Les TPE, oubliées par tous les gouvernements.

Par Bernard Cohen-Haddad  |   |  1059  mots
Les TPE ont été largement oubliées, et ce par tous les gouvernements. La mission lancée récemment par Pierre Moscovici va-t-elle changer la donne? Par Bernard Cohen-Hadad, président du think tank Etienne Marcel, président de la commission financement de la CGPME

Après cinq années de crise financière et tant de promesses non tenues une partie des petits entrepreneurs, commerçants et artisans, sont descendus dans la rue. Mais pour l'immense majorité d'entre eux, ils n'ont pas le temps de s'arrêter pour manifester. Les TPE ont de moins en moins de moyens d'existence et n'ont jamais rien attendu de l'Etat, sauf la liberté d'entreprendre. Ils sont aujourd'hui le retour populaire d'une société qui les toise, d'un discours politique qui ne leur parle plus et d'une action publique qui les compresse.

Des revenus en baisse de 20%

Sur les 12 derniers mois, leurs revenus annuels ont baissé de 20%. Les dirigeants de TPE sont dans l'incompréhension d'un gouvernement qui s'adresse au monde du travail ou affiche une complicité d'écoles avec certains grands dirigeants. C'est pourquoi le désamour n'a jamais été aussi fort. La réalité est là. Et pourtant, les TPE existent. Elles ne sont pas après la virgule dans notre économie. Elles représentent plus de 2,3 millions d'entreprises et emploient près de 6 millions de salariés (1) dans les domaines des services, du commerce ou de la petite industrie. C'est ce socle entrepreneurial qui fait vivre notre pays.

Les TPE ont amorti la crise, mais n'en peuvent plus

Ces « sans grades » de petits acteurs économiques ne sont pas des entreprises comme les autres. Et cette particularité ne doit pas être une discrimination permanente ! Nos élites s'intéressent peu aux TPE (ce n'est pas leur parcours) et l'on manque cruellement d'outils statistiques. Seuls les élus de terrain savent le rôle qu'elles jouent dans la cité. Leurs engagements financiers, leur approche du dialogue social est patrimoniale et toute leur activité est ancrée en France dans nos régions. Elle balance entre une forte dose d'adaptabilité, de prise de risques calculés et de limitation des coûts pour dégager de la rentabilité. Les TPE, en puisant en elles même, ont amorti la crise mais n'en peuvent plus.

Ces hommes et ces femmes du coin de la rue, et pour lesquels leur métier est d'abord un chemin de vie, sont inquiets pour notre pays et pour leur activité. Ils redoutent la politique du chien crevé au fil de l'eau dont ils sont les victimes. Il suffit d'aller à leur rencontre pour voir qu'ils sont touchés par la multiplication des contraintes réglementaires, la hausse des coûts et l'augmentation des prix fournisseurs, la baisse du chiffre d'affaires et l'accès aux crédits de trésorerie.

Un accès au crédit de trésorerie de plus en plus limité

Ils n'ont plus d'argent et pas d'espoirs. Malgré le discours des Etats-Majors des banques, dans les agences, l'accès au crédit de trésorerie est de plus en plus limité. Beaucoup de « conseillers clientèles » manquent d'égard envers ces petits patrons. La pression financière et morale, de plus en plus forte, qu'exercent certains réseaux sur les commerçants n'est pas acceptable. Le refus de crédit de moins de 3.000 €, la suppression des autorisations de découvert ne touchent plus seulement l'activité professionnelle.

Ils concernent aussi la vie privée faute de « mouvement sur le compte » et de rentrée régulière d'argent. Et 90 % des TPE ou des artisans n'ont qu'une seule banque. Une voie sans d'autre issue que de puiser dans l'épargne quand il y en a… Sait-on que près de 25% des petits entrepreneurs s'autofinancent et réinjectent régulièrement des fonds dans leurs entreprises. Beaucoup comptent sur le crédit interentreprises qui est devenu « la » roue de secours.

Des choix de politique fiscale clairs

La fiscalité est en première ligne. Elle restait un tabou par peur du retour de bâton. Ce n'est plus le cas, beaucoup ont déjà tout perdu. Car le risque, le poids des contrôles et les contraintes fiscales nationales et locales qui touchent les TPE sont surdimensionnés par rapport à la nature de ces activités. A la hauteur du nombre d'heures que passent les commerçants dans leurs « boutiques » cette fiscalité injuste est un nouvel esclavage qui pèse sur l'activité et les familles. Elle favorise l'autocensure, bride l'investissement et freine le développement. Il faut donc sortir de ce débat de techniciens pour revenir à des choix politiques clairs et garantir la stabilité dans la durée des mesures à incidences fiscales.

Valoriser le CDD

Choisir dans la multitude de taxes celles qui ne freinent pas l'investissement, la transmission des savoirs faire ou encouragent l'affectation durable dans l'activité professionnelle. Adapter nos textes à ces nouveaux enjeux est une priorité. Et évitons, à défaut d'arguments ou de volonté politique, de jeter l'anathème sur ceux qui veulent débattre, et non en découdre, dans le cadre républicain.

Enfin le coût et la durée du travail sont totalement inadaptés au fonctionnement des TPE face à la concurrence. On parle d'embouche, mais il faut limiter les coûts des licenciements qui mettent en péril l'avenir de l'entreprise et valoriser le CDD pour encourager durablement l'emploi. L'Europe n'est pas notre mauvais génie.

Selon la Commission Européenne, les TPE-PME ont assuré 85% des créations nettes d'emplois dans l'Union de 2002 à 2010. Et pour l'immense majorité des TPE françaises le maintien de l'emploi, compte-tenu de la baisse d'activité, a entrainé une baisse de rentabilité. Pourtant les TPE jouent le jeu. Combien délocalisent leur main d'œuvre ? Aucune.

Construire ensemble

On le voit bien, cet hiver, la multiplication des difficultés quotidiennes vécues par les TPE et la montée des exaspérations locales ne sont pas des poussées de chaleurs. Elles sont un sursaut face à des injustices. Et l'immobilisme ne fait qu'accroître la fracture. Il est donc devenu indispensable de parler d'une seule voix, de multiplier les occasions de dialogue entre l'État, les élus, l'administration et les organisations représentatives des TPE pour construire ensemble. Sur le terrain, les TPE attendent cette reconnaissance.

Pierre Moscovici vient de lancer une mission de réflexion sur les TPE. Il était temps, encore faut-il traiter toutes les problématiques TPE et accepter d'en débattre librement. Ces petites entreprises espèrent, pour reprendre la belle formule de Bernard de Clairvaux, « que ceci soit la fin du livre et non pas la fin de la recherche ».