Penser "écolo" malgré la crise

Par Nicolas Treich  |   |  1324  mots
Non, la transition énergétique ne permettra sans doute pas de créer des emplois. Et il est rare que la défense de l'environnement puisse être associée à un gain de croissance. Ce qui ne doit pas nous empêcher de prendre en compte cette problématique. Par Nicolas Treich, directeur de recherche à l'INRA, à Toulouse School of Economics

 Dans quelle mesure est-il évident, comme le présentent les politiques,  d'associer environnement et croissance économique ?

Nicolas Treich. Le lien entre l'environnement et la croissance (ou crise) économique a été largement étudié. L'un des axes de recherche concerne la dénommée « courbe environnementale de Kuznets », qui a identifié une relation en U inversé entre la pollution et le revenu par habitant. La qualité environnementale a tendance à se détériorer aux premiers stades du développement et à s'améliorer au cours de stades plus avancés. Un élément clé permettant d'expliquer cette relation est que l'environnement semble être un bien comme un autre, c'est-à-dire que les personnes aux revenus élevés exigent un environnement de meilleure qualité. À cet égard, la crise actuelle n'est peut-être pas un bon présage pour l'environnement, puisque les revenus ne sont pas en moyenne très élevés.

 Quel est le rôle des responsables politiques en la matière ?

Les responsables politiques suggèrent souvent que les efforts déployés pour protéger l'environnement doivent être considérés comme une chance pour le développement économique, tout particulièrement au niveau de l'emploi. Par exemple, les membres du gouvernement actuel ont déclaré cet été que la transition écologique devrait créer un million d'emplois d'ici 2025.

Pas beaucoup d'emplois nets créés par la transition écologique...voire un bilan négatif

Malheureusement, je n'ai pas vu une seule analyse économique pertinente pouvant appuyer une telle déclaration. Je pense en fait que cette transition écologique ne créera pas beaucoup d'emplois « nets », ce qui signifie que de nombreux emplois « verts » seront peut-être créés, mais probablement au détriment d'emplois « polluants », et le chiffre net pourrait très bien être globalement négatif.

Le gouvernement précédent avait fait une déclaration semblable en 2007 en affirmant que le Grenelle de l'environnement allait créer plus de 500 000 emplois d'ici 2020. Étant donné la tendance globale de l'emploi (ou plutôt du chômage) en France, on peut se demander si ces affirmations sont raisonnables. Mais, que je sois bien clair, cela ne signifie pas que nous ne devrions pas investir dans la protection de l'environnement. Un environnement de meilleure qualité est un énorme bienfait pour la population.

Mais ce bienfait a cependant un prix en termes de développement économique. Les opportunités gagnantes-gagnantes (meilleur environnement et augmentation de la croissance) comme celles que présentent souvent nos responsables politiques semblent intéressantes... mais elles sont malheureusement rares dans le monde réel.

 Le départ de deux ministres de l'Écologie en un an a-t-il menacé l'image du gouvernement français ?

Cela suggère que l'environnement est un sujet politique très délicat. Plusieurs secteurs de l'économie, comme le secteur de l'énergie par exemple, dépendent fortement et directement des décisions gouvernementales (par le biais des subventions, par exemple, ou l'introduction d'une nouvelle loi environnementale). Il est donc naturel de s'attendre à un lobbying industriel intensif et, de même, à de fortes pressions exercées sur les hommes et femmes politiques au pouvoir.

Le départ de la seconde ministre de l'Écologie est apparemment lié à une diminution du budget de son ministère. Cela suggère peut-être que, dans une période économique difficile, il pourrait y avoir d'autres priorités pour le gouvernement que celle de l'environnement. En des temps aussi difficiles, nous n'avons pas forcément les moyens de supporter le coût des politiques environnementales, comme suggéré ci-dessus. Pour moi, la question est de comparer ce coût aux avantages générés par les politiques environnementales. Cette comparaison peut aider à sélectionner des politiques efficaces et peut être une protection contre le lobbying politique et la démagogie.

Malheureusement, ces comparaisons des coûts et des avantages des politiques environnementales mises en œuvre ne sont souvent pas produites et ne sont pas rendues publiques. À Toulouse School of Economics (TSE), grâce au soutien de l'INRA et du ministère de l'Écologie, nous avons créé un groupe composé d'Henrik Andersson, de Jim Hammitt et de moi-même, ainsi que d'une poignée de postdocs et d'étudiants en thèse spécialisés dans le calcul des effets bénéfiques pour la santé des politiques environnementales.

 Le gouvernement peut-il à lui seul contrôler les problèmes environnementaux du monde ?

En effet, la protection de l'environnement est traditionnellement vue comme une stratégie descendante : les entreprises polluent et le gouvernement réglemente. Ceci est le point de vue classique des manuels d'économie : lorsqu'une défaillance du marché se produit, comme une externalité environnementale, le rôle du gouvernement et de concevoir les instruments adéquats (impôts, subventions, permis, normes, règles de responsabilité, etc.) pour répondre à cette défaillance. Cependant, cette stratégie descendante a été de plus en plus critiquée pour deux raisons. La première est liée à la difficulté à résoudre le problème du fait de l'asymétrie de l'information : le gouvernement ne peut pas surveiller le niveau de pollution généré par les entreprises.

La nature mondiale des problèmes environnementaux

La seconde est liée à l'économie politique. Il est possible que les gouvernements ne souhaitent tout simplement pas mettre en place de politiques efficaces à cause du lobbying. Un autre motif analogue est la nature mondiale de nombreux problèmes environnementaux qui empêchent les gouvernements locaux de répondre de manière unilatérale au problème environnemental.

Du fait de ces raisons, une nouvelle approche descendante a gagné en popularité au cours des dernières années, le mouvement dit pour la « responsabilité sociale des entreprises » (RSE). L'idée est que les entreprises fassent des efforts de leur plein gré pour diminuer la pollution, de manière à ce que les citoyens et les consommateurs à qui ces initiatives plaisent achètent leurs produits et évitent de boycotter l'entreprise, par exemple.

Cette nouvelle approche est prometteuse, comme l'indiquent certaines recherches réalisées à TSE sous la direction de la chaire « Finance durable et Investissement responsable » (FDIR). Néanmoins, et il est possible que certains de mes collègues comme Stefan Ambec or Sébastien Pouget ne soient pas d'accord avec moi, je pense que la RSE est un concept fragile. Il s'appuie sur la faible et inconsistante générosité des citoyens et sur la capacité à produire des informations pertinentes et accessibles à propos des entreprises qui font réellement un effort en faveur de l'environnement. Jusque-là, nous avons vu pas mal d'écoblanchiment.

 Une participation interdisciplinaire peut-elle permettre de renforcer les contrôles et de toucher la société ?

Le dernier sujet à propos de la RSE illustre la variété et la difficulté des recherches sur les problèmes environnementaux. Lorsque l'on se penche sur la générosité des particuliers, on souhaite naturellement s'appuyer sur les recherches faites dans le domaine de la psychologie et de la sociologie. De manière similaire, lorsque l'on souhaite mieux comprendre le lobbying environnemental, il peut être utile de consulter des politologues. Afin d'illustrer l'interdisciplinarité de ces questions, le département d'économie de l'environnement à TSE a déployé un effort de recherche commun avec l'IAST (Institute of Advanced Study in Toulouse) au cours des deux dernières années. Nous avons organisé des conférences (« Behavioral environmental economics », 2012, « Biology and economics », 2013 et la conférence de l'EAERE, 2013) qui ont bien représenté la recherche interdisciplinaire sur les questions environnementales.

 

 Nicolas Treich est directeur de recherche à l'INRA, à la Toulouse School of Economics. Il était cette année le directeur scientifique de la conférence de l'Association européenne des économistes en environnement (EAERE) et il est membre de la chaire « Finance durable et Investissement responsable » (FDIR).

Pour aller plus loin

« Asset prices and corporate behavior with socially responsible investors » TSE working paper.

Plus d'informations sur le site de Toulouse School of Economics