Comment résorber les déficits grâce à la répression financière

Par Michel Santi  |   |  906  mots
Des politiques dites de répression financière contraignent les banques à acheter des obligations souveraines, notamment. Mais il faut aller plus loin

La politique monétaire (définie par les banques centrales) et la régulation financière (définie par les responsables politiques) sont-elles aussi des instruments permettant de soulager les Etats du fardeau de leurs dettes ? Une certitude : alors que la fiscalité traditionnelle n'est plus une réponse adaptée dans un contexte où elle ne fait que plomber davantage une croissance quasiment inexistante, les autorités exécutives de nos nations occidentales riches useront désormais de tous les leviers à leur disposition afin d'amoindrir leurs déficits, quitte à faire usage de moyens indirects, voire détournés, pour parvenir à leurs fins. C'est ce que les économistes appellent la « répression financière ».

Réduire les taux d'intérêt, d'abord

Celle-ci peut à l'évidence prendre plusieurs formes, sachant que la réduction des taux d'intérêt nominaux par les banques centrales est incontestablement l'instrument de prédilection, pour être le plus facile à mettre en œuvre et le plus simple du point de vue politique à être accepté par les populations. En maintenant leurs taux directeurs à des niveaux proches du zéro, la Réserve fédérale US, la Banque du Japon et la Banque centrale européenne sont certes préoccupées par la relance de leur croissance. Ce faisant, ces banques centrales contribuent néanmoins activement à réduire les coûts de financement des dettes publiques de leur Etat de tutelle en exerçant une pression baissière sur les taux officiels.

En outre, si leur politique de taux zéro et de création monétaire parvient à instiller dans leurs économies respectives une certaine dose d'inflation sans nuire à la croissance, ni contribuer à la formation de bulles spéculatives, alors les banques centrales auront ainsi rendu le meilleur des services à leur gouvernement en instaurant de facto des taux d'intérêt négatifs, voie royale pour alléger le fardeau des dettes.

 

Les nouvelles lois bancaires incitent les banques à acheter des titres publics

Pour autant, la répression financière peut également être appliquée en faisant appel à des moyens insoupçonnés et emportant l'adhésion populaire. Qui pourrait en effet imaginer que la régulation bancaire est une voie détournée qui autorise - sinon d'amoindrir - en tout cas de mieux supporter les endettements publics ? La loi bancaire adoptée en Europe en juillet dernier, tout comme les règles édictées en octobre dernier par la Fed, exigent une augmentation des réserves détenues par les banques, lesquelles réserves doivent impérativement consister en du papier-valeur de grande qualité présentant un risque zéro. Or, quels peuvent bien être ces actifs susceptibles d'être échangés à tout moment en cash sinon les Bons du Trésor de leurs Etats de tutelle respectifs ?

La "Volcker rule" contribue à la répression financière

La « Volcker rule », fameuse loi qui s'est imposée après la catastrophe de 2008 et qui est censé empêcher les banques de spéculer avec leurs fonds propres. Cette Volcker rule elle-même est une mesure de répression financière car, si elle interdit aux établissements financiers de traiter nombre d'instruments boursiers et dérivés, elle les encourage au contraire à acquérir les obligations souveraines. Cette loi concoctée par trois organismes gouvernementaux US - la Fed, la Commodities Futures Trading Commission et le Office of the Comptroller of the Currency - empêche certes les banques d'acheter la plupart des obligations émises par des entreprises privées, mais elle les exhorte en revanche à se reporter sur un placement alternatif qui se trouve être celui de la dette publique américaine…

Intensifier cette politique

Aujourd'hui en 2014, tandis que les dettes publiques de six pays européens (Irlande, Portugal, Belgique, Italie, Grèce et Islande) dépassent 90% de leur P.I.B., et que la quasi totalité des nations de l'Union s'en approche. Alors que les pays dont les comptes publics étaient encore excédentaires et saufs il y a encore cinq ans se retrouvent dans des postures épouvantables, comme l'Irlande dont le ratio est passé de 25 à 120% entre 2007 et 2013 ! Il va de soi que les déficits publics ne seront pas résorbés par l'austérité budgétaire, et encore moins par le retour d'une hypothétique croissance.

La grande majorité des nations européennes est effectivement parvenue aujourd'hui à un stade d'exaspération fiscale sans précédent, et pour cause ! La moitié du P.I.B. français n'est-elle désormais pas financée par les impôts ? Ce niveau étant à peine plus clément en Belgique et en Autriche, qui sont suivies de très près par l'Allemagne et par l'Italie. A présent que le chômage y atteint lui aussi des niveaux records, le citoyen de base n'est strictement plus en mesure de payer un impôt en constante augmentation.

Il faut donc intensifier la répression financière, en instaurant une taxe progressive sur l'épargne à partir d'un montant de l'ordre de 100.000 euros.

 

* Michel Santi, économiste franco-suisse, conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre de l'O.N.G. "Finance Watch". Vient de paraître : une édition étoffée et mise à jour des "Splendeurs et misères du libéralisme" avec une préface de Patrick Artus et, en anglais, "Capitalism without conscience". Vient de paraître :"L'Europe, chronique d'un fiasco politique et économique"