Une loi tous les cinq jours : où est la simplification ?

Par François Taquet  |   |  1249  mots
Le gouvernement annonce un choc de simplification. Mais doit-on le croire, quand un député loin des entreprises et un ancien dirigeant de grand groupe, éloigné des problématiques des PME, sont chargés de le conseiller? par François Taquet, professeur de droit social

Lors de son récent voyage en Californie, le chef de l'Etat a fait une déclaration certes d'une grande banalité mais qui a de quoi surprendre les observateurs attentifs : « les entrepreneurs ne demandent pas d'argent mais de la liberté. Ils ne demandent pas des facilités, mais des simplifications » ! Qui pourrait être contre un tel discours ? En outre, comment ne pas goûter notre plaisir, nous qui à longueur d'articles, de tribunes ou de conférences, soutenons que notre pays a avant tout besoin  de simplification et d'une administration  davantage « aidante » !

 Le serpent de mer de la simplification

 Est-il encore nécessaire de faire un constat en la matière ? Notre législation est devenue inassimilable par le commun des mortels ? Et les gouvernants successifs ne font qu'en rajouter. Sait-on par exemple que sous la précédente législature, il y a eu 265 lois votées en 5 ans, soit une loi votée tous les 5 jours ouvrés !  Que l'on est loin de ce précepte de Montesquieu, suivant lequel  « il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu'il arrive, il faut le faire d'une main tremblante ».

38 formes de contrats de travail

L'exemple emblématique de ce délire législatif est de droit du travail avec ses 38 formes de contrats de travail (là où beaucoup de pays n'en connaissent qu'une), son code du travail de plus de dix mille articles (là où le Code du travail suisse n'en comporte que cinquante-quatre), sa fiche de paie avec ses 24 lignes (contre 4 ou 5 ailleurs). A ce stade, on est en droit de se poser la question de savoir à qui est destiné notre droit ! Sans doute pas aux salariés qui ne peuvent pas se repérer dans ces fatras de textes ! Sans doute pas pour les non plus petites entreprises ! Alors pour qui ? Certes, on nous rétorquera que des lois de simplification ont été votées. Mais, les spécialistes savent qu'en final, les mesures de simplifications adoptées rendent notre droit plus compliqué encore !

 Le temps partiel encore plus règlementé depuis juin

Certes, nous aimerions croire à cette volonté de simplification du Président de la République ! Mais, la réalité paraît différente du discours. Le chef de l'Etat a-t-il déjà lu les dispositions relatives au temps partiel contenues dans la loi de sécurisation de l'emploi votées en juin 2013 ? La France se faisait déjà remarquer par son carcan législatif en matière de temps partiel. Force est aujourd'hui de constater que les textes sont devenus totalement incompréhensibles pour les entreprises….avec en outre la conséquence dramatique que ces textes découragent l'emploi, sans d'ailleurs protéger davantage le salarié !

Des doutes sur la volonté de changement

De même le Président de la République a-t-il lu les dispositions de la loi de finances pour 2014 imposant dès le premier euro la part patronale des cotisations finançant les contrats de frais de santé et ce, à titre rétroactif à compter du 1° janvier 2013. Que peut comprendre le salarié à ces dispositions totalement incompréhensibles et qu'il considère souvent comme injustes ? Que l'on est loin de ce désir de Montesquieu qui soutenait que les lois « doivent être simples et ne doivent point être subtiles. Elles ne sont point un art de logique mais la raison simple d'un père de famille ». On en est loin !

Certes, on nous rétorquera que le chef de l'Etat a récemment décidé de mettre en œuvre un « choc » de simplification  en installant un conseil de simplification présidé par Thierry Mandon  (député)  et Guillaume Poitrinal (ex patron d'Unibail).  Même si l'initiative doit être encouragée, et sans être défaitiste, on peut avoir des doutes légitimes sur la volonté de changement.

Créer une commission pour la simplification?

Est il en effet bien raisonnable, dans le cadre de cette simplification de créer une commission. Car, finalement, et sauf à être déconnecté de la pratique, les pesanteurs de notre droit sont connues, sans qu'il soit nécessaire de créer une usine à gaz avant de simplifier ! Est il d'autre part cohérent de nommer à la tête de cette commission un député (dont une étude récente du CNRS nous indique que les parlementaires restent à l'écart du monde de l'entreprise) et l'ex PDG d'une entreprise de plusieurs milliers de salariés, alors que les 80 % des entreprises françaises sont des TPE ? Est il approprié de parler de « choc » de simplification, alors qu'à ce stade, il serait plus cohérent de parler de « tsunami » de la simplification ?

 Une administration « aidante »

 Il parait que le président Pompidou aimait dire qu'il fallait arrêter « d'emmerder » le français, en un mot, que les administrations deviennent « aidantes » vis-à-vis des entreprises, au lieu d'être trop souvent « punissantes » ! Le moins que l'on puisse dire, c'est que là encore, on est loin ! On se souvient ainsi de cette information récente suivant laquelle l'URSSAF du Morbihan réclamait 9000 euros pour « travail dissimulé » à un couple de bistrotiers de Locmiquélic dont la seule faute est que les clients rapportaient leur verre au bar après avoir consommé.

 Au-delà de l'aspect anecdotique de cette affaire, l'intérêt de l' information est d'avoir montré le manque de dialogue avec ce type d'administration et l'absence évident de procédure contradictoire ! On aurait pu supposer que le gouvernement allait tirer les conséquences de ces carences ! Que nenni ! Par un décret de décembre 2013, il renforce plus encore les prérogatives des URSSAF en cas de contrôle !

Renforcer les pouvoirs de l'inspection du travail? oui, mais dans le dialogue et le respect de la procédure contradictoire

Si l'on va voir maintenant du côté de l'inspection du travail, l'hypocrisie des pouvoirs publics est également de mise. A bien lire le projet de loi relatif à la démocratie sociale actuellement en cours de discussion, il y a un renforcement considérable des pouvoirs de l'inspection du travail qui aura désormais la possibilité d'imposer directement des amendes aux employeurs. Loin de nous le fait de critiquer que l'on renforce les pouvoirs de l'administration du travail. Loin de nous le fait de critiquer que l'on cherche par ce biais à faire respecter la légalité voire à assurer la santé et la sécurité du salarié au travail ! Cela n'est pas contestable ! Mais à condition, une fois encore, que cela se fasse dans le dialogue et le respect de la procédure contradictoire !

Or, ces deux éléments n'apparaissent guère dans le texte, le gouvernement n'ayant de cesse que de promouvoir son arsenal répressif !. Il y a peu de temps, un entrepreneur racontait sur les ondes, que quand il avait installé son commerce à Chicago, il avait eu la visite du maire de la ville, quand il s'était installé à Berlin, il avait également eu la visite du maire. Et de terminer son histoire en disant de manière dépité mais réaliste : quand je me suis installé à Paris, la première visite que j'ai eue, est celle… de l'inspection du travail !

Si le Président de la République entend être crédible, il convient qu'il pose des actes en rapport avec le discours et que se dégage une véritable volonté de changement. N'est ce pas le proverbe anglais qui dit : « là où il y a une volonté, il y a un chemin » !