L'effet réel des sanctions sur l'économie iranienne

Les entreprises iraniennes ont réussi à compenser les deux tiers des pertes d'exportations liées aux sanctions américano-européennes. Par Jamal Ibrahim Haidar, PSE Ecole d'économie de Paris

Depuis plusieurs décennies, les pays développés recourent ponctuellement aux sanctions commerciales afin d'influencer certaines décisions des pays visés. Ce levier constitue un élément central des débats et réactions au sujet de l'Iran, mais ce pays n'est pas une exception : tout au long du 20e siècle, 174 actions de ce type ont ainsi été engagées par différents pays, de manière autonome ou coordonnée. Ont notamment été visées : la Corée du Nord en 1950, l'Afrique du Sud en 1986 ou encore l'Irak en 1990. Cependant nous en savons aujourd'hui peu sur leur impact et efficacité, d'autant que l'imbrication croissante des économies peut être synonyme de marchés alternatifs pour tout pays sanctionné.

Les exportateurs iraniens ont su réagir

Mes derniers travaux explorent comment et dans quelle mesure une réorientation des exportations s'est mise en place après l'application de barrières commerciales à l'égard de l'Iran en mars 2008. J'ai étudié les marges à l'exportation et les modalités de ces réorientations, en analysant des données détaillées sur les transactions douanières iraniennes et sur les flux commerciaux désagrégés à une échelle très fine (par produit, par exportateur, par jour). La période concernée s'étend de janvier 2006 à juin 2011 : au total, plus de 1,8 millions de transactions quotidiennes enregistrées par les douanes, concernant 3 865 produits exportés par près de 36 000 entreprises exportatrices ont été passées au crible. Ces données permettent, par exemple, d'obtenir pour chaque pays destinataire l'évolution du total des ventes iraniennes, et pour chaque entreprise la stratégie adoptée. L'impact global des sanctions sur les flux commerciaux cache un éventail d'ajustements microéconomiques.

La conquête de nouveaux marchés

Les différentes compilations et leurs analyses sont riches en enseignements. A un niveau microéconomique, les taux de « présence » (entrée) ou « d'absence » (sortie) des entreprises exportatrices et des produits suivent les mêmes tendances. Ainsi, dans les pays appliquant les sanctions, le nombre d'entreprises actives et le niveau des exportations iraniennes ont baissé ; dans les autres pays, ces taux ont augmenté.

A l'inverse, les taux d'entreprises se retirant des pays ayant appliqué les sanctions et les taux de produits ne s'y vendant plus ont augmenté, alors que ces taux ont baissé dans les autres pays. Au final, sur la période étudiée, parmi les entreprises iraniennes ayant décidé de réorganiser leurs exportations, 52% ont arrêté de vendre leurs produits à un pays appliquant des sanctions ; et 37% de celles-ci ont initié des nouveaux échanges commerciaux avec des pays non signataires. Clairement, les contraintes imposées aux flux iraniens ont entraîné la conquête de nouveaux marchés.

Comment les entreprises se sont réorientées

Ces données et taux permettent également de déterminer les modalités et les étapes des réorientations. Tout d'abord, j'ai observé que les entreprises exportatrices les plus grandes et les plus anciennes ont eu une meilleure aptitude à modifier leurs flux commerciaux, relativement aux autres exportateurs. Ensuite, ces réorientations ont des caractéristiques communes : les entreprises exportatrices tendent à « dévier » en premier et de façon plus appuyée leurs produits-phares (ceux au cœur de leur expertise) et leurs produits homogènes ; ces entreprises réduisent également le prix de leurs produits lorsqu'elles décident d'aborder un nouveau marché.

Par ailleurs, j'ai pu noter que ces nouveaux marchés visés après 2008 sont ceux de pays ayant des affinités politiques avec l'Iran. Enfin, l'historique des exportateurs joue un rôle important. Dans les trois ans qui ont suivi la mise en place des sanctions, deux-tiers des exportations (65,8%) auparavant destinées aux pays signataires ont été réorientées vers les autres pays. Précisons que ces actions ont été très majoritairement réalisées par les entreprises exportatrices présentes avant mars 2008 dans les deux types de pays : elles ont réorienté 61,6% des flux en question, quand les entreprises actives uniquement dans les pays signataires l'ont fait à hauteur de 4,2%. Les « coûts d'entrée » d'un nouveau marché représentent bien des barrières à la réorganisation des exportations.

Les implications pour les décideurs politiques

Ces conclusions apportent de nouveaux éléments au débat sur les sanctions commerciales internationales. Je souligne notamment que ces sanctions semblent se révéler moins efficaces dans un monde globalisé, où les entreprises peuvent réorienter leurs flux d'un pays à l'autre. En effet, l'idée qu'elles puissent être efficaces est largement conditionnée par la dépendance du pays visé à l'égard de celui les appliquant ; cela tient également à la capacité des firmes exportatrices à approcher des nouveaux partenaires commerciaux et à finaliser des débouchés alternatifs.

 Jamal Ibrahim Haidar est doctorant à PSE-Ecole d'économie de Paris

pse2 

 Plus sur le site de Paris School of Economics

 

 

 

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Commentaire 1
à écrit le 13/02/2014 à 23:40
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Article très complexe, mais il me semble que vous insistez sur les exportations iraniennes. Un secteur manufacturé s’est développé, il propose des produits à bas prix liés à la baisse du rial, ces produits sont surtout destinés aux pays limitrophes (...

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