Pourquoi la BCE doit assouplir sa politique monétaire

Par Agnès Bénassy-Quéré, Pierre-Olivier Gourinchas, Philippe Martin et Guillaume Plantin  |   |  666  mots
La reprise est là, mais reste fragile. Surtout, l’inflation de la zone euro est tombée largement en-dessous du plafond de 2%. La BCE doit donc assouplir sa politique, au travers de nouvelles mesures non conventionnelles. Par Agnès Bénassy-Quéré (PSE-Ecole d’économie de Paris), Pierre-Olivier Gourinchas (UC Berkeley), Philippe Martin (Sciences Po) et Guillaume Plantin (Ecole d’Economie de Toulouse).

Le 6 février, Mario Draghi a déçu les marchés en n'annonçant aucun nouvel assouplissement monétaire. La Banque centrale européenne considère que le risque de déflation n'est pas suffisamment établi à ce stade pour justifier une évolution de sa politique. Dans une récente note du Conseil d'Analyse Economique (1), nous formulons quatre observations qui justifient à notre avis une politique monétaire plus expansionniste dans la zone euro.

Tout d'abord, l'inflation à fiscalité constante est inférieure à 1 % en rythme annuel depuis avril 2013, loin de la cible de 2% de la BCE, et le chômage reste historiquement élevé. Deuxièmement, la diffusion de la politique monétaire reste très fragmentée. Ainsi, les PME italiennes et espagnoles empruntent à des taux très nettement supérieurs à ceux de leurs homologues françaises ou allemandes.

Troisièmement, le bilan de la BCE s'est nettement contracté en 2013 du fait des remboursements anticipés par les banques européennes des prêts de la BCE. Finalement, l'appréciation de l'euro par rapport au dollar de plus de 10% en 2013 témoigne d'une anticipation par les marchés d'une politique plus restrictive de ce côté-ci de l'Atlantique, en dépit d'un différentiel de croissance en notre défaveur. L'appréciation de l'euro qui a suivi la conférence de presse de Président Draghi le 6 février confirme d'ailleurs ce lien étroit entre taux de change et anticipations de politique monétaire.

Un nouvel assouplissement de la politique monétaire pourrait s'articuler autour de deux axes : un assouplissement quantitatif ciblé et un guidage prospectif plus explicite.

Un assouplissement quantitatif ciblé

Au lieu de prêter aux banques pour qu'elles prêtent aux PME, la BCE pourrait leur racheter leurs créances aux PME après titrisation. Une telle opération serait particulièrement adaptée à la situation de la zone, car si les banques ne prêtent pas dans certains pays, c'est moins par manque de liquidité qu'en raison des contraintes de fonds propres des banques des pays périphériques. Alternativement, la BCE pourrait relancer une opération de refinancement à très long terme afin de sécuriser le prix de la liquidité sur plusieurs années.

Un guidage prospectif plus explicite

Si la BCE communique largement sur l'absence de tensions inflationnistes, sa communication souffre d'un manque de points de repère chiffrés. Pour maintenir les taux d'intérêt bas sur les échéances de moyen terme, elle pourrait par exemple s'engager à mettre en œuvre des mesures non conventionnelles et à laisser ses taux inchangés tant que l'inflation n'excède pas un seuil donné pendant plusieurs trimestres.

Une dépréciation de l'euro… appréciable à court terme

Ces mesures de politique monétaire ne sont certes pas des substituts aux réformes structurelles, seules à même de restaurer durablement la compétitivité des entreprises, notamment en France. Elles devraient toutefois faciliter leur mise en œuvre en compensant leurs effets négatifs de court terme. Une telle inflexion de la politique monétaire aurait notamment pour effet une dépréciation de l'euro. Or nos résultats empiriques obtenus à partir des performances passées des entreprises exportatrices françaises suggèrent qu'une baisse de l'euro de 10% conduirait à une hausse temporaire de la valeur des exportations vers les pays hors zone euro de 7 à 8%, à mettre en regard d'un renchérissement des importations de l'ordre de 3,5%. Le gain de croissance ainsi que l'augmentation des prix des biens importés permettraient d'accroître le taux d'inflation de la zone euro.

Le mandat de la BCE est d'assurer un taux d'inflation proche de 2%. Or il est aujourd'hui à moins de 1%. Si le taux d'inflation était supérieur à 3%, la BCE ne resterait certainement pas inactive à un tel écart à son objectif et mettrait en place une politique monétaire plus restrictive. C'est ce même objectif qui symétriquement devrait aujourd'hui la pousser à une politique monétaire plus expansionniste.

(1) L'euro dans la « guerre des monnaies », Note du Conseil d'analyse économique n°11, janvier 2014.