Le mystère Hollande

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  2165  mots
François Hollande n'a pas su mettre en place un gouvernement resserré ni gérer le temps, ajoutant les bourdes aux contradictions. Pourquoi? Cela reste pour une part mystérieux. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

François Hollande a fait de longues études. Il est passé par nos Grandes Ecoles, dont HEC, l'école des élites internationalisées. Il parle anglais, a visité les Etats-Unis, est tourné plus vers le grand large que vers les pays émergents, n'ayant jamais mis les pieds en Chine ou en Inde avant d'être président. Il a enseigné l'économie à Sciences Po. Son parrain (Jacques Delors) et beaucoup de ses amis sont parfaitement au fait des réalités du monde et des problèmes français. Il n'a pas découvert la gravité de la crise, l'importance des déficits publics ou notre perte de compétitivité une fois élu. Il était informé avant, même s'il pouvait sous-estimer l'affaissement de notre système productif. Bref, le nouveau président était intellectuellement préparé à assumer la conduite d'un pays déclinant inséré dans la mondialisation, aux marges de manœuvre réduites.

Un peu haut fonctionnaire, surtout homme politique

Professionnellement sa préparation à l'exercice de hautes responsabilités était moins évidente. Il fut jeune auditeur à la Cour des Comptes, à une époque où l'institution se concentrait sur des contrôles formels et fit « de la liasse » soit des vérifications sur papier. Sa profession : un peu haut fonctionnaire, surtout homme politique. Son curriculum politique est classique : cabinets ministériels sous le premier septennat de François Mitterrand, mandats locaux (Maire de Tulle, Président de Conseil Général) nationaux (parlementaire) direction de parti, en tant que Secrétaire National du PS pendant plus de dix ans (1997/ 2008) La fonction est ingrate et desséchante : trancher en permanence des conflits de pouvoirs dans les fédérations, arbitrer les investitures, mener des luttes d'appareil pour conserver une majorité et gagner des congrès, préparer des textes qui ont pour vertu principale d'obtenir des ralliements dans les séances nocturnes de la « commission des résolutions » sans que leur pertinence opérationnelle entre jamais en ligne de compte.

Un secrétaire général patient, habile, et obstiné

Dans cette « cuisine », le Secrétaire Général fait preuve de patience, d'habileté et d'obstination. Ce ne fut ni un idéologue ni un intellectuel. Sous son mandat, aucun grand débat n'est mené rue de Solferino, se comportant en continuateur de François Mitterrand, qui, selon la formule de Michel Rocard imposa à son parti une « interdiction de penser »

Sur l'échiquier de la gauche, François Hollande n'est : ni « première gauche » ni « deuxième gauche » plutôt radical-socialiste, attaché à quelques grands principes, laïcité, libertés publiques, construction de l'Europe, faisant confiance pour le reste à une approche pragmatique adaptée aux circonstances. Il est particulièrement à l'aise sur les terres d'Henri Queuille et de Jacques Chirac, et sa gestion locale active lui vaut d'être réélu.

 Des handicaps graves dès le départ

Pourquoi cet homme politique prudent et rassurant, n'aurait-il pas revêtu rapidement les habits d'un Président de la cinquième République, en dépit de son petit côté troisième  rehaussé d'une touche de modernisme? Beaucoup l'ont espéré. N'avait-il pas des atouts dont peu de ses prédécesseurs disposaient : majorité à l'Assemblée Nationale, au Sénat et dans les collectivités locales, absence de scrutins électoraux pendant deux ans ? Cela n'a pas été le cas. Des handicaps graves, pas toujours perçus, l'ont gêné dès le départ.

Le premier est l'absence de programme. Le PS fait son programme en fonction de la sociologie de son électorat. Il n'est pas le seul.  Toutes les couches visées doivent y trouver un élément de satisfaction, partiel, pas total (oui au mariage pour tous mais rien sur la PMA) Ce n'est en aucun cas un document permettant de gouverner, s'appuyant sur un travail collectif et débattu avec les électeurs. Le seul progrès par rapport à 1981 est qu'il n'y a plus 110 mesures mais 60. Ce programme électoral est d'autant moins utilisable qu'il n'est pas éclairé par une « vision » éclairant le devenir français et permettant une interprétation souple des engagements pris. Il était urgent pour le nouveau président de se doter d'un programme opérationnel pour la première année.

Un gouvernement pléthorique, un discours de politique général qui n'a rien d'un guide pour l'action

Là intervient le second handicap, qu'il s'est créé dès les premiers jours lors de la mise en place son gouvernement. Le nouveau président, dépourvu de toute expérience ministérielle a fait le choix d'un Premier Ministre qui n'en n'avait pas plus, même s'il était reconnu comme un « grand maire » et un praticien de la vie parlementaire. Il constitue en deux jours, selon la tradition française, un gouvernement pléthorique. Le discours de politique générale devant les députés ne fut pas un guide pour l'action, comme le discours de Jacques Chaban- Delmas proposant une Nouvelle Société.

Début juillet 2012, le Président de la République est entouré d'une quarantaine de ministres sollicités par les médias et s'exprimant publiquement, sans lignes politiques précises ni connaissance des dossiers, La nouvelle équipe, qui a tout à apprendre, se comporte comme si elle était dans l'opposition et pouvait débattre sans contraintes.

 Une absence de maîtrise du temps

Il se produit alors une défaillance inattendue : une absence totale de maîtrise du temps par le Président. Il n'utilise pas ce qu'on appelle, de façon exagérée, la « période d'état de grâce » pour faire passer quelques réformes fortes et symboliques empruntées à son programme électoral, en recourant par exemple à la proposition de loi (même le Sénat lui était ouvert).  Il va s'enfermer à Brégançon plusieurs semaines. A l'automne 2012, il ne fait pas un « paquet » des conclusions du rapport Gallois et de la loi de Finances et revient après quelques semaines sur ce qu'il a proposé au Parlement, il impose un programme législatif trop lourd, fixe des échéances arbitraires, prend des engagements (emploi, croissance, fiscalité) irréalisables dans les délais annoncés. Il en résulte une perte de crédibilité.

Des contradictions sans importance?

Pourquoi ? C'est pour une part mystérieux. Il est impossible que ses conseillers (il y en a de forts compétents) ou le Secrétariat Général du Gouvernement ne l'aient pas mis en garde. Il ne les a pas écoutés. Se croyait-il toujours rue de Solferino dans le domaine exclusif du verbe ? Considérait-il que le flot continu des informations dévalorise la parole au point de rendre sans importance les contradictions ?

A cette méconnaissance se sont ajoutées des bourdes et des contradictions plus fortes et plus fréquentes que celle constatées sous d'autres gouvernements, y compris dans des domaines ultra-sensibles comme la fiscalité. Là encore pourquoi ?

Une machine gouvernementale dégradée: confusion et irresponsabilité croissantes

La machine gouvernementale s'est certes dégradée depuis les débuts de la cinquième République, notamment sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. La multiplication des interventions de l'Elysée - Président, Secrétaire Général qui se prenait pour le Premier Ministre, conseillers- dans les ministères, à la marge des procédures et des arbitrages officiels a engendré la confusion et une irresponsabilité croissante. Mais pourquoi, par exemple, la direction des études fiscales aurait -elle perdu de sa compétence ? Le président est apparu comme un improvisateur peu soucieux des règles du management, délimitation précise des responsabilités, délégation par objectifs, respect des procédures et du calendrier.

 Une politique macro-économique erronée

La cohérence n'a guère été plus présente sur le fond en ce qui concerne la politique économique. Il se rallie au traité européen, comme beaucoup de ses conseillers l'y incitent. Une politique macroéconomique erronée qui allait conduire l'Europe dans la récession sans réduire significativement l'endettement public mesuré par rapport au PIB, et n'est pas débattue.

Une autre politique était possible mais demandait un courage extrême : se donner du temps pour réduire les déficits publics mais amorcer immédiatement les réformes susceptibles de réduire le déficit structurels (interventions publiques, santé, force de frappe). Aujourd'hui, les réformes seraient en cours, la croissance plus forte, le chômage plus faible et le FMI approuverait notre politique. Le débat aurait au moins fait apparaître les conséquences d'une politique de réduction rapide et simultanée des déficits publics dans tous les pays européens, c'est à dire la suppression des marge d'action dans notre politique macroéconomique. Il ne restait qu'une voie ouverte ; celle d'une politique microéconomique active au profit des entreprises, sous toutes ses formes, financement, fiscalité, allègement des contraintes, en vue de créer la confiance et d'anticiper la reprise de l'investissement. Elle n'a été que partiellement entreprise dans le domaine financier (Banque Publique d'Investissement) et n'a pas empêché la défiance de croître

 Le paradoxe d'un président peu expérimenté qui "fait le job" à l'international

Autre paradoxe il existe un second François Hollande dans le domaine où il était apparemment le moins préparé, l'international et les crises. On peut certes critiquer telle ou telle mesure mais il a su prendre des décisions difficiles, s'y tenir et représenter honorablement la France à l'étranger. Il agit avec méthode, bref il « fait le job »

 Sur l'économie, un discours nouveau, mais imprécis et qui reste à concrétiser

Un troisième Hollande est -il apparu ces dernières semaines ? A ce jour, la démonstration reste à faire. Certes, le discours s'est infléchi (à l'oral notre président est souvent bon) mais il est imprécis et reste à concrétiser. Se qualifier de « social démocrate » est un propos banal s'il s'agit de s'affirmer comme le tenant d'une politique réformiste excluant les excès. S'il s'agit de prendre le mot dans un sens strict, c'est à dire un mode de gouvernement économique passant par la négociation et le contrat entre organisations professionnelles, il est malheureusement inadéquat pour la France du fait de la division et de la faiblesse des organisations syndicales et patronales. Un développement du dialogue social est un progrès possible et le président a déjà obtenu des résultats significatifs avec les accords passés sur la formation professionnelle et sur l'emploi.

Le propos sur la disparition de la cotisation famille pour les entreprises, financée par une réduction de la dépense publique, est pour l'instant une déclaration d'intention. Nul ne connait les «  contreparties » qui peuvent être obtenues des entreprises ni le calendrier. Nul ne connait les dépenses publiques qui seront réduites. Plutôt que de mettre en place un gouvernement restreint adapté à l'urgence et aux circonstances qui seul peut faire les grands choix et les soumettre aux partenaires sociaux, l'on multiplie comités et conseils, parfois sous la responsabilité directe du président de la république. Attendons les décisions et le débat sur la question de confiance, annoncé avant l'été, pour savoir si un « nouvel Hollande » est né.

 Attractivité, investisseurs étrangers: passer de la menace au baiser sur la bouche?

Sur l'attractivité de la France pour les investisseurs étrangers, le discours s'accompagne de quelques mesures concrètes, de rencontres sympathiques et d'agapes conviviales. Est-ce une   politique ? Un dialogue fréquent et organisé avec les décideurs est indispensable est une nécessité. Cela n'empêche pas de garder la distance. Nous ne sommes pas au pays des bisounours mais dans un monde de rapports de force où l'on ne donne rien sans rien. Les déjeuners collectifs à l'Elysée, où rien de sérieux ne peut se passer, font sourire  discrètement les invités les plus polis et suscitent de l'amertume de la part des milieux populaires qui n'y voient qu'un indice supplémentaire d'une collusion sociale. Passer de la menace au baiser sur la bouche est un errement fréquent chez des dirigeants de gauche. Il est urgent de donner la priorité à la stabilité des humeurs et des politiques.

 Les démocraties européennes fonctionnement mal

Ce serait une erreur de limiter nos problèmes de gouvernance à l'adaptation d'un homme à sa fonction. Regardons autour de nous en Europe. Les démocraties fonctionnent mal. Le renforcement des droits individuels, le fractionnement des sociétés en groupes revendicatifs valorisés par les médias, l'effacement d'un projet politique mobilisateur, la puissance des oligarchies financières aboutissent à des pouvoirs faibles absorbés par une gestion au jour le jour de l'économie et du social. En Europe, seules quelques démocraties résistent à cet affaiblissement du pouvoir de l'Etat, alors que le monde change de plus en plus vite.

Pierre-Yves Cossé/ Février 2014