à 9:15
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Créer un groupe pionnier : "C'est ce que nous avons fait avec l'euro". Précisément, ça ne marche pas, qui en doute aujourd'hui, quand pour "sauver l"euro", on envoie des millions de personnes au chômage ? On reprend les mêmes erreurs et on recommenc...

à écrit le 22/12/2013 à 8:31
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Difficile d'envisager un quelconque accord sans régler le problème de la force de frappe française dont une grande majorité de pays européens ne veulent pas .

à écrit le 21/12/2013 à 21:26
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Les USA tentent de faire la guerre à la Russie et que fait l'Europe? elle rejoint les exercices de l'OTAN menés par les américains. L'UE se retrouve encore très orpheline de soi-même et presque entièrement dépendante des États-Unis, il n'existe pas u...

le 22/12/2013 à 16:25
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Dupondt Vous posez les choses dans l'ordre,imaginons une armée européenne soit, quand il faudra aller dans n'importe partie du monde ,à la méthode Us ,vous êtes sur que l'Allemagne l'Italie etc... accepterons de partir la fleur au fusil ,vous savez ...

à écrit le 20/12/2013 à 15:59
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Rapport Wolfowitz 1992 :"Nous devons empêcher l'émergence d'un système de sécurité exclusivement européen qui pourrait déstabiliser l'Otan et nous devons dissuader n'importe quelle nation ou groupe de de nations de défier la suprématie des Etats-Unis...

à écrit le 20/12/2013 à 14:15
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Les Etats Unis ne veulent pas d'une défense européenne,le PSDC se fait dans le cadre de l'OTAN un point c'est tout sous commandement Us,mais tout cela a été écrit dans le traité de Lisbonne J4-4.Ils ne veulent pas se retrouver de nouveau face à une n...

à écrit le 20/12/2013 à 12:55
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Les choses se feront lentement et s'accélèreront peut-être lorsqu'une crise grave touchera l'Europe de plein fouet. C'est sous la pression des peuples que se fera la Défense européenne. Mais pour cela, il va falloir que nous prenions un bon bouillon ...

à écrit le 19/12/2013 à 23:27
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La seule utilité de l'Europe eut été d'avoir un exécutif s'occupant beaucoup moins que la commission actuelle des affaires économiques et sociales des états et par contre assurant notre sécurité à l'extérieur et la protection des frontières de Scheng...

à écrit le 19/12/2013 à 23:13
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pourquoi s acharner a vouloir créer une Europe de la Defense - dont apparemment aucun pays europeen ne veut- alors que l OTAN existe, ceci expliquant cela sans doute , et qu on a pu la voir a l œuvre tant en Afghanistan depuis plus de dix ans ou en L...

le 21/12/2013 à 9:42
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Pourquoi, car dans l'OTAN, se sont les américain qui commande, qui impose le matériel, les missions.... Nous ne somme la que pour régler la facture, et fournir les hommes et le sang pour les guerre économique des USA ...

à écrit le 19/12/2013 à 22:59
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Pourquoi faire un Eurogroupe de défense ? On aurait pu envoyer un battlegroup européen en Centrafrique, déjà formé mais ce fut niet de la part des anglais qui en ont actuellement la présidence tournante. Plus globalement, les pays européens n'ont en...

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