Pourquoi le pacte de responsabilité va nous mener à la récession

Par Philippe Murer  |   |  1232  mots
L'industrie française a effectivement un vrai problème de compétitivité. Mais ce n'est pas en précipitant l'économie dans la récession, en coupant dans les dépenses publiques, qu'on le résoudra. Par Philippe Murer, professeur de finance à la Sorbonne

François Hollande a proposé hier un pacte de responsabilité aux entreprises afin que celles-ci « retrouvent de la marge », qu'elles embauchent et qu'elles produisent plus.

Sur le problème de la marge, les entreprises françaises ont bien un problème. Les marges de l'industrie sont ainsi au plus bas depuis 1983 quand les entreprises de services ont dans l'ensemble des marges très correctes comme le montre les 2 graphiques ci-dessous faits à partir des données de l'Insee. Il aurait donc fallu favoriser l'industrie avant tout et ne pas diluer des mesures en les étendant à tout le secteur des services! L'impact aurait été 8 fois plus fort puisque l'industrie ne représente que 12% du PIB français.

 

Le problème de marge est donc en grande partie un problème de compétitivité de l'industrie française vis-à-vis de l'extérieur, notamment avec l'Allemagne rejointe depuis peu par l'Espagne suite à la baisse des salaires déclenchée par le chômage massif créé par la politique de rigueur. L'Allemagne a aussi fait baisser les salaires des Allemands en créant les lois Hartz 4 mais de façon plus lente à partir de 2004 comme l'a montré fort justement Olivier Berruyer du blog les crises(Le graphique est ici). Empêtré par l'euro, la France n'a pu échapper aux « attaques » de ces politiques de déflation salariale en dévaluant sa monnaie.

Un problème de débouchés vient s'ajouter...

A ce problème de compétitivité est en train de s'adjoindre un problème de débouchés (les entreprises produisent moins car il y a moins de demande) puisque la croissance a été détruite en zone euro par les politiques de rigueur plus ou moins forte imposée dans les pays du Sud mais aussi du Nord ! D'autre part, la récession en Zone Euro a fini par toucher les pays émergents puisque l'Europe représente encore 25% du PIB mondial. Les pays émergents souffrent aussi et leur croissance s'amenuise très rapidement. Les entreprises françaises sont touchées en retour par une perte de débouchés dans les pays émergents ! Reste l'Amérique du Nord dont la croissance est en moyenne de 2% depuis 2009 et qui est protégé par sa compétitivité (prix du gaz trois fois moins cher qu'en Europe grâce au gaz de schiste, dollar de combat grâce à une politique moins doctrinale que la politique de change de la BCE et ouvriers aux salaires plombés). La croissance des Etats-Unis ne profit que peu à la France et ne peut compenser les faiblesses de l'économie mondiale.

Un masque à oxygène qui ne tiendra pas longtemps

De débouchés, il n'y en a donc plus beaucoup. François Hollande propose un masque à oxygène pour les entreprises françaises mais cette bouffée d'oxygène ne tiendra pas longtemps car dans une économie capitaliste, une absence de croissance entraîne à terme une guerre des prix et des marges par le simple jeu de la concurrence.

Le chef de l'Etat semble ignorer que les entreprises produisent plus quand il y a de la demande, que les entreprises investissent quand il y a de la demande, que les entreprises embauchent quand il y a de la demande ! En absence de demande, l'économie de cotisations sociales proposée sera majoritairement épargnée par les chefs d'entreprise qui auront bien raison d'être prudent, de ne pas investir sans débouchés.

François Hollande va encore affaiblir la demande, entraînant la récession

Et de demande, il n'y aura pas. Car, François Hollande réduira dans le même temps les dépenses de l'Etat. Réduire le gaspillage est louable et personne ne peut le lui reprocher mais il faut le faire dans le bon tempo. Car les dépenses publiques sont soit une demande adressée aux entreprises soit des salaires distribuées qui sont consommés et sont ainsi au final une demande adressée aux entreprises.

Cette coupe dans les dépenses publiques sera donc récessive et entraînera une récession à plus ou moins long terme. Les marges des entreprises se dégraderont et tout cela n'aura servi à rien. Si Pierre Laurent, secrétaire national du PCF a dénoncé un dynamitage en règle du modèle social et républicain français », il aurait aussi pu dénoncer une politique économique qui va envoyer la France dans le mur de la récession avec son cortège de chômeurs et d'entrepreneurs en faillite.

On aurait aussi pu faire remarquer que le très similaire pacte de compétitivité des entreprises de 20 milliards voté il y a un an n'a donné aucun résultat positif, tant en terme de croissance qu'en terme de taux de marge ou de compétitivité.

 

Que faudrait-il faire puisque cette politique de l'offre ne marche pas ?

Il faut effectivement trouver des solutions au problème de compétitivité de la France mais en sortant de l'euro ce qui est beaucoup plus indolore que ces saignées à répétition que sont les hausses d'impôts ou les baisses de dépenses publiques faites dans le moment d'une récession.

Comme Jacques Sapir et moi-même l'avons montré dans « Les scénarii de dissolution de l'euro » paru chez Respublica et disponible gratuitement sur son site internet, cela créera une croissance de 4 ou 5% pendant 2 ans au minimum et un surplus très important de recettes fiscales. Ce surplus doit être en partie distribué sous forme de baisses d'impôts à destination d'entreprises qui sont trop taxées aujourd'hui. Dans un contexte de croissance de 4 à 5%, des baisses de dépenses publiques de 30 milliards sont même absorbables s'il y a bien des gaspillages de cette taille comme le disent nombre de personnes bien informées.

La sortie de l'euro permettrait de baisser les charges sociales

Au surplus, on peut même dans le cadre d'une sortie de l'euro se permettre en plus de la relance par des exportations 20% moins chères, baisser les charges sociales des entreprises en laissant très temporairement filer le déficit public puisque personne ne contraindra alors la France à maîtriser son déficit en temps de crise. La première année de croissance permettra d'engranger des recettes fiscales de TVA, d'IS et des cotisations sociales qui réduiront alors fortement ces mêmes déficits. On pourra alors, dans cette phase de croissance de 4 ou 5%, couper dans tous les gaspillages de l'Etat que l'on aura identifié : cela réduira un peu les débouchés au moment où les débouchés augmentent fortement et ne déséquilibrera pas la croissance !

 Les entreprises sont trop taxées, mais attention à la cause réelle

La croyance que le moteur économique tourne à l'envers de son sens naturel est générateur de politiques économiques qui détruisent la France : les entreprises produisent, embauchent et investissent avant tout lorsqu'il y a de la demande. Bizarrement, la loi des débouchés était enseignée dans les grandes universités, à Sciences Po lorsque l'économie française était en pleine forme (les 30 glorieuses) et ne l'est plus depuis que nous sommes dans les 30 piteuses ! Effectivement, les entreprises sont aujourd'hui trop taxées ce qui atteint le dynamisme de l'économie française mais ne confondons pas le symptôme avec la cause.