Prise en compte de la pénibilité : une nouvelle bombe financière

Le compte pénibilité prévu par la réforme des retraites est sensé coûter deux milliards d'euros. En fait, il devrait concerner un très grand nombre de salariés, et coûter beaucoup plus cher aux finances publiques. par François Ecalle, économiste*

La nouvelle loi portant réforme des retraites institue un « compte personnel de prévention de la pénibilité » au profit de tous les salariés de droit privé. L'exposition à un ou plusieurs facteurs de pénibilité du travail conduira à partir de 2015 à l'accumulation de points sur ce compte, qui pourront être utilisés pour financer une formation à un poste moins pénible, pour compenser la baisse de rémunération résultant d'une réduction de la durée du travail ou pour abaisser l'âge minimal de départ en retraite et financer la validation de trimestres supplémentaires majorant la durée de cotisation à l'assurance vieillesse.

Un coût de deux milliards d'euros

Le coût de ce dispositif, qui sera financé par une nouvelle cotisation pesant sur les entreprises, est estimé à deux milliards d'euros en 2030 dans l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi, soit 40% des économies résultant de la hausse de la durée d'assurance nécessaire pour obtenir une pension à taux plein. Cette étude d'impact ne donne pas la moindre indication sur les hypothèses et les calculs qui ont conduit à ce chiffrage. Ce montant de deux milliards d'euros semble tiré du « rapport Moreau » qui n'est pas plus précis sur la méthode de calcul suivie.

L'étude d'impact note seulement que 18% des salariés du secteur privé sont concernés par au moins un des dix facteurs de pénibilité qui alimenteront ces comptes (horaires alternants, travail de nuit, travail répétitif, bruit, températures extrêmes, activités en milieu hyperbare, agents toxiques dans l'environnement de travail, postures pénibles, vibrations mécaniques, manutention manuelle de charges). Aucun de ces facteurs n'affecterait à lui seul plus de 7% des salariés.

Pas loin de 100% des salariés sont susceptibles d'exercer une activité pénible

Or ces chiffres sont supposés être tirés d'une enquête publiée en 2012 par la direction des études et statistiques du ministère du travail sur les risques professionnels, reposant sur un échantillon de 48.000 fiches médicales individuelles remplies par 2.400 médecins du travail, qui montre que : 40% des salariés du secteur privé sont soumis à au moins une contrainte physique intense comme la position debout (24%) ou d'autres contraintes posturales (21%) ; 20% sont soumis à un bruit excessif ; 14% sont en travail posté ; 36% ont un rythme de travail soumis à au moins trois contraintes telles que la cadence automatique d'une machine, des normes de production journalières, une demande extérieure obligeant à une réponse immédiate ; 34% sont exposés à au moins un produit chimique. Au total, la proportion de salariés exerçant une activité pénible ne doit pas être très loin de 100% !

Une liste de facteurs de pénibilité qui risque de s'allonger

Certes, tous les facteurs de pénibilité ne pourront pas alimenter ces comptes et l'exposition aux facteurs retenus pour les alimenter ne sera prise en compte qu'au-delà de certains seuils. Cependant, les facteurs actuellement retenus sont largement arbitraires et il est très probable que leur liste sera rapidement allongée. Par exemple, alors que 22% des salariés sont victimes de comportements hostiles sur leur lieu de travail, selon la même enquête, il est vraisemblable que ce facteur de pénibilité, et plus généralement le stress au travail, sera retenu à plus ou moins brève échéance.

Un coût largement supérieur à deux milliards d'euros

Quant aux seuils d'exposition, la loi prévoit qu'ils seront fixés par décret et l'étude d'impact ajoute « après concertation avec les acteurs sociaux », ce qui signifie que l'estimation du coût du dispositif figurant dans l'étude d'impact est purement forfaitaire, ces seuils n'étant pas encore déterminés. Or il est peu probable que les seuils ainsi fixés seront supérieurs à ceux retenus par les médecins du travail dans le cadre de l'enquête précitée.

La proportion de salariés concernés risque donc, pour les entreprises qui financeront le dispositif, d'être plus proche de 100% que de 18% et le coût de cette réforme sera très largement supérieur à 2 milliards d'euros.

De nombreux litiges à venir

Les fonctionnaires bénéficient, de leur côté, d'un régime particulier, notamment en matière de droits à pensions, appliqués aux « métiers pénibles » désignés par l'expression « catégories actives », qui mériteraient d'être réexaminés. Seuls les travailleurs indépendants ne bénéficieront pas de telles compensations de la pénibilité de leur activité, alors même que leurs conditions de travail sont souvent tout aussi pénibles. Pour ceux qui emploient au moins un salarié, cette pénibilité sera renforcée par les contraintes bureaucratiques résultant de cette réforme.

Il leur faudra en effet mesurer l'exposition de leurs salariés à la pénibilité, c'est-à-dire mesurer le bruit qui les environne, le temps qu'ils passent dans des postures pénibles, la part des tâches répétitives, etc. Ensuite, ils devront consigner ces mesures dans une fiche individuelle à transmettre au salarié et au gestionnaire du compte pénibilité. Il est évident que les litiges seront nombreux, la mesure de la pénibilité étant inévitablement en partie subjective (appréciation de la pénibilité d'une posture ou de la répétitivité d'une tâche par exemple), et qu'il faudra y ajouter le temps passé à subir les contrôles de l'administration et à se défendre en justice.

L'administration devra embaucher

De leur côté, les administrations devront embaucher des agents pour gérer ces comptes, contrôler la tenue des fiches individuelles, sanctionner les manquements et trancher les litiges, ce qui ne va pas vraiment dans le sens d'une réduction de leurs dépenses de fonctionnement. L'étude d'impact ne mentionne même pas ces dépenses nouvelles.

Il existe bien entendu des travaux particulièrement pénibles et cette pénibilité doit faire l'objet d'une compensation, ce qui est déjà l'objet de nombreuses réglementations (sur le travail de nuit ou en équipes alternantes, la prévention et l'indemnisation des maladies et accidents professionnels, etc.). L'utilité de nouvelles dépenses publiques et de nouvelles règles administratives n'est pas manifestement évidente.

Un coût supérieur à son utilité sociale

Si le marché du travail fonctionnait parfaitement au sens de la théorie économique classique, la rémunération de chaque salarié refléterait la pénibilité, et les autres caractéristiques de son poste de travail. Le marché du travail ne fonctionne évidemment pas ainsi mais, d'une part, c'est aux salaires de prendre en compte la pénibilité des fonctions exercées et, d'autre part, l'efficacité des interventions de l'État pour résoudre ce problème est très loin d'être démontrée. Il est plutôt probable que le coût de cette réforme sera nettement supérieur à son utilité sociale.

 

*) François Ecalle, économiste, a une longue expérience de l'élaboration et de l'évaluation des politiques économiques au sein de l'administration. Il a enseigné l'économie et la gestion publique dans plusieurs grandes écoles et il est actuellement chargé d'un cours de politique économique à l'université Paris I. Il a écrit plusieurs ouvrages, notamment Maîtriser les finances publiques ! Pourquoi, comment ?, Economica, 2005 (Grand Prix de l'Académie des sciences morales et politiques).

 Texte publié par l'iFrap,

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Commentaires 43
à écrit le 16/01/2014 à 17:31
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Faut-il rappeler à certains que la prise en compte de la pénibilité a été introduite dans la quatrième partie de la réforme des retraites négocié par les partenaires sociaux, avec la complicité de Fillon, voulu par Sarko... Comme l'on voulait absolum...

à écrit le 13/01/2014 à 17:55
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Juste une question, Un système comparable existe il a l'étranger ou est ce le produit de notre génie national (type 35heures)?

à écrit le 12/01/2014 à 22:26
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C est fou le nombre de socialos, demagos, syndicalistes, fonctionnaires et fainéant en tout genre qui lisent La Tribune journal capitaliste. Vous êtes des faux culs.

à écrit le 12/01/2014 à 1:32
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la vraie bombe financière , c'est les vieux en france, qui va payer leur retraite ? y a de plus en plus de vieux, certains sont racistes, primaires, rétrogrades, égoistes, méchants ...franchement, c'est pas un cadeau.

le 13/01/2014 à 8:49
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ton tour viendra

le 15/01/2014 à 12:52
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tu paye ma retraite ,et mes enfants payeront la tienne ,mais calme toi si tu veux y arriver !!

à écrit le 11/01/2014 à 10:08
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Il faut juste payer ce qui est dû (les bons comptes font les bons amis). Si un travail est pénible, c'est qu'il est prouvé qu'il dégrade l'espérance de vie, et s'il dégrade l'espérance de vie, la simple application de calculs actuariels (simulation d...

à écrit le 10/01/2014 à 18:03
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Le trader qui bosse 70h/semaine sur sa chaise en simili cuir, devant ses 6 écrans, ses 3 lignes téléphoniques, son open space avec 150 personnes ultra bruyant... J’espère qu'il aura droit a la reconnaissance de la pénibilité de son taf....ca me fera...

le 10/01/2014 à 19:48
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A Londres, les open space sont équipés de réducteurs de bruit par émission d'une onde de contre phase, qui sont très efficaces. Un plateau de 750 personnes est presque silencieux, mais d'accord sur le reste, un trader n'a pas une vie professionnelle ...

le 11/01/2014 à 10:00
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Oui mais ils sont suffisamment payés pour souscrire à un fonds de pension très généreux

à écrit le 10/01/2014 à 15:41
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Il existe aujourd'hui une industrie très performante pour gérer ce type de compte, ce sont les sociétés de gestion d'épargne salariale que l'on trouve dans quasiment tous les grands groupe financiers et qui opèrent pour le compte de toutes les entrep...

à écrit le 10/01/2014 à 15:00
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Comme d'habitude, parions que les pauvres fonctionnaires seront les premiers à en bénéficier....

à écrit le 10/01/2014 à 13:54
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Ce monsieur n'est sans doute pas concerné, mais les chiffres de l'INSEE et des démographes sont clairs, l'espérance de vie des ouvriers/salariés agricoles est nettement inférieure aux autres catégories socio-professionnelles. Et toutes les théories é...

le 11/01/2014 à 10:10
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Ce constat scientifique se traduirait par une meilleure prise en compte si on était en capitalisation (quand on est en mauvaise santé, on peut négocier un viager avantageux)

à écrit le 10/01/2014 à 11:20
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je suis loin d'etre socialiste mais je trouve complétement cynique de ne pas vouloir prendre en considération la pénibilité dans le monde du travail; il faut simplement bien l'encadrer; trop de salariés encore travaillent dans des conditions désast...

à écrit le 10/01/2014 à 10:56
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C'est pas grave, on augmentera les impôts !

à écrit le 10/01/2014 à 8:33
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on ne reste pas couvreur jusqu'à 60 ans. le patron se débrouille toujours pour faire effectuer un travail subalterne dans le même métier à partir d'un certain âge. être ouvrier à 35 heures semaine n'est pas forcément plus pénible ni plus dangereux q...

le 10/01/2014 à 10:41
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Futé, je t'invite à travailler chez un sous traitant automobile en trois huit et tu verras si c'est du billard ,rigolo de kermesse!!!

à écrit le 10/01/2014 à 8:05
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Tout cela est bien gentil mais que l'on explique comment feront ceux qui ont des métiers dangereux et pénibles physiquement pour tenir le coup jusqu'à 65 ou 70 ans. Comparer le stress d'un commercial ou d'un administratif avec la fatigue physique d'...

à écrit le 10/01/2014 à 7:35
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Encore un truc qui a été fait pour les députés, sénateurs,...

à écrit le 10/01/2014 à 5:12
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Voilà un grand délire démagogique qui coûtera beaucoup d'emplois et accentuera la pauvreté. J'y vois une menace de plus sur les entreprises, une idiotie magistrale, un scandale en puissance. Ça sera abandonné. Les socialistes en parleront jusqu'en 20...

à écrit le 10/01/2014 à 0:12
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Il est clair que celui qui a eu l'idée d'écrire cette critique n'a jamais eu un travail pénible. Voire, d'ailleurs, un travail tout court...

à écrit le 09/01/2014 à 23:49
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L'assurance retraite, comme la sécurité sociale ne dépasseront pas leur centième anniversaire ....Et disparaitront progressivement avant 2045...

à écrit le 09/01/2014 à 22:28
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le système vas s' écrouler avant que la loi entre en vigueur .

à écrit le 09/01/2014 à 21:41
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ENFIN! une mesure qui va pouvoir s'appliquer à moi petit patron… Le stress sera reconnu comme une "pénibilité". Non, je plaisante, je ne demande rien à personne sauf que l'Etat me foute la paix et me laisse gérer, développer, embaucher et générer des...

le 10/01/2014 à 7:09
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... le reste ... et les surtout les autres tu t'en balances c'est bien ca ?

à écrit le 09/01/2014 à 20:35
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Comme les 35 heures, comme les avantages des salariés du public sur le privé, comme l' invasion des sans-papiers, comme les journées de carence, la Gauche socialiste sera responsable de cette nouvelle absurdité qui coûtera très cher aux français........

le 09/01/2014 à 21:51
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Mais c'est un nouveau progrès social ! On ne va quand même pas s'encombrer de considérations économiques...

le 11/01/2014 à 10:24
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Si on appliquait vraiment une logique de répartition, ca dispositif ne coûterait rien de plus : les personnes occupant des métiers pénibles acquièreraient simplement plus de points que les autres et les autres toucheraient donc une retraite plus bass...

à écrit le 09/01/2014 à 20:35
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Comme les 35 heures, comme les avantages des salariés du public sur le privé, comme l' invasion des sans-papiers, comme les journées de carence, la Gauche socialiste sera responsable de cette nouvelle absurdité qui coûtera très cher aux français........

à écrit le 09/01/2014 à 20:27
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C'est aux entreprises concernées à rémunérer leurs employés, faute de quoi ils ne pourront plus trouver personne pour faire le boulot. Mais comme ils savent que le gouvernement leur versera des subventions et indemnités en tout genre, ces entreprises...

le 10/01/2014 à 1:34
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"........faute de quoi ils ne pourront plus trouver personne pour faire le boulot " Le pensez vous vraiment ? Dans ce cas grosse erreur !!!! Dans 30 ans 2 Mds d'individus de plus sur Terre . Quelques millions de malheureux seront très heureux , ...

à écrit le 09/01/2014 à 19:36
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Si nos grands parents n'avaient pas travaillé de toute leur force et envi et sans compter personne n'oserait réclamer cette absurdité, si le travail devient si pénible, alors restez donc à rien faire et touchez le RSA

à écrit le 09/01/2014 à 19:29
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Coquille : "est sensé coûter deux milliards d'euros." censé (sensé = qui a du sens)

le 09/01/2014 à 20:35
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@Photo73: Bon, si tu parles pas le québécois, va falloir t'y mettre, parce que tout ce qui est québécois est en vogue en France en ce moment...et je ne serais pas surpris que le réviseur de l'article ne parle que ce dérivé du franglais :-)

à écrit le 09/01/2014 à 19:29
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le gouvernement socialo verdo communiste a ouvert la boite de pandorre, avec les socialistes on ne compte jamais,les generations suivantes paieront la note. puisse un gouvernement de droite abroger cette mesure inique en 2017

le 10/01/2014 à 7:13
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Faux , c'est sarkozi qui a lance le debat sous la pression des syndicats lorsqu'il a allonge la duree de cotisation .

à écrit le 09/01/2014 à 17:46
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en somme, un objectif impossible.

à écrit le 09/01/2014 à 17:09
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Et comment rémunérer...? la pénibilité de devoir écouter les socialistes ...?

le 09/01/2014 à 18:17
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Réaction idiote!

le 09/01/2014 à 21:51
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Et en plus ils nous stress sérieusement avec leurs hausses d'impôts sans compter que c'est de plus en plus compliqué de les payer !!!

le 09/01/2014 à 21:52
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Tiens, il existe encore des socialistes ?

le 21/01/2014 à 11:21
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C'est l'inverse, on paye pour les écouter et sans que cela ne puisse constituer de point dans le compte pénibilité Helas.

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