Le fossoyeur de la gauche française

Par Michel Santi  |   |  1046  mots
La conversion époustouflante de François Hollande à l'économie de l'offre montre que la gauche française est incapable d'articuler une politique économique correspondant à la situation actuelle. Par Michel Santi*

« Le temps est venu de régler le principal problème de la France : sa production. (…) C'est donc sur l'offre qu'il faut agir. Sur l'offre ! Ce n'est pas contradictoire avec la demande. L'offre crée même la demande." Tel est le verbatim de François Hollande lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier. L'électrochoc qu'il entend appliquer à l'économie française afin de la tirer de sa profonde récession se décline donc en mesures visant essentiellement à s'attirer les faveurs du patronat et du milieu des affaires en général, tout en rétrécissant l'Etat.

 L'austérité précipitera la France dans une nouvelle dépression

Ce ne sont cependant pas les 30 milliards d'euros d'économies (fin des cotisations familiales) offertes aux entreprises à l'horizon 2017 qui sont choquantes. Pas plus que la servilité française vis-à-vis des diktats allemands et bruxellois pour la poursuite, voire pour l'amplification, d'une austérité dont on sait pourtant désormais qu'elle précipitera la France dans une nouvelle dépression. En effet, qui est aujourd'hui capable de nier que c'est les économies et autres réductions budgétaires de l'ordre de 1.8 points de P.I.B. réalisées en France en 2013 qui y ont propulsé le chômage à des niveaux records de près de 11% ?

Une reconversion époustouflante du président français 

En réalité, cette reconversion abrupte du Président français à la loi de l'offre est surtout époustouflante car François Hollande conditionne la croissance à la production. En d'autres termes, il part du principe selon lequel la croissance ne repartira que dès lors que les entreprises produiront plus ! Et adopte ainsi les enseignements pour le moins controversés de Jean-Baptiste Say (1767-1832) selon lesquels seules l'offre et la production stimulent la croissance. La demande, quant à elle, étant supposée suivre nécessairement…

 Les néoclassiques dépassés sur leur droite

Ce faisant, François Hollande dépasse sur sa droite les néoclassiques comme John Stuart Mill qui reconnaissait dans ses « Principes d'économie politique » qu'il n'était possible de doubler les capacités de production d'un pays qu'en doublant le pouvoir d'achat des consommateurs ! A moins que le Président ne destine en fait l'ensemble de l'augmentation de la production de nos entreprises à l'exportation, transformant ainsi la France en une seconde Allemagne ? Toujours est-il que François Hollande ignore ostensiblement la révolution keynésienne ayant ringardisé Say et Ricardo, et ayant décrédibilisé le dogme selon lequel c'est l'offre qui induit sa demande propre. Les économistes néoclassiques ne vont-ils pas jusqu'à affirmer qu'il ne peut y avoir de réduction de la consommation car les gens doivent bien dépenser leur revenu pour acheter des biens… ?

 Une consommation et une demande agrégée anémiques

Une observation simple de la conjoncture française aurait pourtant montré que le travail et que l'investissement y sont déficients, non du fait d'un manque de ressources ou de biens produits, mais bien du fait d'une consommation et d'une demande agrégée anémiques. En réalité, la conversion de l'exécutif français à cette loi de l'offre - qui réfute catégoriquement qu'une économie puisse souffrir d'un déclin de la demande agrégée - justifie du coup la posture des néolibéraux qui sont convaincus que le chômage est accentué par les aides sociales. Ce tournant idéologique de François Hollande passe également sous silence l'existence de phénomènes appelés « récessions » - comme celle que nous subissons depuis 2007 - et qui ont pour effet d'appauvrir les nations.

 La dépense publique n'est pas en compétition avec la dépense privée

On sait pourtant depuis Keynes qu'une économie peut bel et bien souffrir d'un effondrement généralisé de sa consommation et de son investissement, et que la dépense publique n'est nullement en compétition avec la dépense privée. Au contraire, le tassement de la dépense publique conduit nécessairement à une régression de la dépense privée, dans le cadre de crises aigües comme celle que nous traversons aujourd'hui. C'est, du reste, exactement ce que nous conte l'histoire de l'austérité appliquée dans nombre de pays européens, et qui se traduit aujourd'hui par une menace très sérieuse de déflation à la japonaise en Europe périphérique, y compris en France.

Il faut relancer la consommation 

Car seules la relance de sa consommation et de sa demande agrégée - et non la réduction de ses dépenses - permettront de rétablir la croissance en France. Comme il va de soi que le rétrécissement du champ d'action de l'Etat dans un contexte où notre économie est loin - très loin ! - du plein emploi est absolument contre-productif. Il est certes crucial d'améliorer la compétitivité de nos entreprises et d'alléger certaines de leurs charges, mais il est tout aussi fondamental pour un gouvernement de séquencer judicieusement les réformes. En l'occurrence, la priorité des priorités reste le rétablissement de la consommation, qui se répercutera forcément sur une amélioration de la production, et donc de l'offre.

 L'incapacité de la gauche à articuler une politique économique

L'Europe se retrouve privée de munitions traditionnelles (du fait de taux d'intérêt à zéro) pour combattre un taux de chômage épouvantable. La déclaration extraordinaire du Président français selon laquelle l'offre induit naturellement sa demande prouve en creux l'incapacité de la gauche à articuler une politique économique qui tienne la route. Et nous indique que nos déboires actuels ne sont pas uniquement la faute de politiques mises en œuvre en leur temps par des gouvernements de droite.

 

* Michel Santi, économiste franco-suisse, conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre de l'O.N.G. "Finance Watch". Vient de paraître : une édition étoffée et mise à jour des "Splendeurs et misères du libéralisme" avec une préface de Patrick Artus et, en anglais, "Capitalism without conscience". Vient de paraître :"L'Europe, chronique d'un fiasco politique et économique"