Sotchi : "du pain et des Jeux" offerts par Poutine... dans une Russie enlisée

Les JO de Sotchi vantent une Russie moderne, ouverte au monde, tout en voilant un mécanisme de conversion massive d’argent public en enrichissements personnels.
Le président russe, Vladimir Poutine, a déployé tant « d’efforts » pour l’organisation des JO à Sotchi en 2014 qu’en Russie ces Jeux sont surnommés les « Jeux de Poutine »./ DR

Comme d'autres leaders avant lui, Vladimir Poutine utilise les Jeux olympiques pour promouvoir son pays sur la scène internationale, ainsi que son prestige personnel auprès des Russes.

L'objectif est quadruple : faire de Sotchi une vitrine de ce que peut faire la Russie dans le Caucase, soit moderniser une région réputée explosive et en faire un pôle touristique régional ; rendre aux Russes leur fierté et les inciter à faire davantage de sport.

Au plan international, il s'agit de rehausser le prestige du pays en démontrant la capacité d'organiser un événement global grâce à une impressionnante mobilisation budgétaire. Pour les critiques, Poutine a un autre objectif : utiliser Sotchi comme mécanisme visant à redistribuer l'argent public russe à une clique de barons devenus milliardaires, sans égard pour les autochtones, l'environnement ou les investisseurs privés.

Un développement régional accéléré

Pour décrire Sotchi, le mot gigantisme vient immédiatement à l'esprit. En 2007, l'année où la candidature russe a remporté l'organisation des JO de 2014, Sotchi n'avait jamais vu une patinoire. En montagne, une petite route en mauvais état menait à travers une étroite vallée vers une station de ski soviétique peu fréquentée et disposant d'une poignée de remonte-pentes obsolètes.

Sept ans plus tard, quatre stations de ski modernes ont été construites. Les bicoques en bois longeant la route ont laissé la place à de hauts bâtiments en béton aux architectures diverses mais peu alpines. Une seconde route et une voie de chemin de fer ont été tracées à travers la montagne, avec force tunnels. La vallée n'en paraît que plus encaissée.

En bas, au bord de la mer, cinq immenses patinoires ont vu le jour, plus un immense stade de foot, un circuit de formule 1 et un parc d'attractions. La note est salée : 51 milliards de dollars (37,8 milliards d'euros). Les efforts personnels déployés par Vladimir Poutine pour l'organisation des JO à Sotchi en 2014 leur ont inspiré un surnom : les « Jeux de Poutine ».

Grand amateur de ski, le président russe a pesé de tout son poids sur le budget. Il a inspecté les travaux à de nombreuses reprises et fait rouler les têtes de ceux dont il était insatisfait. Il est le seul chef d'État à s'être rendu en personne au Guatemala en 2007 pour défendre la candidature de Sotchi auprès du Comité olympique. Sotchi est le seul endroit du pays qui porte dans la pierre son empreinte personnelle.

L'ampleur des efforts rappelle la construction de Saint-Pétersbourg par le tsar Pierre le Grand, il y a trois siècles. La capitale des tsars a été construite en neuf ans, sur une terre marécageuse tout juste arrachée aux Suédois, aux confins de l'empire, en utilisant 40.000 serfs. Poutine a fait travailler 70.000 personnes à Sotchi, qui est également une zone frontière (avec la Géorgie) et abrite sa « résidence d'été », où il passe beaucoup de temps.


Budget des infrastructures des précédents JO d'hivers
(En milliard d'euros / source CIO)

sotchi

Mais Poutine a-t-il (encore) les moyens de ses ambitions ?

Elles ont pris forme durant les années 2000, quand le cours des matières premières s'envolait. Les pétrodollars engrangés par le budget russe portaient la croissance (7% par an en moyenne), ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Le Kremlin n'a pas su diversifier l'économie, restée dépendante des exportations de matières premières.

Faute d'investissements suffisants, le moteur de la croissance a calé (1,4% en 2013), alors que le cours moyen du baril de pétrole restait élevé, à plus de 100 dollars. La dégradation des indicateurs macroéconomique inquiète les experts.

« Il existe un risque réel d'apparition d'un déficit de la balance courante à partir du 2e ou du 3e trimestre de cette année. Du jamais vu depuis le défaut de 1998 », signale l'économiste Chris Weafer.

Le rouble pourrait, selon lui, subir davantage de pression à la baisse. La dévaluation n'aura guère d'effets positifs sur l'économie, car la Russie ne possède qu'un groupe très restreint de sociétés exportatrices de biens manufacturés. L'État continue d'exercer une emprise glaçante sur l'économie.

Selon un rapport de l'OCDE paru à la mi-janvier, « la domination [des grandes sociétés d'État] entrave fortement l'entrée sur le marché et la concurrence, tout en préservant des poches d'inefficacité ».

L'organisation appelle poliment à « des réformes structurelles cruciales, en particulier le règne de la loi et la lutte contre la corruption, afin d'améliorer le climat des affaires ».

« La justice russe fonctionne à peu près correctement sur les différends en affaires, à moins que vous croisiez la route d'un homme disposant d'appuis au Kremlin. Si le conflit prend une dimension politique, adieu la justice », explique un homme d'affaires français basé à Moscou depuis une décennie.

L'absence de confiance envers l'État et le sentiment de vulnérabilité des investisseurs sont à la base d'un des fléaux récurrents de l'économie russe : la fuite des capitaux, qui a atteint 62,7 milliards de dollars l'année dernière. Depuis vingt ans, elle aurait atteint 800 milliards de dollars, selon le sénateur Sergueï Riaboukhine.

Les oligarques, les amis et les groupes publics

Les Russes ont accepté, voire apprécié l'autoritarisme de Vladimir Poutine dans les années 2000, en vertu d'un pacte informel « hausse du niveau de vie contre réduction des libertés citoyennes ».

Mais depuis 2008, les revenus de la nouvelle classe moyenne citadine plafonnent. La cote de popularité du président connaît une érosion. Une opposition farouchement hostile à Poutine émerge et parvient à mobiliser des dizaines de milliers de manifestants, même si elle n'est pas encore parvenue à peser sur un Kremlin fermement décidé à l'ignorer.

Tablant sur un réveil du contribuable qui sommeille (profondément) dans le citoyen russe, l'opposition a sauté sur le coût exorbitant des JO pour en faire une arme contre Poutine. Le libéral Boris Nemtsov, natif de Sotchi, a dressé un tableau accablant du gaspillage et du népotisme autour des Jeux dans une étude intitulée : JO d'hiver en zone subtropicale. Il attire l'attention sur le fait que 9,4 milliards de dollars ont été dépensés pour la construction d'une route et d'une voie ferrée de 48 km reliant les deux grands sites olympiques.

En se basant sur la moyenne mondiale, Nemtsov déduit que le coût n'aurait pas dû dépasser les 6,1 milliards de dollars et note que, parmi les bénéficiaires des travaux (attribués sans concours), figurent deux hommes très proches de Poutine : le patron des chemins de fer Vladimir Yakounine et le milliardaire Guennadi Timtchenko. [ NDLR : M. Timtchenko est actionnaire à 63% de STG Group, groupe lui-même propriétaire de 25% des part de SK Most, l'une des principales entreprises de construction d'autoroutes pour les jeux olympiques. De ce fait, M. Timtchenko ne détient indirectement que 15.75% de SK Most. Il convient également de noter qu'il a acheté ses parts dans SK Most en 2012, soit bien après l'attribution des jeux à Sotchi.] 

Pour schématiser, trois types d'hommes d'affaires ont été convoqués par Poutine pour le chantier des JO. Première catégorie, les investisseurs privés. Des milliardaires, surnommés « les oligarques », connus du grand public depuis les années 1990 : Oleg Deripaska, Vladimir Potanine, Viktor Vekselberg. Ils ont engagé de grosses sommes, avec des crédits offerts par de grosses banques d'État (principalement la VEB).

Les jeux du tsar !

Vladimir Poutine insiste beaucoup dans les médias sur leur participation, à la fois pour leur faire payer leur dette d'oligarques envers la société et pour démontrer sa toute-puissance.

En réalité, leurs investissements cumulés représentent moins d'un dixième des investissements totaux, ils sont avancés à 80 % par la VEB sous forme de crédits à taux subventionnés.

La seconde catégorie est celle des PDG de grands groupes publics (Gazprom et Sberbank), qui ont contribué à construire des stations de ski ou des infrastructures olympiques.

La troisième correspond à une ribambelle d'hommes d'affaires peu connus mais bien introduits dans les cercles du pouvoir. Ces derniers n'ont pas investi mais ont obtenu des contrats publics juteux. Selon Bloomberg, Arcady Rotenberg, un milliardaire ami d'enfance de Poutine, aurait ainsi remporté des contrats d'une valeur de 7,4 milliards de dollars.

Pour l'instant, les Russes n'ont guère protesté contre le pillage manifeste du budget, à la différence des Brésiliens furieux de l'organisation chez eux de la Coupe du monde de football. En 2018, ce sera au tour de la Russie d'organiser cette Coupe du monde. Avec le risque de répéter les mêmes incuries, à moins que le contribuable russe n'émerge de sa torpeur.

 

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Commentaires 26
à écrit le 11/02/2014 à 9:42
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Un certain nombre de personnes essaient manifestement de se cacher derrière leur petit doigt. Evidemment la Russie se développe économiquement. Personne ne dit le contraire. Mais ce que personne ne peut nier non plus c'est que les indicateurs écon...

à écrit le 08/02/2014 à 16:40
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Comme on dit , les chiens aboient,la caravane passe !! Pendant que la presse française dénigre la Russie et Poutine qui n'est pas conforme à leur vision politique, les russes et Poutine rigolent,ils avancent,le pays progresse économiquement socialem...

le 11/02/2014 à 9:25
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PatrioteBBR vous me semblez bien mal porter votre pseudo. A vouloir dénigrer la France à tous prix vous vous sentez contraint de tresser les lauriers de la Russie de Poutine, quitte à voiler la face. La Russie est asphyxiée par le cancer de l'olig...

le 15/02/2014 à 1:30
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@ PatrioteBBR: J'aurais pu vous raconter beaucoup de choses sur les particularités de dévellopement économique, militaire, sociale, politique, mais je l'ai délà fait dans les autres commentaires sur LaTribune et cela risque de prendre trop de place. ...

à écrit le 08/02/2014 à 9:14
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TEMPT que la russie ne seRas vraiment democratique elle N atireras pas des capitaux etrangers sur sont sol , la main de fer de poutine dans un gant de velour ne fais pa d ilusion,??

le 08/02/2014 à 16:45
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Tu crois que Dubaï,Arabie Saoudite,Qatar,Singapour ect ect....Sont des démocraties ? LA Russie est une démocratie,bien plus que la France d'ailleurs qui refuse la proportionnelle et qui est plus de fois condamné par la CEDH que la Russie pour attein...

le 11/02/2014 à 9:43
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Quand vous écrivez que la Russie est bien plus une démocratie que la France vous perdez tout crédit. Tout ce qui est excessif ne compte pas. Vos commentaires sont excessifs.

à écrit le 07/02/2014 à 23:06
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Si Poutine est intelligent, il laissera l'Ukraine trouver un accord équilibré entre l'Europe et la Russie, ce qui suppose aussi un effort des européens. C'est l'avantage des 3 partis. L'ouverture de ces jeux est très belle mais 50 milliards de dollar...

le 08/02/2014 à 1:22
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@Julien: sauf que tu confonds la Corée qui est dans le giron américain avec la Russie qui est une menace pour l'hégémonie américaine :-) La Russie a besoin qu'on la voit telle qu'elle est et non pas à tarvers les bouquins de propagande occidentale qu...

le 08/02/2014 à 3:26
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Si Poutine est obligé d'influencer des votes au CIO et au final de dépenser 50 milliards de dollars pour qu'on voit la Russie telle qu'il voudrait qu'on la considère, mieux vaudrait qu'il reste discret pour ce que cela va changer ! Cà aurait mieux pr...

à écrit le 07/02/2014 à 22:17
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Ces jeux sont à l'image de TOUS nos dirigeants actuels : à gerber...

à écrit le 07/02/2014 à 17:26
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Merci de faire du journalisme, comme si la France, les USA ... allait bien ! Evidement que les jeux servent à faire un show.

à écrit le 07/02/2014 à 16:08
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Que de haine dans cet article ! Sotchi était déjà un centre toursitique et balnéaire avant l'arrivée des Jeux. Ceux qui connaissent savent que la région ressemble à Nice, avec les montagnes qui surplombent l'endroit. Tout n'est bien entendu pas à app...

le 07/02/2014 à 22:46
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Normal que Poutine ait 68% dans les sondages, il n'y a aucun média d'opposition ! Et personne ne s'aviserait à le prendre en photo en scooter avec un casque des Daft Punk !

le 07/02/2014 à 23:00
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@Pussy: as-tu seulement jamais mis les pieds en Russie pour dire de telles conneries. L'opposition n'est pas assez forte et pas crédible du tout, c'est pour cela qu'elle ne représente pas grand chose pour l'instant. La dernière manif des communistes ...

le 08/02/2014 à 3:51
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Lol, c'est sûr que dès lors que Poutine choisit lui même un candidat fantôche pour faire semblant de s'opposer à lui lors des élections, qu'il écarte de multiples façons les autres et leur organisation, qu'il censure la presse et médias indépendants ...

le 08/02/2014 à 16:30
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Patrick, tu perds ton temps à répondre à un type qui n'a jamais mis les pieds en Russie et qui est complétement endoctriné par la mensongère propagande occidentale russophobe,et qui en plus à "Pusy riot" comme référence ( des délinquantes multi-réci...

à écrit le 07/02/2014 à 14:09
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Emmanuel Grynszpan ne porte pas Poutine ni la Russie dans son cœur. Sans doute ne s'y sent-t-il pas chez lui... Comme on le comprend. Il préfère de loin l'Amérique d'Alan Greenspan. Son point de vue est peut-être fondé, après tout pourquoi pas, mais ...

le 07/02/2014 à 22:54
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Tant qu'Emmanuel n'a pas écrit un article sur les Etats-Unis vous ne pouvez l'accuser de partialité ! On peut très bien avoir un jugement sévère sur Poutine (et non les russes) et sur certaines pratiques américaines ou autres.

à écrit le 07/02/2014 à 11:48
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Du pain et des jeux... Je rappelle que cette pratique est née en Europe. Si Wladimir Poutine sait en user , cela montre tout simplement sa supériorité par rapport à ses pairs , qui ont inventé cette pratique...

à écrit le 07/02/2014 à 11:01
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Nous en France nous aimerions être comme la Russie, sans dette ni chômage de masse, et disposant d'une vraie souveraineté. Ce pays sort des ruines de l'URSS et sans aucune aide et malgré la hargne occidentale ( qui épargne curieusement Chine rouge et...

le 07/02/2014 à 11:12
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La comparaison France/Russie est completement impossible , la Russie est un immense pays avec enormement de recources naturelles la majeurs partie des recources financière viennent de là , alors que l'economie Francaise n'a pas cette facilité sauf si...

le 07/02/2014 à 13:03
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@Tayrac: C'est pas tout à fait vrai. 1; La dette de la Russie (en prenant en compte des entreprises d'Etat) est en réalité de l'ordre de 30-35% du PIB. Certes, c'est beaucoup moins qu'en Europe, mais c'est à peu près la même niveau que la Russie avai...

le 08/02/2014 à 18:11
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Ex-moscovite , j'ai une amie guide touristique à Saint Petersbourg elle gagne au minimum 1200€/mois , elle aurait pu venir en France , et elle m'a dit qu'aujourd'hui en Russie on a les moyens de gagner de l'argent ….Elle voyage beaucoup , et elle fa...

le 15/02/2014 à 1:23
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@PatrioteBBR: Je suis de Russie et y connais beaucoup de gens des enseignenants en provence avec un salaire de 150 euros (oui, cent cinquante) jusqu'au PDG d'une boite avec CA à 10 chiffres en euros. Oui, on peut gagner de l'argent en Russie, je ne d...

à écrit le 07/02/2014 à 10:31
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La Russie est peut être un régime autoritaire mais contrairement à Manolo la Valse, son dictateur n'est pas éternellement attaché au dernier état colonialiste suprémaciste qui a soutenu l'apartheid et il accueille snowden...

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