L'économie est-elle une science ?

L'économie est-elle vraiment une science? Il est vrai que la politique économique laisse beaucoup de place à l'irrationnel. Mais l'économie progresse, combinant approche quantitative, mathématique, et comportementale, pour intégrer les facteurs humains. Par Robert J. Shiller, prix Nobel d'économie

 Cette année je suis l'un des titulaires du Prix de sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel, ce qui me rend parfaitement conscient des critiques de ce Prix par ceux qui estiment que l'économie n'est pas une science - contrairement à la chimie, la physique ou la médecine qui font l'objet d'un Prix Nobel. Est-ce fondé ?

L'économie, plus pratique que théorique

L'un des problèmes de l'économie est de s'intéresser nécessairement aux mesures pratiques plutôt qu'à la recherche de principes fondamentaux. Personne ne s'intéresse vraiment aux données en économie, si ce n'est pour qu'ils servent de guide au moment de choisir une politique : les phénomènes économiques n'exercent pas la même fascination intrinsèque que par exemple les phénomènes de résonance à l'intérieur d'un atome ou le fonctionnement d'une cellule vivante. Nous nous intéressons à l'économie en fonction de ses résultats. De ce point de vue, elle se rapproche davantage des sciences de l'ingénieur que de la physique, elle est plus pratique que théorique.

Il n'existe pas de Prix Nobel des sciences de l'ingénieur, alors qu'il en faudrait un. Il est vrai que le Prix Nobel de chimie y ressemble, car il a été décerné cette année à trois chercheurs (Martin Karplus, Michael Levitt et Arieh Warshel) pour leur travail concernant " le développement de modèles multiéchelles de systèmes chimiques complexes, sur lequel reposent les programmes informatiques qui pilotent les appareils de résonance magnétique nucléaire.

 La politique économique ne laisse pas beaucoup de place à la science

Mais en ce qui concerne l'économie la Fondation Nobel doit considérer bien davantage d'applications pratiques. Le problème, c'est lorsqu'on se penche sur la politique économique, il ne reste plus beaucoup de place pour la science. La politique entre en jeu et l'avantage d'un positionnement politique est d'attirer l'attention de l'opinion publique. Or le Prix Nobel est destiné à récompenser ceux qui ne cherchent pas à attirer l'attention et qui pourraient être laissés de coté au cours de leur poursuite sincère de la vérité.

 Pourquoi parle-t-on d'un prix en "sciences économiques" plutôt qu'en "économie" ? Pour les autres prix on ne parle pas de "sciences chimiques" ou de "sciences physiques". Les secteurs de recherche qui utilisent le mot "science" dans leur intitulé sont souvent ceux qui attirent émotionnellement énormément de gens et dans lesquels les fausses sciences ont une certaine influence sur l'opinion publique. Les véritables scientifiques utilisent le qualificatif de "science" pour se distinguer de leurs cousins bien moins recommandables.

Le terme de "sciences politiques" s'est répandu à la fin du 18° siècle pour marquer la différence avec les pamphlets partisans destinés à attirer les votes et à gagner en influence, plutôt qu'à rechercher la vérité. Le terme de "science astronomique" était en vogue à la fin du 19° siècle pour distinguer l'astronomie de l'astrologie et de l'étude des mythes des Anciens relatifs aux constellations. Au 19° siècle on parlait aussi de "science de l'hypnose" pour distinguer l'étude scientifique de l'hypnose de la sorcellerie ou d'un transcendantalisme religieux.

 L'économie, une pseudoscience?

 Les critiques des "sciences économiques" en parlent parfois comme d'une "pseudoscience" de l'économie, disant qu'elle utilise les signes extérieurs de la science, comme des maths d'apparence complexe, mais uniquement pour donner une impression de sérieux. Ainsi, dans un livre publié en 2004, « Le hasard sauvage » : comment la chance nous trompe » , Nassim Nicholas Taleb écrit ceci à propos des sciences économiques : "Il est possible de camoufler le charlatanisme sous le poids des équations sans se faire prendre, car il est impossible de faire des expériences de contrôle."

 Les mêmes reproches faits aux économistes et aux physiciens

Mais la physique fait aussi face à des critiques de ce genre. Dans son livre sorti en 2004, « Rien ne va plus en physique! l'échec de la théorie des cordes », Lee Smolin reproche aux physiciens de se laisser séduire par des théories qui font preuve d'élégance (notamment la théorie des cordes), plutôt que par celles qui peuvent être soumises à l'expérience. De la même manière, dans un livre publié en 2007, Même pas fausse, la physique renvoyée dans ses cordes, Peter Woit accuse les physiciens d'à peu près les mêmes péchés que ceux reprochés aux économistes férus de mathématiques.

Des modèles économiques vulnérables

Les modèles utilisés en économie sont plus vulnérables que ceux utilisés en physique, parce que leur validité ne sera jamais parfaitement établie du fait de la nécessité de procéder à beaucoup plus d'approximations, notamment parce que ces modèles décrivent des comportements humains et non celui de particules fondamentales. Un être humain peut toujours changer d'avis et de comportement, il peut même être névrosé ou avoir des problèmes d'identité. Ce sont des facteurs complexes que l'économie comportementale juge utile d'examiner pour appréhender les phénomènes économiques.

Combiner point de vue mathématique et incertitude humaine

Mais contrairement à ce que laisse entendre Taleb, recourir aux mathématiques en économie ne relève pas systématiquement du charlatanisme. On ne peut se permettre de négliger l'aspect quantitatif de l'économie. Le défi consiste à combiner un point de vue mathématique avec les ajustements nécessaires pour rendre un modèle mathématique compatible avec l'élément irréductiblement humain de l'économie.

Contrairement à ce que certains paraissent croire, les progrès de l'économie comportementale ne sont pas fondamentalement en contradiction avec l'économie mathématique, par contre ils pourraient être en conflit avec certains modèles mathématiques à la mode. L'économie connaît ses propres problèmes méthodologiques, mais les défis auxquels sont confrontés les chercheurs dans ce domaine ne sont pas fondamentalement différents de ceux rencontrés dans d'autres domaines. Le développement des sciences économiques va permettre d'élargir l'éventail des méthodes et des démonstrations, ce qui va les renforcer tout en permettant de dénoncer les charlatans.

 

 Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz

 Robert Shiller vient de recevoir le Prix Nobel d'économie. Il enseigne cette discipline à l'université de Yale aux USA.

 

© Project Syndicate 1995-2013

 

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Commentaires 31
à écrit le 20/06/2017 à 4:52
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Je pense que l'économies est l'une des meilleur science existe au monde. Pourquoi? Par ce que sans la science de l'économie le monde devient affaibli ...

à écrit le 02/01/2014 à 23:29
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Comme le précise l'auteur il n'existe pas de prix Nobel d'économie ! Il ne s'agit que de l'usurpation du prestige de cette institution par une petite bande d’universitaires et autres gourous carriéristes qui s’auto-congratulent via la Banque Central...

le 30/06/2016 à 0:53
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Blablabla vous mélangez décidément tout... Pourquoi vous parlez de mathématiciens comme s'ils étaient l'incarnation du scientifique alors qu'ils pratiques la seule discipline qui n'a aucun rapport avec le réel (enfin si, mais vous avez compris l'i...

à écrit le 02/01/2014 à 12:33
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Comme le précise l'auteur il n'existe pas de prix Nobel d'économie ! Il ne s'agit que de l'usurpation du prestige de cette institution par une petite bande d’universitaires et autres gourous carriéristes qui s’auto-congratulent via la Banque Centrale...

à écrit le 01/01/2014 à 20:47
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En parlant de pseudo-science, il faut plutôt citer la psychiatrie : plus d’un siècle de recherches et de théories , des millions de patients, des milliards de dollars dans la poche, et ... 0 guérisons !

le 02/01/2014 à 11:03
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Votre commentaire est honteux et hors sujet. Vous réglez vos comptes personnels ?

le 06/01/2014 à 18:37
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@tiburs Aucun compte personnel. La psychiatrie relève du plus chamanisme que de la science. Depuis plus de 30 ans des thérapies en tout genre ont vu le jour et les résultats sont inexistants.

le 30/06/2016 à 0:55
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Toutes les sciences ramaient au début, on ne connaissait rien de la psychologie autrefois...

à écrit le 01/01/2014 à 20:42
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Si on s'en tient à sa définition, «  science qui a pour objet la connaissance des phénomènes concernant la production, la distribution et la consommation des ressources, des biens matériels dans la société humaine »  ( Le Petit Robert , Février 2000...

à écrit le 01/01/2014 à 10:03
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L'économie est à la science ce que l'astrologie est à l'astronomie.

le 01/01/2014 à 19:34
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Encore faut-il éviter d'attribuer à la science économique les erreurs de jugement de ceux qui l'utilisent, dénoncer l'ignorance de ceux qui l'invoquent, et les impostures que permet souvent l'usage des mathématiques. On pourrait en faire un livre.

le 02/01/2014 à 11:25
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Si l'economie n'etait pas une science, les economistes ( meme de gauche) n'aurait pas avertient Mitterand que son programme de 81 n'avait pas la moindre chance de reussir... Mais bon, le " peuple" veut du fric, alors..

le 30/06/2016 à 0:58
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Fatalitas : ah bon? Et les programmes informatiques des bourses fonctionnant selon des modèles conçus par des économistes, c'est de l'astrologie peut-être? De la pseudo-science?

à écrit le 31/12/2013 à 18:45
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L'économie n'est que politique, rien à voir avec une science; les économistes, des prêtres.

le 30/06/2016 à 0:57
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Blablabla... Lorsque des programmes informatiques traders de la bourse fonctionnent selon des modèles conçus par des économistes, pensez-vous que ce n'est que politique. NON, le modèle en question est pertinent, colle à la réalité, point barre, l'éco...

à écrit le 31/12/2013 à 10:22
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"au cours de leur poursuite sincère de la vérité" .... En économie? Ha ha ha! Comme avec les mouvements des étoiles on va finir avec des "approximations" .... Et on "oubliera" qu'une toute petite erreur au départ provoque des cataclysmes à la fin, à ...

le 31/12/2013 à 16:46
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C'est facile des dénigrer la science.D'une part l'écrasante majorité des physiciens et ingénieurs en R&D ne sont pas confrontés au problème du chaos déterministe et peuvent faire vérifier leurs résultats. D'autre part le progrès technique fondé sur l...

le 02/01/2014 à 11:30
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Vous avez une curieuse mentalite, Bill..

à écrit le 31/12/2013 à 9:43
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Il y a peu de différences en vérité entre l'économie et n'importe quelle autre science puisque tout est stochastique et que les facteurs humains interviennent partout (dès qu'il y a un observateur). On prédit l'économie comme le temps...c'est à dire ...

le 01/01/2014 à 12:02
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Non, tout n'est pas "stochastique" en science . Loin de là.

à écrit le 31/12/2013 à 9:29
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Incapable de prédiction, l'économie est une pratique, pas une science.

le 01/01/2014 à 20:47
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Les prévisions relèvent de la science, les prédictions de la boule de cristal !

le 30/06/2016 à 1:01
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Faut arrêter avec le mythe des sciences dures et les sciences humaines qui ne seraient pas scientifiques, c'est du cinéma. Il y a par exemple des lois de thermodynamique qui sont démontrés par physique statistique, des trucs non prévisibles en physiq...

à écrit le 31/12/2013 à 1:33
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Les journaliste sont indécrottables. Vous présentez par deux fois ce monsieur (fort honorable au demeurant) comme Prix Nobel d'Economie alors qu'il n'y a pas de Prix Nobel d'économie, mais (comme le lauréat le dit lui même), un Prix de sciences écono...

à écrit le 31/12/2013 à 1:31
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Ce qui est étonnant, c'est surtout que l'economie constitue un problème, à la différence de la physique par exemple, puisqu'elle est une activité entièrement artificiellement construite. Les solutions techniques aux problèmes de la nature respectent ...

le 02/01/2014 à 11:22
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Non, l'economie n'est pas artificiel.. Du reste on voit bien que la realite resiste aux utopies socialisantes..

à écrit le 30/12/2013 à 22:44
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Oui, mais pas une science comme on voudrait bien le faire croire. Les économistes doivent arrêter avec leurs équations et sortir un peu dehors. Je viens juste de faire une présentation sur l'invalidité de la théorie des jeux et la facon dont l'infor...

le 30/06/2016 à 1:03
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Ah oui, vous venez d'invalider la théorie des jeux sur laquelle travaillent des milliers de mathématiciens depuis des décennies? Arrêtez vos simagrée ;)

à écrit le 30/12/2013 à 17:23
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Trop de confusions dans cet article : la médecine ne peut être rapprochée de la physique-chimie ; celle-ci est d'ailleurs classée par DEWEY dans les techniques et non les sciences stricto sensu. Cette seule remarque suffit à lever le lièvre : confond...

le 31/12/2013 à 9:38
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les sciences dures reposent sur des postulats de départ vérifiable ou remplaçable alors que les sciences molles reposent sur des postulats non vérifiables donc plus susceptible de contenir des préjugés. Les sciences molles peuvent difficilement conso...

le 30/06/2016 à 1:05
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Jean : non, ce que vous dites est complètement gratuit. Faut arrêter d'idéaliser les sciences naturelles (Anecdote parenthèse : beaucoup de lois physiques sont d'ailleurs démontrés uniquement statistiquement comme en thermodynamique). Exercer l'histo...

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