L'Europe devrait limiter l'usage désastreux des biocarburants

Par Bjorn Lomborg  |   |  1239  mots
Pour Bjorn Lomborg, directeur du Copenhaguen Consensus Center, le bilan des biocarburants est à la fois désastreux pour l'environnement et l'alimentation des populations pauvres
L'Europe a manqué récemment l'occasion de plafonner l'usage des biocarburants. Des carburants au bilan désastreux. Par Bjorn Lomborg, directeur du Copenhagen Consensus Center et professeur adjoint au Copenhagen Business School

La 12 décembre, l'Union Européenne aurait pu devenir le premier acteur politique à freiner l'augmentation de la production des biocarburants. Ce ne fut malheureusement pas le cas puisque le Conseil Européen n'est pas parvenu à s'entendre sur la limitation de leur usage à 7% de la consommation de carburants pour le transport. Une limitation largement insuffisante certes, mais préférable à l'actuel taux limite 10%. Cette réduction aurait rendu service aux populations pauvres, à l'environnement et aux contribuables. Mieux encore, elle aurait pu être un tremplin pour la recherche de solutions climatiques plus pertinentes. Ce report inattendu est réellement décevant.

De bonnes intentions aux conséquences désastreuses

L'histoire du biocarburant est un parfait exemple des conséquences désastreuses que peuvent parfois engendrer les bonnes intentions. Les environnementalistes ont initialement plébiscité les biocarburants comme une solution miracle face au réchauffement climatique, supposant qu'ils émettraient moins de CO?. Ce rêve écologique a malheureusement tourné au cauchemar, et la plupart des environnementalistes s'en sont détournés. Actuellement, même Al Gore qualifie les biocarburants « d'erreur » et de « mauvaise politique ».[i]

Le bilan écologique désastreux des biocarburants

Plusieurs études ont démontré que la production de biocarburants accapare les terres agricoles, et renvoie l'agriculture alimentaire vers d'autres terres, dont la plupart seront inévitablement des surfaces forestières. L'on sait pourtant que la déforestation conduit à une augmentation de l'émission de CO?. Par ailleurs, la production de biocarburants implique souvent l'utilisation de carburants fossiles : comme engrais et pour la transformation des produits. Toujours selon ces études, sur chaque tonne de réduction de CO? fournie par l'utilisation de biocarburants, nous en émettons 92% par la déforestation et la production de carburants fossiles qu'elle implique.[ii]

Les politiques globales de l'UE sur les biocarburants ne réduiront probablement ses émissions que de 0.1%.[iii] Une réduction infime qui, même projetée à la fin de ce siècle, ne produirait que des résultats dérisoires. Appliqués sur un modèle climatique standard, ces politiques ne retarderaient l'augmentation globale de la température que de 58 heures vers la fin de ce siècle.

 Un coût élevé pour les contribuables

Elles coûtent en revanche très chères, notamment aux contribuables européens pour lesquels le un coût net annuel a été estimé à près de 7,2 milliards d'euros.[iv]Pour la même somme, l'UE aurait pu obtenir une réduction de CO? 300 fois supérieure en utilisant le marché du carbone.

Il faut savoir que l'objectif fixé initialement par l'UE - dont la révision a récemment échoué, était de doubler l'usage des biocarburants en 2020. Cela augmenterait les taxes européennes à environ 13,8 milliards d'euros.[v]

La consommation européenne mobilise des surfaces équivalentes à celle de la Belgique

A l'heure actuelle, la production de biocarburants de l'UE mobilise des surfaces de la taille de la Belgique - ou du total des terres cultivables du Portugal, prises sur les sites naturels européens.[vi]L'irrigation de ces champs nécessite plus d'eau que la Seine et l'Elbe réunies.[vii]

De quoi nourrir 100 millions de personnes

Cela étant, le défi le plus immoral se situe dans la mobilisation de produits alimentaires et de terres cultivables pour le transport à une époque où la planète compte encore plus d'un milliard de personnes souffrant de malnutrition. Selon certaines estimations, le total des calories utilisées dans les biocarburants en Europe équivaudrait à une quantité qui pourrait nourrir 100 millions de personnes.[viii].  Les États-Unis, dont le programme en la matière était initialement deux fois plus important, utilisent actuellement moins de 5% du total des ressources caloriques dans le monde.[ix]

Une contribution à la montée des prix agricoles

Et bien que les biocarburants ne soient pas les seules causes de la montée des prix observée ces dernières années dans le secteur alimentaire, ils y sont largement pour beaucoup. Si les occidentaux bénéficient aujourd'hui de prix subventionnés sur les biocarburants, les populations pauvres ont en revanche de plus en plus de mal à se nourrir. Cette montée des prix a contribué à augmenter le nombre de personnes souffrant de malnutrition de plus 30 millions d'individus.[x]

Les études menées à ce sujet démontrent que si nous ne maîtrisons pas le développement des biocarburants, cette augmentation pourrait atteindre 40 à 135 millions de personnes en 2020.[xi]

Alors, pourquoi le biocarburant reste-il toujours d'actualité ? La réponse est simple : une multitude d'intérêts personnels, défendant un marché de 10 milliards d'euros, pèse sur le maintien de ces politiques, bien qu'il ait été clairement établi qu'elles sont très peu efficaces malgré leur coût très élevé. Comme le dit Al Gore : "Il est très difficile, une fois que ce type de programme a été mis en place, de faire face aux pressions exercées pour son maintien."[xii]

Aller vers des politiques plus climatiques plus rationnelles

Bien évidemment, avec un coût global des politiques climatiques s'élevant à 1 milliards de dollars par jour,[xiii]nous investissons beaucoup sur des politiques qui, malheureusement, produisent très peu de retours. Les éoliennes coûtent 10 fois plus que les bénéfices qu'elles apportent en matière de réduction de carbone, et l'énergie solaire, 100 fois plus. Actuellement, les dépenses annuelles sur ces deux technologies s'élèvent à près de 160 milliards d'euros, une manne financière que plusieurs institutions ne souhaiteraient pas voir disparaître.

L'opposition croissante face à cette production effrénée de biocarburants nous montre la voie vers des politiques climatiques plus rationnelles. Si nous arrivons à stopper ou du moins à réduire l'accroissement de ce secteur, nous sauverons des populations, nous économiserons beaucoup, et nous ferons un pas important vers de meilleures solutions. Cela signifie investir dans des techniques agricoles plus productives,  capables de nourrir plus de populations sans envahir plus d'espaces naturels. Cela signifie également investir plus dans les recherches visant à produire des énergies vertes plus pertinentes qui s'avéreront plus efficaces dans le futur.

Pour l'instant, nous devons dire stop à cette folie immorale des biocarburants. Pas en limitant timidement les objectifs de ces politiques, mais en mettant fin courageusement et une bonne fois pour toutes à l'utilisation de ces technologies qui nous coûtent très chères.

 

Bjørn Lomborg est le directeur du Copenhagen Consensus Center et professeur adjoint au Copenhagen Business School. Son dernier livre s'intitule: How Much Have Global Problems Cost the World? A Scorecard from 1900 to 2050.

 

[i] https://voices.washingtonpost.com/44/2010/11/al-gore-i-shouldnt-have-suppor.html

[ii]www.iisd.org/gsi/sites/default/files/biofuels_subsidies_eu_review.pdf

[iii] at 3.74Gt per year, 2012

[iv] www.iisd.org/gsi/sites/default/files/biofuels_subsidies_eu_review.pdf

p5, average of 5.5-6.9bn plus 1bn from EU CAP, www.iisd.org/gsi/sites/default/files/biofuels_subsidies_eu_review.pdf

[v] average of 11 and 13.8bn, p40, for 9%, increased by 10/9ths.

[vi] www.iisd.org/gsi/sites/default/files/biofuels_subsidies_eu_review.pdf P3

[vii] www.iisd.org/gsi/sites/default/files/biofuels_subsidies_eu_review.pdf p7

[viii] https://www.theguardian.com/global-development/poverty-matters/2013/nov/26/burning-food-crops-biofuels-crime-humanity,

[ix] P12, https://econ.ucalgary.ca/sites/econ.ucalgary.ca/files/seminars/schlenker.pdf

[x] https://www.theguardian.com/commentisfree/2008/jul/03/biofuels.usa

[xi] p132 in https://www.fao.org/docrep/014/i2280e/i2280e.pdf

[xii] https://green.blogs.nytimes.com/2010/11/23/gore-annoys-corn-ethanol-lobby/?_r=0

[xiii] https://climatepolicyinitiative.org/publication/global-landscape-of-climate-finance-2013/