Superviser les banques, un nouveau métier à haut risque pour la BCE

Danièle Nouy, qui va bientôt diriger la supervision des banques européennes par la BCE, devra acclimater de nouvelles méthodes au sein de la banque centrale Par Howard Davies, ancien gouverneur de la banque d'Angleterre

Une revue économique française a récemment nommé la directrice générale du FMI, Christine Lagarde,  personnalité vivante française la plus influente sur le plan international - loin devant le président François Hollande. Ce choix a peut-être été motivé par des raisons politiques, mais il n'en reste pas moins que Madame Lagarde est sans aucun doute la plus éminente personnalité féminine française vivante.

La compétition dans cette catégorie n'est pas particulièrement rude. Valérie Trierweiler, compagne du président Hollande, s'est fait connaître par un tweet politique déplacé sur sa prédécesseure, et s'est depuis mise en retrait derrière le pare-feu de l'Elysée. Et Brigitte Bardot n'est plus précisément la force de la nature qu'elle fut.

130 banques supervisées par la BCE

Cela pourrait bien changer. Le Parlement Européen vient de confirmer la nomination de Danièle Nouy, de la Banque de France, pour présider le tout nouveau conseil de surveillance de la Banque Centrale Européenne.

Cette annonce arrive moins d'un mois avant que la BCE ne se charge de la supervision directe de quelques 130 banques représentant plus de 80% des actifs bancaires de la zone euro, alors que les banques nationales plus petites restent sous la juridiction d'agences de surveillance locales. Danièle Nouy (avec laquelle j'ai travaillé) est très compétente et capable, et dotée d'une formidable combinaison de détermination et de charme. Elle aura besoin de tous ces attributs et plus encore pour que fonctionne de manière efficace ce nouveau système bancaire de l'Europe.

Une base juridique fragile

La BCE a été choisie comme unique mécanisme de surveillance, en dépit d'une base juridique fragile (une clause ambiguë du Traité de Lisbonne) pour ces nouvelles responsabilités. Lorsque le Traité de Lisbonne a été signé, l'Allemagne était totalement hostile à l'idée d'accorder un tel rôle à la BCE. Mais personne ne voulait assumer la monumentale tâche de formuler un nouveau traité visant à établir une institution dotée de l'autorité nécessaire. Ce processus aurait impliqué un referendum  - et donc le risque d'un résultat opposé aux souhaits des eurocrates.

Malgré la persistance de doutes juridiques sur les pouvoirs de la BCE, chacun s'accorde sur la nécessité d'une surveillance centralisée. La crédibilité des agences de surveillance nationales européennes a été irrémédiablement endommagée ces dernières années, en conséquence des tests de stress financiers qui ont validé les comptes d'institutions bancaires - la banque Laiki de Chypre et l'espagnole Bankia, entre autres - dont on a découvert plus tard qu'elles étaient particulièrement fragiles.

La BCE a besoin de soutiens...

Les responsables européens ont convenu que si la BCE est le prêteur de dernier ressort de la zone euro, elle doit connaître les bilans de ses clients potentiels. Elle se doit aussi d'avoir une vision plus objective des instruments qu'elle supervise - une vision qui ne saurait être influencée par les politiques nationales.

Jusque là, tout va bien. Mais la BCE doit être soutenue pour faire son travail. A la quasi unanimité, la récente conférence bancaire de Frankfort a convenu que pour que fonctionne une union bancaire, il faut une autorité de résolution centrale (pour gérer les institutions financièrement déficientes) et un fond mutualisé de garantie des dépôts (pour relancer la confiance envers des banques plus faibles dans les économies en difficultés de la zone euro.)

Mais à la quasi unanimité aussi, il a de même été reconnu que l'union bancaire de l'Europe n'y parviendrait pas - du moins pas à ses débuts. Les Français et leur logique font pression sur les Allemands, parcimonieux, ce qui peut mener à un compromis, mais la bataille sera rude.

Les mécanismes de décision de la BCE sont peu adaptés

Et comme si cela ne suffisait pas, les mécanismes décisionnels de la BCE ne sont pas adaptés au rôle de surveillant bancaire. Il a donc été décidé que chaque banque intégrerait une équipe de surveillance sous l'égide de la BCE - responsable de transmettre des recommandations sur des questions telles que les obligations de capital, les prises de risque sur certains actifs, et l'aptitude ainsi que l'honnêteté des cadres dirigeants et supérieurs. Un nouveau conseil de surveillance, auquel participeront les dirigeants de la BCE et le directeur de surveillance bancaire de chaque pays membre de la zone euro, sera établi pour recevoir ces recommandations.

 La surveillance bancaire, un autre métier

Mais ces recommandations devront être validées ou du moins non récusées par le conseil de gouvernance de la BCE. Et le conseil de gouvernance n'est pas habitué à prendre des décisions rapides sur des questions non anticipées. Sa principale responsabilité, après tout, est d'établir la politique monétaire, ce qui implique un petit nombre de décisions très importantes, généralement prises selon un programme pré-établi. En effet, dans la mesure où la politique monétaire fonctionne par influence sur les attentes du marché, maximiser la prévisibilité de telles décisions - du moins en terme de timing et de principes directeurs - améliore leur efficacité.

La surveillance est une affaire bien plus complexe qui demande des décisions non anticipées. En outre, les décisions interagissent entre elles et impliquent souvent des amendements et des clarifications. Attendre le processus décisionnel d'état chaque mois pourrait s'avérer coûteux et dommageable aux intérêts des déposants.

Le superviseur, tel un renard...

Pour reprendre la fameuse taxonomie du philosophe Isaiah Berlin, le superviseur est tel un renard ; il sait beaucoup de petites choses, est flexible, et adapte constamment sa stratégie de survie. Une banque centrale qui réussit ressemble plus à un hérisson ; elle maîtrise un seul sujet - rester focalisée sur une inflation faible. Un processus décisionnel lent et prévisible est une vertu pour une telle créature, mais il est inadapté à ce monde bancaire complexe et rapide du vingt-et-unième siècle.

Le vrai défi de Madame Nouy dans son nouveau rôle à la BCE sera d'apprendre au hérisson des trucs de renard. L'idéal serait qu'elle soit aidée en cela par une nouvelle structure décisionnelle, avec un nouveau siège de l'autorité capable de soutenir les équipes de surveillance par des prises de décisions rapides. Mais éviter des amendements du traité interdit cela.

Il faut espérer que le nouveau conseil de surveillance puisse agir comme tel - et que le conseil de gouvernance de la BCE lui laissera l'espace nécessaire. L'avenir du système bancaire européen en dépend.

 

Traduit de l'anglais par Frédérique Destribats

Howard Davies, ancien directeur de l'Autorité britannique des services financiers, gouverneur de la Banque d'Angleterre, et ex directeur de la London School of Economics, est professeur à Sciences Po Paris.

Copyright Project Syndicate

 

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Commentaires 9
à écrit le 13/01/2014 à 10:33
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La meilleure façon de surveiller les banques, c'est de les empêcher de devenir trop grandes, et donc dangereuses pour l'intérêt général. Mais, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

le 13/01/2014 à 13:28
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Faites comme dans un roman policier : follow the money...

à écrit le 12/01/2014 à 15:51
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C'est surtout 800 fonctionnaires de plus à payer !

à écrit le 11/01/2014 à 12:28
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Cette Madame Nouy si expérimentée qu'a t elle fait pour éviter la "faillite" de DEXIA, l'endettement débile de centaines de collectivités territoriales avec des crédits toxiques, la quasi faillite de Natixis,le scandale Soc Gen etc..... qu'a telle fa...

à écrit le 11/01/2014 à 10:11
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quand c est pas clair ,il y a les paradis fiscaux !

à écrit le 11/01/2014 à 9:31
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Quelle condescendance dans les propos ! Considérer que la compétition dans la catégorie la plus éminente personnalité féminine française vivante n'est pas particulièrement rude et choisir Valérie Trierweiler et BB pour l'illustrer est désobligeant ...

à écrit le 10/01/2014 à 22:54
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Avec leur super-vision ils n'ont pas vu la crise venir alors...

à écrit le 10/01/2014 à 19:26
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Qui peut croire un seul instant qu'une bande de fonctionnaires, fussent-ils à Bruxelles, pourront superviser les opérations passées dans 130 banques? pas moi! un voeux pieux au mieux, une fumisterie au pire..

à écrit le 10/01/2014 à 15:38
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"un referendum - et donc le risque d'un résultat opposé aux souhaits des eurocrates." Clair qu'il n'y a pas que la France qui ne soit plus une Démocratie. Pour ceux qui trempent un peu dans le secteur, voyez le "pouvoir" de l'AMF... Au niveau image,...

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