Hollande devrait oser Blair

François Hollande assume désormais une politique de l'offre. Mais il continue d'esquiver la référence Tony Blair. A tort. Par Jean-Marc Daniel, professeur associé, ESCP Europe

Le président de la République a explicité lors de sa conférence de presse ce qu'il entendait par « pacte de responsabilité ». En pratique, il s'agit de supprimer les quelque 30 milliards d'euros cotisations servant à financer la politique familiale.

Il a également indiqué que d'ici à 2017, 50 milliards d'euros  d'économie sur les dépenses publiques seraient réalisés, ce qui permettrait de financer cette mesure. En fait, il n'y a guère de chose nouvelle sur ce volet. Le principe des économies avait déjà été mis en avant lors de sa conférence de presse de novembre 2012 pour un montant de 60 milliards.

Etre ou ne pas être …Jean-Baptiste Say !

François Hollande qui se veut précis au moins dans les mots utilisés, y compris quand il cherche à esquiver les questions qui le dérangent, a dit qu'il y avait non pas un tournant mais une accélération…Il a insisté sur le fait qu'il n'était pas libéral dans la mesure où il entend faire reposer sa démarche sur des rencontres, des négociations, une affirmation de la volonté politique. De fait, il a annoncé des créations d'organismes multiples au nom divers (observatoire des contreparties, conseil stratégique de la dépense…). Et il a exprimé le regret qu'au niveau européen sa proposition très keynésienne de « pacte de croissance » n'ait pas eu d'échos très significatifs.

Mais il a dit qu'il était social-démocrate, provoquant commentaires et interrogations.

En fait là encore, ce n'est pas une vraie surprise car, il l'a rappelé, au cours des 18 premiers mois de son mandat, il n'a pas vraiment multiplié les cadeaux ni procédé à une étatisation massive de l'économie malgré les propos va-t-en guerre de son ministre du redressement productif.

Ce qui a finalement semblé le plus original, c'est l'usage qu'il a fait de la célèbre formule de Jean-Baptiste Say, l'économiste libéral du début du XIXe siècle, selon laquelle l'offre crée la demande. Or cette loi de Say nourrit la haine de tous les étatismes socialisants, qu'ils soient néo ou archéo keynésiens, paléo marxistes ou néo protectionnistes. De cette nouvelle référence est née l'idée qu'il fallait parler de « socialisme de l'offre »

Socialisme de l'offre, une expression peu appropriée

On peut néanmoins se demander si l'expression est appropriée. En effet, les épigones de Marx parvenus au pouvoir dans des pays qui se qualifiaient de socialistes finirent par n'avoir comme prétention de réussite économique et politique que leur capacité à assurer le plein emploi. Face à leur déroute morale, économique et politique, et par-delà leur ineffable langue de bois, les héritiers putatifs de Marx vantaient comme mérite de leur régime celui d'avoir fait disparaître le chômage.

De façon assez sinistre, sur les discours des lendemains qui chantent, le socialisme dit « réel » d'obédience marxiste a plaqué la réalité d'un Etat devenu « employeur en dernier ressort » grâce à son contrôle exclusif de la production. Il organisait l'offre et ignorait la demande, ne rendant possible la réalisation de l'égalité entre l'offre et la demande que par le développement du marché noir. Ce socialisme « réel » était un socialisme de l'offre.

 

L'effondrement de ce socialisme de l'offre, signifié notamment par la chute du Mur de Berlin, fut d'autant plus spectaculaire qu'il survenait quelque dix ans après celui d'un autre modèle de socialisme, que l'on pourrait qualifier de « socialisme de la demande ». Le socialisme réformiste étatiste qu'avaient incarné en leur temps la social-démocratie scandinave et le travaillisme anglais version Clement Attlee a été emporté au Royaume-Uni à la fin des années 70 avec l'élection de Margaret Thatcher. Ce socialisme étatiste réformiste avait essayé de créer une société démocratique à économie dirigée.

L'État non pas employeur en dernier ressort, mais consommateur en dernier ressort

C'est-à-dire de maintenir le libéralisme politique tout en abandonnant le libéralisme économique. Mais ce projet a échoué. La liberté ne se partage pas : si l'on veut pouvoir échanger sans contrainte les idées, il faut pouvoir également échanger librement les biens. Le travaillisme d'Attlee avait trouvé une justification théorique chez Keynes faisant là encore de l'État l'acteur du plein emploi. Dans ce socialisme réformiste étatiste keynésien, l'État agissait non pas comme « employeur en dernier ressort » mais comme « consommateur en dernier ressort ».

L'État n'avait pas vocation à employer directement mais à fournir des débouchés garantis aux entreprises afin qu'elles emploient. Le travers subi puis assumé de ce genre de politique est une augmentation régulière de l'inflation, vécue au départ comme anodine. Mais l'expérience historique fut cruelle. Après avoir perdu toute forme de compétitivité, l'économie britannique keynésienne s'est retrouvée sous tutelle du FMI en 1976, discréditant le socialisme réformiste étatiste.

Ceux qui dénoncent régulièrement Mme Thatcher pour avoir libéralisé l'économie britannique à outrance devraient se souvenir qu'elle a été élue -et systématiquement réélue- par un peuple britannique excédé par les impasses du travaillisme historique. Ils devraient méditer les propos de Peter Mandelson, ministre travailliste de la fin des années 90, affirmant : « en économie, nous sommes tous des thatchériens ». Si la victoire électorale de Mme Thatcher a sonné le glas du socialisme réformiste étatiste, cette disparition a été entérinée dans les années 90 par les sociaux-démocrates suédois. Après la spectaculaire dévaluation de la couronne suédoise en 1992, ils ont en effet jugé indispensable de renoncer au keynésianisme et à l'étatisme pour éviter le déclin du pays.

 En France, le socialisme de la demande a tiré sa révérence en 1983

 En France, ce socialisme de la demande a tiré sa révérence avec la rigueur de 83. Dans sa « Lettre à tous les Français » de 1988, François Mitterrand écrivait que ce sont « les entreprises qui sont responsables de l'emploi et de la croissance ». Exit l'Etat « employeur en dernier ressort », exit l'Etat « consommateur en dernier ressort »…

 On aurait pu penser que la messe était dite et les socialistes français étaient en train de converger vers la social-démocratie allemande, celle-ci ayant abandonné le marxisme- le socialisme de l'offre- à la fin des années 50 et le keynésianisme- le socialisme de la demande- à la fin des années 70 quand Helmut Schmidt déclarait « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain », abandon conforté à la fin des années 90 par Schroeder lorsqu'il a demandé à Oskar Lafontaine de quitter le gouvernement.

Oser Blair

En acceptant le mot social-démocrate, Hollande vient de nous dire que le message de Mitterrand version 1988 devenait enfin un acquis. Néanmoins, au passage, il a jugé bon d'esquiver Blair.

Pourtant, son socialisme est plutôt proche du « socialisme de marché » de Blair, un social-pragmatisme qui faisait dire à Blair qu'il n'y a pas de politique économique de gauche et de politique économique de droite, il y a celles qui échouent et celles qui réussissent…Insistons sur Tony Blair car la gauche française aime bien le haïr. En 1995, le parti travailliste anglais abandonna la Clause IV de ses statuts, clause qui prévoyait « l'appropriation collective des moyens de production ». Parlant des raisons qui l'avaient conduit à proposer à son parti cet abandon, Tony Blair écrit dans ses mémoires que garder une telle formule dans les statuts six ans après la chute du mur de Berlin avait quelque chose non seulement d'obsolète mais plus encore de « ridicule » ...

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Commentaires 11
à écrit le 03/04/2014 à 18:50
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les anglais contrôlent leur livre sterling.

à écrit le 17/01/2014 à 11:21
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François Hollande est un socialiste étatiste réformiste. Ses discours ne servent qu'à semer la confusion dans les rangs de ses adversaires politiques et de ses détracteurs médiatiques. Dans les actes, il poursuit méticuleusement la transformation du ...

le 18/01/2014 à 9:44
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En France depuis Philippe Auguste il n’existe que des étatistes (sauf peut-être un peu au XIXè siècle après les révolutions libérales et avant le marxisme). Pour vous en convaincre, demandez-vous qui à droite a le plus d’audience en France entre d’u...

le 18/01/2014 à 10:34
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Je partage votre analyse du paysage politique français. La gauche du XIXè siècle et début du XXè siècle était très différente de la gauche actuelle. Le socialisme français a perdu ses racines libérales et humanistes au profit de l'étatisme, du colber...

le 06/02/2014 à 18:42
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Avec le recul certain propos de Cerise sont amusants .

à écrit le 17/01/2014 à 10:06
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" les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain" il n'y a rien de plus faux dans l'économie actuelle : les profits sont les dividendes d'aujourd'hui et de demain. La part de l'investissement ne fait que re...

à écrit le 17/01/2014 à 10:06
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" les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain" il n'y a rien de plus faux dans l'économie actuelle : les profits sont les dividendes d'aujourd'hui et de demain. La part de l'investissement ne fait que re...

à écrit le 16/01/2014 à 22:36
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ah jean-marc daniel. il nous les fatiguent deja bien sur BFM business avec ses chemises de prolots pour faire son discours de libéral . oui Hollande devrait nous faire le coup des armes de destructions massives ... cela grandirait la france . holla...

à écrit le 16/01/2014 à 22:26
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ah jean-marc daniel. il nous les fatiguent deja bien sur BFM business avec ses chemises de prolots pour faire son discours de libéral . oui Hollande devrait nous faire le coup des armes de destructions massives ... cela grandirait la france .

à écrit le 16/01/2014 à 12:07
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Comment oser dire que l'offre créer la demande ? De qui Hollande se moque-t-il ? Peut-être qu'à force de raconter des histoires, Hollande deviendra un menteur convaincu comme Blair.

à écrit le 16/01/2014 à 11:54
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Et pourquoi pas Thatcher ou pinochet les deux modele de J marc daniel?

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