La France joue un jeu dangereux en soutenant l'Argentine

Par Pascal de Lima  |   |  895  mots
La France est l'un des rares pays à soutenir le gouvernement argentin qui refuse d'honorer ses dettes. Cela pourrait lui nuire, à terme. par Pascal de Lima, économiste*

L'économie de l'Argentine va mal : sa monnaie a considérablement dévissé ces dernières semaines, les bourses et les investisseurs du monde entier la boudent. En France, hormis les férus de marchés financiers ou quelques irréductibles amoureux de la pampa, la nouvelle ne passionne pas. Mme Kirchner est loin, et un pacte de responsabilité qui irrite ou des municipales qui approchent ont suffisamment de quoi occuper l'Hexagone.

L'opinion française devrait s'intéresser aux soubresauts argentins

Pourtant, l'opinion française n'aurait pas tort de s'intéresser un peu plus aux soubresauts argentins. Pas par curiosité ni par solidarité, mais, de façon bien plus égoïste, parce que la France entretient loin des projecteurs et des caméras des relations avec le gouvernement de Mme Kirchner qui pourraient bien, un jour, lui coûter cher.

De quoi s'agit-il ? Rien de moins que du soutien de notre pays, difficilement justifiable aux yeux du droit, de l'éthique et des partenaires internationaux, à un Etat voyou. Outre une politique économique irresponsable et dispendieuse aujourd'hui mise à nue par une économie en déroute, l'exécutif argentin suit, depuis plusieurs années, un comportement de « rogue debtor ». En défaut de paiement d'une dette de près de 100 milliards de dollars depuis la crise de 2001, Buenos Aires a restructuré arbitrairement sa dette souveraine sans aucun contrôle extérieur après s'être débarrassé du FMI, en imposant à deux reprises à ses créanciers, en 2004 puis en 2010, des « haircut » sans négociation aucune, et sans commune mesure avec ses capacités objectives de remboursement.

Buenos Aires gagne du temps...et de l'argent

Condamné à plusieurs reprises par la justice américaine à honorer ses contrats obligataires et à rembourser à égalité tous ses créanciers, publics et privés, l'exécutif argentin refuse tout net, gagne du temps… et de l'argent : d'ici mi-février, il aura certainement déposé un nouveau recours devant la Cour Suprême des Etats-Unis pour échapper de nouveau à ses obligations. Buenos Aires et sa banque centrale ont d'ailleurs, au cas où la justice américaine ne fléchirait pas, organisé l'insolvabilité du pays en plaçant ses actifs en lieux sûr, notamment à la BRI de Bâle, mais aussi, surprenant mais vrai, de la Banque de France, où ils sont insaisissables.

La France est le seul pays à soutenir l'Argentine

Car la France est le seul pays à soutenir, encore et toujours, l'Argentine. Notre Banque de France, avec donc la BRI de Bâle est la seule banque centrale du monde occidental à accepter d'être en relations d'affaires avec l'Argentine. Elle héberge depuis plusieurs années des actifs en devise de la Banque centrale argentine (BCRA), et lui aurait même accordé une ligne de crédit de court terme de 3 milliards de dollars. L'amitié ne s'arrête pas là : lorsqu'en juillet dernier la Cour Suprême américaine a entériné la condamnation de l'Argentine, la France a été le seul pays à déposer auprès de la Cour un brief d'amicus curiae pour la soutenir. Alors que l'Argentine pourrait déposer d'ici mi-février un nouveau recours devant la Cour Suprême, la France aura-t-elle une fois de plus le panache de voler à son secours avec un second brief d'amicus ?

Une fidélité dangereuse

Cette fidélité pourrait sembler chevaleresque, si elle n'était pas dangereuse.

Dangereuse d'abord, parce qu'elle pourrait affaiblir encore davantage le club de Paris, déjà privé d'une bonne part de son influence par l'absence de pays émergents comme la Chine et L'Inde. Présidé par la France, le Club défend en effet une restructuration ordonnée et transparente des dettes souveraines, à l'absolu opposé de la restructuration argentine : le soutien de la France à de tels principes est une incohérence qui ne servira sûrement pas son image. Dangereuse ensuite, parce qu'elle expose la France à une perte d'influence internationale manifeste : le premier brief français a été souverainement ignoré par la Cour Suprême des Etats-Unis ; un second camouflet, annoncé en cas de nouvel amicus curiae, marquerait de nouveau à la face du monde le piètre poids de la parole française.

Dangereuse encore, parce que la France a une créance non réglée de 500 millions de dollars sur l'Argentine, et qu'à l'heure où les comptes publics sont au plus justes et les contribuables Français sous pression, cet argent qui dort serait sûrement le bienvenu.

Dangereuse enfin et surtout parce que les marchés financiers sont observateurs, et sensibles. Qu'un État endetté comme l'est la France puisse leur envoyer, en soutenant un pays qui les méprise, le signal qu'une restructuration unilatérale est acceptable, peut faire basculer la confiance.

La France pourrait le payer cher

Les conséquences pour la France seraient très dures : limitation des capacités de financement du pays sur le marché de la dette, durcissement des conditions d'emprunt et d'émission sur le marché obligataire, hausse des taux d'intérêt. Rappelons que le coût estimé de l'augmentation d'un point de taux d'intérêt est chiffré à une hausse annuelle du service de la dette de plusieurs milliards d'euros : le contribuable français a donc tout intérêt à s'interroger sur une amitié franco-argentine qui, à défaut de rapporter gros, pourrait lui coûter très cher.

 

*Pascal de Lima est  fondateur d'Economiccell, Enseignant à Sciences-po Paris