Le « province shoring » ou l’art de délocaliser… en France

Par Robert Cabezudo  |   |  801  mots
Le coût des bureaux en région peut être quatre fois inférieur à celui constaté dans les Hauts de Seine. Ici, à Lille
Un moyen d'optimiser les fonctions support, et notamment la finance, peut être de se délocaliser... en province. Par Robert Cabezudo, associé du cabinet de conseil Kurt Salmon

Comment optimiser ses fonctions de support, et notamment la finance ? Longtemps, la réponse a tenu en un mot : délocalisation. Depuis deux décennies, des dizaines de projets ont été mis en place vers l'Europe de l'Est et du Sud, voire plus loin. Mais les retours d'expérience n'ont pas tous été positifs : projets lourds, complexes, et une rentabilité discutable au regard des risque pris en termes d'approche sociale et d'image... En réaction, une autre option apparaît : localiser certaines activités, non au bout du monde, mais en province, et utiliser au maximum les leviers technologiques. Une alternative crédible, pourvu que certains principes soient respectés.

 Un environnement attractif

 Grâce aux différentes lois de décentralisation, les régions ont notablement accru leurs efforts en matière d'enseignement supérieur. Avec plus d'un milliard d'euros investi sur la seule année 2011 dans l'enseignement supérieur et la recherche, la plupart des régions disposent désormais d'appréciables viviers de main-d'œuvre qualifiée, disponible, et moins coûteuse qu'en région parisienne. Avec des salaires inférieurs de 10% en moyenne par rapport à Paris et une tendance forte à la modération salariale, les salariés en région représentent un réel avantage compétitif.

 Les pays à bas coûts…de plus en plus chers..

 Dans le même temps, on observe dans les pays à bas coûts une inflation salariale forte et une compétition pour attirer les meilleurs profils qui se traduisent par une surenchère salariale… L'écart de salaire avec les pays développés reste encore, au global, très significatif. Mais sur des profils qualifiés en position de management, les différences peuvent déjà se révéler minimes. Mis bout à bout avec les écarts de productivité entre les pays, le différentiel de coûts entre les pays doit être finement analysé. Certains centres de ressources hébergés dans des capitales de pays à bas coûts ont dû déménager vers des pays encore moins chers ou dans des villes de 2ème catégorie pour rester compétitifs.

 … et une délocalisation de moins en moins opérationnelle

L'utilisation des leviers technologiques pour optimiser les processus et diminuer le nombre de tâches à faible valeur ajoutée réduit encore l'avantage tiré de l'écart salarial entre les régions et les pays à bas coûts et rend plus complexe la délocalisation des activités. En effet, les collaborateurs en back office ne traitent plus que les « anomalies », les cas de gestion qui requièrent une bonne compréhension des processus, des systèmes et souvent des échanges avec les opérationnels ou des tiers externes.

 Des équipes performantes, en région

 D'autre part, les régions françaises les plus dynamiques ont su se structurer pour se rendre attractives auprès des entreprises, et se doter d'équipes performantes, capables de vraiment faciliter une installation. Parce qu'elles connaissent bien les besoins des entreprises, mais aussi parce qu'elles se montrent capables de coordonner en amont tous les intervenants locaux (prestataires immobiliers ou services, organismes financeurs…). Le tout à des coûts attractifs : le m2 de bureaux se loue une centaine d'euros par mois en moyenne en Picardie, par exemple, contre 400 euros dans les Hauts-de-Seine.

Bilan : grâce à l'ensemble de ces facteurs cumulés, une implantation en région peut générer jusqu'à 20% d'économies par rapport à la même activité en région parisienne. Lorsque l'activité démarre, l'avantage de ce « province shoring » apparaît encore plus nettement. En termes de satisfaction client, de productivité, de besoin d'encadrement et de contrôle, les centres implantés en région affichent des performances imbattables en comparaison de ce qu'offrent les pays à bas coût.

 Un avantage immatériel élevé

Enfin, cette démarche présente un avantage immatériel, mais décisif : elle contribue au « pacte social français », cette notion partagée par chefs d'entreprise, salariés, media, consommateurs et pouvoirs publics. Cette idée que préserver l'emploi en France et aider les régions à se développer font partie de la responsabilité des entreprises.

 Pour produire un résultat optimum, le « province shoring » doit se préparer soigneusement, avec un support actif, impliquant la direction générale. Il s'agit d'abord de bien choisir sa localisation cible, notamment en fonction des implantations déjà existantes. Surtout, le projet doit faire l'objet d'un suivi à long terme, avec des moyens humains et matériels suffisants. Un investissement largement rentable; à tel point que plusieurs entreprises ayant opté pour la délocalisation lointaine réfléchissent aujourd'hui à un retour en région de leurs fonctions de support.

 

Robert Cabezudo, associé du cabinet de conseil Kurt Salmon - Activité de conseil aux directions financières